par Jules BEATTIE, étudiant du Master 2 Droit des médias électroniques
Dans un communiqué paru le 20 décembre dernier, l’autorité de la concurrence annonce avoir infligé à la société Sony une amende de 13,5 millions d’euros pour abus de position dominante concernant la commercialisation de manettes de PlayStation 4. Deux points litigieux sont reprochés à Sony : tout d’abord, l’utilisation de contre-mesures techniques sur les manettes fabriquées par des tiers, puis dans un second temps l’octroi ambigu de licences officielles pour les fabricants tiers de manettes.
Cette condamnation révèle une pratique illicite ayant duré de 2015 à 2020 soit quasiment la durée de vie de la console de Sony. L’autorité a été saisie par Subsonic, un fabricant français de manettes de jeux. Concernant les manettes de PlayStation 4, il convient de distinguer trois types de manettes de jeux :
- Celles produites par Sony,
- Celles produites par des fabricants sous licence du groupe Sony,
- Celles produites par des tiers qui ne disposent pas de licence officielle.
Nous nous focaliserons sur les deux dernières, le problème portant, dès lors, sur l’attribution des licences aux sociétés tierces et la lutte contre la contrefaçon.
En quoi l’abus de position dominante de Sony est-il qualifié ?
Pour qu’il existe un abus de position dominante au sens de l’article L.420-2 du code du commerce, trois conditions doivent être réunies :
- Tout d’abord, l’existence d’une position dominante sur un marché déterminé, dit « marché pertinent » ; en l’occurrence la société Sony est la première vendeuse de manettes de PlayStation 4 et de loin par rapport aux sociétés tierces, Sony exerce un véritable monopole, la PlayStation 4 étant la 5eme console la plus vendue au monde[1].
- Ensuite, il faut une exploitation abusive de cette position, en l’espèce la mise en place par Sony de contre-mesures techniques déconnectant les manettes non-officielles ou encore l’octroi de licence pour les fabricants tiers via le programme OLP restant relativement obscur, point sur lequel nous reviendrons.
- Enfin, l’objet ou effet, au moins potentiel, doit être restrictif de concurrence sur le marché. Dans les faits, les mesures mises en place par Sony réduisent la concurrence en orientant le consommateur et le détournant des fabricants tiers. Sony bénéficie d’une image de marque forte tant par la compatibilité parfaite des manettes que par leur fiabilité, les contre-mesures et l’octroi des licences forçant le consommateur à se tourner vers Sony.
L’utilisation de contre-mesures techniques outrepassant le droit français
La société Sony se défend en expliquant que les mesures mises en place n’ont pour but que la lutte contre la contrefaçon. Sous couvert de cette lutte, Sony a implémenté des puces dans ses manettes et celles des fabricants sous licences et a ensuite sciemment déployé des mises à jour déconnectant et créant des dysfonctionnements des manettes non-officielles, qu’elles soient contrefaites ou non. L’Autorité reconnaît un objet légitime dans cette lutte ; toutefois, les mesures employées sont jugées disproportionnées et outrepassent le droit français. L’Autorité, dans son communiqué, se borne à rappeler qu’en droit de la propriété intellectuelle, et plus précisément en droit des brevets, des recours juridictionnels existent.
L’Autorité estime qu’en utilisant des contre-mesures techniques auprès des entreprises dont Sony n’avait pas pu obtenir la condamnation pour contrefaçon devant les juridictions françaises, Sony a enfreint ce qui était strictement nécessaire au regard de l’objectif poursuivi.
La cession opaque de licence, une pratique anticoncurrentielle selon l’Autorité
Sony avait intégré un programme appelé OLP (Official Licensed Product) permettant aux fabricants l’octroi de licences sur sa propriété intellectuelle ainsi que l’attribution de numéros d’identification uniques permettant d’échapper aux déconnexions.
Or, l’autorité révèle que l’intégration à ce programme n’est ni claire ni précise, si bien que certains fabricants possédant la licence se sont vu frapper par les déconnexions et les dysfonctionnements.
Une amende symbolique affirmant le pouvoir de sanction de l’Autorité de la concurrence
De prime abord, l’amende infligée semble loin d’être disproportionnée à la vue des pratiques mises en place par Sony et surtout de leur durée, corrélées avec le nombre d’unités vendues[2]. Cependant, le litige est difficilement quantifiable, mais les pratiques de Sony ont véritablement impacté financièrement les sociétés tierces. Leur réputation a été lourdement affectée comme le rappelle l’Autorité dans son communiqué : « les utilisateurs mécontents ont été découragés d’acheter des manettes des fabricants tiers hors licence, mais en outre que leurs commentaires négatifs ont pu dissuader d’autres utilisateurs de procéder à un tel achat, de sorte que ces nouveaux acheteurs ont logiquement reporté leur choix sur une manette Sony ». L’Autorité a sanctionné Sony par une amende de 13 527 000 euros conformément à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires[3].
Pour la société Sony, les manettes sans licence sont nécessairement des contrefaçons de marque ou des contrefaçons de brevets. L’Autorité rejette cet argument, rappelant que les brevets invoqués par Sony ont expiré pendant la période des pratiques ou étaient sur le point d’expirer. Les contre-mesures techniques pouvaient par conséquent avoir pour effet de prolonger les droits exclusifs conférés par les brevets, même une fois l’invention tombée dans le domaine public.
L’Autorité de la concurrence condamne donc Sony d’avoir voulu se soustraire au droit français en prolongeant ses droits par le biais de contre-mesures techniques couvertes par le programme de cession de licences dont l’accès et l’usage restaient troubles.
[1] Business Data & Sales – Sony Interactive Entertainment
[2] Plus de 113 millions d’unités selon Business Data & Sales – Sony Interactive Entertainment