La condamnation de TF1 dans l’affaire Miss France

par Lola DUSSERRE-BRESSON, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques

Miss France : une émission familiale connue de tous, pour élire la femme qui sera l’incarnation de la beauté dans notre pays, en fonction de critères déterminés à l’avance par son comité. Le concours est, à l’origine, destiné à mettre à l’honneur une jeune femme belle, élégante et intelligente. 

Cependant, avec l’évolution actuelle des mœurs, le concours ne fait pas autant l’unanimité que lors de sa première édition en 1920, et est au cœur de divers scandales. On lui reproche d’encourager l’objectification des femmes que promeut ce concours, notamment en les évaluant principalement sur leur apparence physique, pour n’en citer qu’un. 

Quel étonnement lors de la transmission de l’émission Miss France en 2018, lorsqu’il a été possible d’assister à la diffusion d’images de candidates dénudées, qui se changeaient alors dans les coulisses. Il a été possible pour les 8 millions de téléspectateurs de voir les poitrines des deux candidates. 

La chaîne de télévision TF1, qui diffusait le concours en direct, et la société de production Endemol ont été condamnées pour avoir diffusé la poitrine de ces deux candidates, Carla Bonesso, Miss Aquitaine 2018, et Manon Jean-Mistral, Miss Corse 2018, le 12 décembre 2023, par le Tribunal judiciaire de Lille. 

UNE CONDAMNATION SUR LA BASE DU DROIT À L’IMAGE ET DU DROIT À LA VIE PRIVÉE POUR PRÉJUDICE MORAL.

Les deux entreprises citées précédemment ont été condamnées à verser 40 000 euros de dommages et intérêts à chacune des deux miss ayant subi cette diffusion non consentie : en effet, TF1 et Endemol ont été condamnées pour ne pas avoir respecté le droit à l’image et à la vie privée des deux femmes. 

Selon l’article 9 du Code Civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Cet article concerne aussi le droit à l’image, qui permet à toute personne de s’opposer à la diffusion d’une image sur laquelle elle est reconnaissable ; ainsi, le droit à l’image implique une certaine forme de dignité et de respect de l’intégrité physique et morale. 

Dans le cadre de ce contentieux, il est possible d’identifier Carla Bonesso et Manon Jean-Mistral, lorsque les vidéos de leurs poitrines sont diffusées. La transmission de ces images a certainement dû faire naître chez ces deux jeunes femmes un sentiment de honte et d’humiliation, ce qui est donc à l’origine d’un préjudice moral pour ces dernières. Effectivement, en 2019, Carla Bonesso avait affirmé que cette vidéo avait détruit leur image. 

Ces images relèvent de l’intimité de la vie privée, bien qu’elles aient été diffusées sur une chaîne de télévision publique. Les loges sont considérées comme un espace privé dans lesquelles il n’est pas commun d’être filmé, notamment lorsque l’on participe à un concours dans lequel il faut changer de tenue plusieurs fois. Le fait qu’une caméra ait été installée, sans prévenir les participantes au préalable, semblerait être à l’origine d’une absence de consentement à la captation de ces images. Aucune autorisation n’a été donnée par les plaignantes en ce qui concerne la transmission d’image de l’intimité de leurs corps. 

Il existe certes une exception qui permet de porter atteinte au droit à l’image ou à la vie privée des personnes dans des cas précis : l’événement d’actualité lié à un sujet d’intérêt public légitime, ou encore le débat général de phénomène de société. 

Mais la transmission des poitrines de Miss Aquitaine et Miss Corse 2018 lors de cette émission n’entre clairement pas dans ces deux cas de figure. Cette décision semble importante, car elle permet d’affirmer l’importance du droit au respect à la vie privée et à l’image, qui s’applique également dans ce type de circonstances. 

LE DROIT À L’OUBLI : VERS UNE POSSIBLE SUPPRESSION DES CONTENUS

Actuellement, lorsque l’on tape les noms et prénoms des deux jeunes femmes sur Internet, ces derniers sont directement associés à ce contentieux. Cependant, Carla Bonesso et Manon Jean-Mistral voudraient désormais préserver leur tranquillité et désireraient que soit retirée la mention de leur identité en relation avec cet événement à l’occasion de recherche en ligne. 

Plus problématique encore : il semblerait que ces images se trouvent toujours à l’heure actuelle sur des sites de vidéos pornographiques. C’est pour cela qu’il serait d’un intérêt capital pour Carla Bonesso et Manon Jean-Mistral d’exercer leur droit à l’oubli numérique. 

Le droit à l’oubli, textuellement appelé “droit à l’effacement”, est accordé aux citoyens européens : c’est la possibilité de demander à ce que certaines informations personnelles soient supprimées sur Internet. Il est possible d’exercer son droit à l’oubli si les données sensibles réunissent 4 critères : que les informations ne soient plus d’actualité et n’aient aucun intérêt, qu’elles soient publiées sans le consentement du propriétaire, qu’elles soient obtenues de manière illicite, et qu’elles portent préjudice aux personnes physiques qu’elles concernent. 

Dans le cadre de cette affaire, les deux jeunes femmes qui ont subi une atteinte en voyant leurs poitrines dévoilées lors de l’émission pourraient donc exercer leur droit à l’oubli, en faisant une demande de déréférencement auprès des moteurs de recherche, car elles semblent remplir les conditions nécessaires. Ces images seraient donc moins accessibles pour les internautes. 

D’une manière générale, d’autres avancées pourraient éviter la propagation de ces données sensibles : le futur blocage des sites pornographiques aux mineurs, là où les images des deux jeunes femmes auraient fini par se retrouver, permettrait de favoriser une solution alternative au droit au déréférencement sur Internet. Cette mesure pourrait favoriser la prévention plutôt que la gestion ultérieure des données à caractère sensible comme ces images de poitrines filmées illégalement. 

Il faut cependant prendre en considération le risque d’atteinte à la liberté d’expression : le droit à l’oubli ne doit pas être à l’origine de la censure de cette autre liberté fondamentale. Il semble d’une importance capitale d’équilibrer les droits des personnes physiques qui veulent faire appliquer leur droit à l’oubli et la liberté d’expression.