par Océane AGASSIAN, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
Le 6 juillet dernier, une proposition de loi a été déposé au Sénat visant à modifier l’article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
Les sénateurs proposent de modifier l’article ainsi (afin d’expliciter les ajouts apportés, ceux-ci ont été mis en gras) :
« Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit originales, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.
Il appartient à celui qui conteste l’originalité d’une œuvre d’établir que son existence est affectée d’un doute sérieux et, en présence d’une contestation ainsi motivée, à celui qui revendique des droits sur l’œuvre d’identifier ce qui la caractérise ».
L’évolution de la notion d’originalité et les limites de son insuffisance
La pléthore de contentieux relatifs au droit d’auteur illustre assez bien la difficulté lorsqu’il s’agit de démontrer cette originalité. Son caractère inconsistant a longtemps été présumé, ce qui est rapidement devenu une difficulté. L’originalité émanait de l’auteur par le simple fait d’avoir effectué le processus de production, en théorie d’une œuvre portant l’empreinte de sa personnalité. Puis la Cour de cassation a dégagé en 1986 le critère de « l’effort personnalisé » (Ass. plén., 1986, « Pachot »). La Cour de justice de l’Union Européen (CJUE après citée) est depuis intervenue dans ce débat et a fait évoluer cette notion, en considérant l’originalité comme une véritable notion autonome du droit de l’Union européenne (CJUE, 2009, « Infopaq »).
Le fait pour un ordre juridique européen de recourir à une notion autonome revient à se positionner en concurrence du juge national. L’arrêt « Infopaq » s’apparente à une consécration vis-à-vis du droit d’auteur et du critère original puisque désormais ce dernier doit être respecté par tous les états membres de l’Union Européenne.
Ainsi est née la définition la plus précise de l’originalité qui n’est établie que s’il s’agit d’une « une création intellectuelle propre à son auteur » ; mais aussi que pour réaliser une création intellectuelle, il appartient à l’auteur « d’exprimer son esprit créatif de manière originale ».
Néanmoins, à une ère où le numérique accentue toujours plus le flou autour de cette notion, de tels critères se sont rapidement montrés insuffisants au vu de l’augmentation des contrefaçons rendues toujours plus simples par internet notamment.
La codification d’une exigence jurisprudentielle et la mise en place d’une présomption légale d’originalité
S’agissant du premier alinéa de cette nouvelle rédaction, celui-ci ajoute une précision sur l’originalité. En spécifiant l’expression « originales », les sénateurs tentent de codifier une exigence jurisprudentielle, afin d’ainsi exclure définitivement du champ de la protection du droit d’auteur les œuvres qui ne le seraient pas.
Cette notion si discrète n’apparaît actuellement dans le CPI que dans son article L112-4, « Le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même ».
Cet ajout peut paraître élémentaire lorsqu’il s’agit de protéger une œuvre par le droit d’auteur ou non. Pour autant, cette notion n’en reste pas moins délicate. En effet, sa dimension subjective semble toujours aussi difficile à cerner.
L’originalité doit s’inscrire dans un véritable processus de création artistique. Seulement, analyser ce processus de création est devenu indispensable avec le développement de la technologie numérique. Il est désormais impossible de se contenter d’observer le résultat, tout doit être analysé afin d’affirmer l’originalité d’une œuvre.
Alors, bien que cette nouveauté apparaisse comme une évolution s’agissant de ce critère, il n’en reste pas moins compliqué de l’établir.
S’agissant du second alinéa, la proposition de loi n°860 insère à celui-ci une présomption légale d’originalité des œuvres.
Cette présomption a pour avantage de ne pas être simple, c’est-à-dire qu’elle ne serait pas renversée par la preuve contraire. Elle serait renversée par la seule démonstration d’un « doute sérieux » sur l’originalité.
C’est un fait, le numérique a augmenté de façon exponentielle la réalisation de contrefaçons. Sans la modification de ce texte, la démonstration de l’originalité d’une œuvre revient à son auteur. Seulement, cela n’est pas évident et le fait de recourir à une expertise peut être assez couteux. Tout cela dissuade donc certains auteurs de faire valoir leurs droits en justice.
Tout l’intérêt de cet alinéa réside dans le fait que la charge de la preuve serait à l’avenir partagée entre la personne contestant l’originalité, qui devrait donc démontrer l’existence d’un « doute sérieux » ; et la personne qui l’invoque en la caractérisant.
L’ambiguïté des termes employés au profit de l’appréciation in concreto
Bien que l’expression « originale » paraisse encore trop peu précise, cela peut se traduire par le fait qu’a contrario, une définition qui se voudrait plus stricte pourrait se voir être un vrai frein à la créativité. Mais aussi, l’avantage avec des termes aussi larges que « doute sérieux » et « motivée », réside dans la libre interprétation que les juges vont en faire au cas par cas, in concreto.
En cas de codification, ce texte pourrait avoir un impact incontestable en faveur des auteurs d’œuvres originales. Ce projet de loi apparaît comme une évolution, au profit de tous les créateurs susceptibles de renoncer à faire respecter leurs droits en découvrant l’envergure de toutes les démarches destinées à arguer une contrefaçon.
Sources :
- Pascal Kamina, Droit d’auteur – Preuve de l’originalité, Lexis 360, 1er octobre 2023, {consulté le 25 novembre 2023}
- Corinne Thiérache et Adrien Bansard, Vers un renversement de la charge probatoire de l’originalité d’une œuvre ?, 29 aout 2023, {consulté le 25 novembre 2023}
- Proposition de loi n°860 portant réforme de la preuve de l’originalité de l’œuvre
- Antoine Oury, Originalité de l’oeuvre : une loi pour protéger les créateurs, 11 juillet 2023, {consulté le 26 novembre 2023}