par Linda SEGHAIER, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
Le 11 novembre dernier, une nouvelle émission de téléréalité française, “Frenchie Shore”, a vu le jour. Il s’agit d’une reprise du concept d’un programme américain intitulé “Bienvenue à Jersey Shore”. Diffusée sur la chaîne MTV France et sur la plateforme Paramount+, cette émission centrée autour du quotidien de dix fêtards suscite la polémique en raison de scènes de sexe à peine floutées, de conversations trash et de consommation d’alcool à profusion. La ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, n’a pas tardé à réagir et demande à l’ARCOM de réguler sa diffusion.
La demande de régulation faite par la ministre de la culture à l’ARCOM
Produite par l’animateur Arthur, Frenchie Shore est la version française de la téléréalité américain Jersey Shore. Cette émission suit le quotidien de dix colocataires qui vivent ensemble pendant plusieurs semaines dans une villa au Cap d’Agde, dans le département de l’Hérault, en Occitanie. Cependant cette nouvelle émission ne fait pas l’unanimité auprès des français. Elle est en effet critiquée en raison de la vulgarité de certaines séquences, de la présence de nombreuses scènes de nudité et de la consommation d’alcool. Les politiques n’ont pas tardé à réagir face à l’arrivée de cette nouvelle émission en France, notamment sur les réseaux sociaux.
Bien que cette nouvelle émission ait été conçue pour être diffusée sur des plateformes en ligne, avec des avertissements clairs concernant son contenu explicite et une restriction d’âge (interdite aux moins de 16 ans sur Paramount+ et aux moins de 18 ans sur MTV), des préoccupations émergent au sein des sphères politiques. Ces inquiétudes sont motivées par la diffusion d’extraits de l’émission sur les réseaux sociaux, en particulier sur TikTok, accroissant ainsi leur accessibilité aux mineurs. Cette situation soulève des préoccupations majeures en termes de dangers potentiels et de nécessité de renforcer les mesures de protection des mineurs contre des contenus inappropriés.
Dans le même temps, Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, a souligné que “chaque jour, les réseaux sociaux sont submergés par des contenus de plus en plus violents, erronés et indécents”. Cette déclaration renforce la préoccupation générale concernant la nature préjudiciable de certains contenus circulant sur les plateformes en ligne, notamment ceux destinés aux audiences les plus jeunes.
Plusieurs signalements ont été envoyés à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), notamment par la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak qui s’est indignée dénonçant un programme « à la limite de la pornographie ». Lors d’une interview pour Le Parisien, celle-ci affirme s’interroger sur l’impact de cette diffusion notamment sur les mineurs, précisant que si “ce programme est déconseillé aux moins de 16 ans, n’importe qui peut tomber dessus sur les réseaux sociaux comme ça (lui) est arrivé”. Elle demande ainsi à l’ARCOM d’intervenir en vu de réguler ce programme dans un soucis de protection des mineurs.
L’autorité de régulation appelée, mais pourtant impuissante….
D’après la ministre de la culture, l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) est compétente pour réguler l’émission au titre de la protection des mineurs. Cette émission est diffusée sur deux canaux officiels d’une part, la plateforme Paramount+ et d’autre part, la chaîne MTV. Cependant, les producteurs semblent avoir mis en œuvre des mesures destinées à encadrer la diffusion du programme en tenant compte de la sécurité et de la protection des mineurs. Ainsi, si des mineurs tombent sur cette émission, la question de la responsabilité des parents peut être soulevée. De plus, les producteurs rappellent que cette émission vise un public en particulier et n’est pas destinée à être visionnée par des personnes âgées de moins de 16 ans dans le but de ne pas être sanctionnés par l’autorité de régulation française.
Concernant la diffusion du programme sur la plateforme de streaming Paramount+, Frenchie Shore est déconseillé aux moins de 16 ans et s’offre une diffusion en seconde partie de soirée, après 23 heures. L’émission est diffusée tardivement dans le but de s’éloigner du créneau horaire traditionnellement dédié à un public plus jeune. Cette mesure contribue à minimiser le risque que les mineurs tombent sur le contenu de manière fortuite. De plus, le paiement d’un abonnement est nécessaire pour pouvoir accéder à l’émission sur la plateforme de streaming. L’ARCOM ne semble pas être en mesure de réguler l’émission puisque l’éditeur de Paramount+ est établi à Berlin, ce qui lui permet d’échapper à la législation française.
Concernant la diffusion du programme sur la chaîne MTV, l’ARCOM a bien un rôle en matière de régulation mais ne peut pas intervenir car les règles imposées par l’organisme semblent être respectées. En effet, l’émission est déconseillée aux moins de 16 ans et est diffusée après 23 heures. Cependant, une critique peut être émise concernant les mesures mises en place, notamment la décision de diffuser tardivement l’émission puisque celle-ci peut être vue en replay sur MTV ou regardée directement sur Paramount+. Malgré le fait que certaines mesures mises en place soient critiquables, l’ARCOM ne peut intervenir pour réguler l’émission car l’éditeur de MTV est établi en République Tchèque.
