par Philippe MOURON, Maître de conférences HDR en droit privé – Directeur du Master 2 Droit des médias électroniques – Directeur adjoint du LID2MS
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Dans le cadre d’un partenariat, cet article a également été publié sur le site internet du média Les Surligneurs.
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Le respect du pluralisme interne à un service de télévision peut être apprécié au-delà du temps d’antenne des personnalités politiques invitées sur le plateau, car la liberté d’expression inclut le droit du public à recevoir une information pluraliste.
Pascal Praud s’est indigné face à Christophe Deloire de l’arrêt rendu par le Conseil d’Etat ce mardi 13 février. Celui-ci enjoint à l’ARCOM de réexaminer la demande de RSF tendant à mieux faire respecter les obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information de la chaîne CNews. Le présentateur a répondu pour sa défense : « Quand j’invite Sandrine Rousseau, Jean-Luc Mélenchon tous les jours et qu’ils ne viennent pas, je fais comment ? (…) Ils refusent la conversation, c’est eux qui ne veulent pas venir ! ». RSF est-elle « contre la liberté d’expression » ? Autrement dit, le pluralisme à la télévision va-t-il à l’encontre de la liberté d’expression ? Faux… mais la question de Pascal Praud soulève une vraie problématique.
Pourquoi une exigence de pluralisme politique ?
Si la liberté d’expression permet la libre expression des idées et des opinions, elle implique aussi un droit pour le public à recevoir des informations reflétant différents courants de pensée socioculturels et politiques : le pluralisme. C’est pourquoi la Constitution charge le législateur (article 34) de prévoir des garanties à la liberté, mais aussi et en même temps d’assurer le pluralisme des médias.
Cette exigence est particulièrement poussée à l’égard des services de médias audiovisuels, qui doivent respecter à la fois un pluralisme des acteurs (pluralisme externe) et un pluralisme des points de vue exprimés au sein de chaque média (pluralisme interne). Les services de télévision étant regardés par le plus grand nombre de personnes, le respect d’un pluralisme interne, donc des points de vue, en matière politique doit donc être regardé avec vigilance, eu égard aux enjeux démocratiques qui s’y attachent. L’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 dispose à cet effet que la liberté d’expression en matière audiovisuelle peut être limitée pour assurer le respect « du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion ». L’exigence de pluralisme est donc consubstantielle à l’exercice de la liberté d’expression.
RSF, ni même le Conseil d’État ou le droit français, n’est donc pas « contre » la liberté d’expression, Christophe Deloire, son secrétaire général, tenant seulement à rappeler que cette liberté d’expression implique aussi le respect d’une certaine diversité dans certains domaines.
Qu’en est-il des déclarations de Pascal Praud ?
Sur ce point, Pascal Praud insinue qu’il aurait été privé de la possibilité de respecter cette exigence dans son émission, réputée pour aborder des préoccupations politiques notoirement classées « à droite ». Or il est vrai que cette obligation questionne à la fois la ligne éditoriale des médias audiovisuels et leur capacité d’action.
L’article 13 de la loi du 30 septembre 1986 en précise la portée en deux parties : la première, très générale, rappelle que l’ARCOM assure « le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d’information politique et générale » ; la seconde est relative au décompte des « temps d’intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d’information, les magazines et les autres émissions des programmes ». Sur ce second point, l’ARCOM a adopté une délibération affirmant que les partis et groupements politiques doivent bénéficier d’un temps équitable d’intervention au regard de leur représentativité au Parlement et dans le débat politique national, sans préciser plus en détails la qualité des personnalités à inviter.
Aussi, on peut rétorquer à Pascal Praud qu’il peut toujours inviter d’autres personnes que Sandrine Rousseau et Jean-Luc Mélenchon pour garantir la représentation d’autres courants politiques. Et cela devrait être d’autant plus facile avec la décision rendue par le Conseil d’Etat.
Vers une nouvelle appréciation du pluralisme politique
En substance, le Conseil d’Etat a dissocié les deux parties de l’article 13 précité, ce pourquoi il demande à l’ARCOM d’apprécier le pluralisme politique de façon plus globale. L’autorité doit désormais aller au-delà de l’appréciation du temps d’antenne, qui a surtout une finalité informative pour le Parlement.
Autrement dit, le respect du pluralisme politique devra être examiné sur l’ensemble des programmes et l’ensemble des participants, « chroniqueurs, animateurs et invités », comme le dit le Conseil d’État. D’autres personnes, à commencer par des journalistes ou des représentants d’organisations de la société civile, ou même des universitaires, pourraient dès lors être sollicitées, pour peu qu’elles représentent suffisamment de courants d’opinions différents. Cela élargit donc le spectre des invitations que Pascal Praud pourra envoyer.
N’en déplaise aux critiques dont elle fait l’objet, l’ARCOM s’était jusqu’à présent montrée assez souple avec l’émission L’heure des pros. Saisie à plusieurs reprises de plaintes en raison de propos jugés choquants, elle a jugé que ceux-ci, « pour orientés qu’ils aient été », s’inscrivaient bien dans le cadre de la liberté d’expression, qui inclut les informations et idées « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’Etat ou une fraction quelconque de la population » (CEDH, Handyside c./ Royaume-Uni, 7 décembre 1976, n° 5493/72). La décision du Conseil d’État va obliger l’ARCOM à revoir sa copie, et à opérer un nouvel équilibre, subtil, entre pluralisme politique et respect de la ligne éditoriale.
La balle est dans le camp de Cnews…