Les producteurs de cette nouvelle émission de télé-réalité ont décidé de se localiser en dehors de la France pour échapper à la compétence de l’ARCOM et ainsi pouvoir diffuser leur émission sans avoir à faire face à un contrôle de la part de l’autorité. Ce n’est pas la première fois qu’une chaîne de télévision décide de se localiser en dehors de la France pour échapper à la législation applicable.
En effet, il y a quelques années, la chaîne de télévision EDONYS avait pour but de diffuser un programme basé sur la vigne et le vin en France. Cependant, le CSA a rejeté ce projet car la loi Evin interdisait la diffusion de toute publicité télévisée pour les boissons alcoolisées. Edonys a pu contourner l’interdiction du CSA et les contraintes liées à la Loi Evin en se délocalisant au Luxembourg sur le canal 213 du bouquet SFR le 23 juillet 2013. Cela lui permettait d’être diffusée aux téléspectateurs français via des bouquets de chaînes européennes.
Ces deux situations permettent de mettre en évidence une tendance récurrente consistant à se délocaliser pour échapper au respect de certaines règles. Face à ces situations répétées, il est légitime de se questionner sur la nécessité de réformer certaines réglementations françaises pour assurer une application efficace et adaptée aux défis posés par l’évolution des médias et des pratiques industrielles.
L’ARCOM n’est donc pas compétente pour réguler l’émission diffusée, comme l’a affirmé la ministre de la Culture ; c’est le régulateur du pays d’implantation qui est compétent pour agir. Mais l’autorité de régulation a tout de même tenté d’agir en demandant à l’autorité allemande de régulation des médias et à son homologue tchèque d’intervenir. Bien que les producteurs aient pris des mesures pour empêcher l’accès des mineurs à l’émission, ces efforts se sont révélés inefficaces. Des extraits de l’émission ont été diffusés sur les réseaux sociaux, permettant ainsi aux mineurs d’y accéder.
La possibilité d’intervenir sur les contenus sexuels diffusés sur les réseaux sociaux
De nombreux extraits de cette nouvelle émission sont diffusés sur les réseaux sociaux, ainsi, de la même manière que la pornographie, le problème qui se pose est la question de la protection des mineurs, c’est l’accès à des contenus interdits aux plus jeunes sur des réseaux sociaux qui inquiète.
Il est alors indispensable de trouver un équilibre entre d’une part la liberté d’expression, d’information et de divertissement et d’autre part le respect et la protection de la dignité humaine, ainsi que la protection des mineurs sur les réseaux sociaux telle que garantie par la directive européenne sur les médias audiovisuels (SMA) datant de 2010.
Pour assurer la protection des mineurs sur les réseaux sociaux, Laurent Marcangeli, président du groupe Horizons à l’Assemblée nationale, a proposé d’instaurer une majorité numérique à 15 ans, qui serait nécessaire pour s’inscrire sur les réseaux sociaux.
De son côté, Roch-Olivier Maistre a dénoncé le rôle des réseaux sociaux dans cette affaire puisque les contenus en cause y sont devenus viraux.
L’ARCOM est donc intervenue auprès des plateformes, aussi bien TikTok que X et Meta, qui ont accéléré leur modération. D’ailleurs, TikTok a annoncé que ses équipes de modération « continuent d’œuvrer diligemment pour garantir la suppression rapide de tout contenu inapproprié associé notamment au hashtag #FrenchieShore ».
C’est la directive SMA et la loi du 30 septembre 1986 qui octroient à l’ARCOM des pouvoirs de régulation et de supervision pour s’assurer que les médias audiovisuels respectent les normes et les règles éthiques, notamment en matière de protection des mineurs. De plus, le DSA (le règlement européen sur les services numériques, adopté en octobre 2022) impose aux plateformes d’agir pour protéger les consommateurs européens. Ainsi, de plus en plus de textes sont adoptés pour garantir un équilibre entre la liberté d’expression et la protection des consommateurs sur les réseaux sociaux.
Cependant, malgré ces efforts, il est important de noter que la lutte contre la diffusion de contenus inappropriés en ligne, en particulier ceux affectant les mineurs, reste un défi complexe. Les plateformes en ligne sont souvent confrontées à un volume massif de contenu, ce qui rend la modération difficile, comme le démontre la compétence limitée de l’ARCOM concernant le cas de Frenchie Shore qui n’est pas localisé en France.
L’autorité de régulation ne peut donc faire plus que de demander aux régulateurs compétents d’intervenir et aux réseaux sociaux de se conformer aux lois et directives, car sur les réseaux sociaux, l’ARCOM peut agir contre la désinformation et la haine en ligne, mais pas contre la diffusion des contenus sexuels. Il faudrait peut-être penser à lui donner davantage de pouvoir.
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