par Alexia RAMOS, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
La mise en place d’un dispositif de vidéosurveillance algorithmique lors des Jeux Olympiques
Le 13 septembre 2017, Paris a été désignée pour accueillir les Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Pour répondre aux enjeux d’organisation et de sécurité de cet événement, un projet de loi a été conçu puis promulgué le 19 mai 2023, par le biais d’une procédure accélérée, après que le Conseil constitutionnel ait jugé le texte partiellement conforme à la Constitution.
Cette loi a introduit notamment le recours à un système de vidéosurveillance algorithmique à titre expérimental ; l’article 9 de la loi dispose que « des systèmes de vidéoprotection peuvent être mis en œuvre sur la voie publique par les autorités ». Ainsi, les images captées par les caméras de surveillance seront associées à des algorithmes et à l’intelligente artificielle afin de repérer en temps réel des évènements prédéfinis, jugés suspects ou à risques, avant d’alerter un opérateur qui avertira à son tour la police.
Le souhait du gouvernement de pérenniser le système de vidéosurveillance algorithmique
Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, avait précisé que le mécanisme se limiterait à la période des Jeux Olympiques. Or, lors de sa déclaration de politique générale début octobre, le nouveau premier ministre Michel Barnier s’est dit en faveur de la généralisation de la vidéosurveillance algorithmique pour surveiller l’espace public, cela avant même la fin de l’expérimentation le 21 mars 2025 et la publication d’un rapport d’évaluation.
Cette volonté a notamment été partagée par le préfet de police de Paris, L. Nuñez, suite à la constatation d’un « bilan positif », et à l’installation de 185 caméras en région parisienne. Selon la préfecture de police, la vidéosurveillance algorithmique a « démontré son utilité ». Pensée pour être exceptionnelle, la mise en œuvre du dispositif aurait donc vocation à devenir permanente.
Le glissement dangereux vers une « société de surveillance » de masse
L’annonce a été faite avant même que le rapport du comité d’évaluation ne se prononce quant à la pérennisation du mécanisme ; pourtant, selon MP. Gontrie1, des erreurs ou inefficiences ont été constatées quant à la détection des comportements dits « anormaux ». F. Tréguer2 précise que le dispositif n’en est qu’au stade de la recherche et du développement, les Jeux Olympiques n’étaient que « le terrain de jeu pour l’expérimenter ». Ainsi, parler d’ores et déjà d’une généralisation semble prématurée, car il apparait nécessaire d’attendre la publication du rapport d’évaluation.
De plus, la mise en place d’un tel dispositif révèle de nombreuses implications juridiques et de potentielles répercussions. En effet, les algorithmes de surveillance « dopés à l’intelligence artificielle » identifient en temps réel les comportements anormaux ; il peut s’agir d’une personne ou d’un véhicule à contre-sens, d’un sac abandonné, d’un mouvement de foule… ces évènements sont prédéfinis.
Les détracteurs s’interrogent sur la définition d’une situation dite « anormale », sur l’impartialité du prompt, sur les risques en matière de respect de la vie privée ou encore sur la marginalisation de certains individus. En effet, Félix Tréguer s’inquiète de la normalisation d’un tel dispositif de surveillance en soulignant que ce sont les modèles informatiques qui définissent la norme et établissent les critères ; il mentionne la technique de la « vision par ordinateur ».
Aussi, K. Roux3 a alerté sur l’amplification des risques de stigmatisation et de discrimination, les algorithmes sont générés par des humains qui prédéfinissent les prompts, et ces données peuvent reproduire des erreurs humaines ou contenir des biais discriminatoires, comme l’illustre l’affaire « Compas4 ». Bien que le déploiement de cette technologie soit présenté par le gouvernement comme la solution aux enjeux de sécurité, celle-ci ne doit pas être assurée au détriment des libertés individuelles.
Les menaces d’une surveillance exhaustive sur les droits fondamentaux et libertés publiques
L’Union européenne est considérée comme un « bloc géopolitique attaché à la défense des droits humains » ; pourtant la France est le premier pays à légaliser le système de vidéosurveillance algorithmique. Cette légalisation est d’autant plus étrange que l’hexagone est doté d’une déclaration des droits de l’Homme, une telle technique de surveillance, totale et permanente, serait incompatible avec la société démocratique et fait écho aux pratiques du régime chinois qui utilise déjà massivement le dispositif.
La légalisation de ce dispositif soulève de nombreux enjeux préoccupants concernant les droits et libertés des citoyens. Les associations craignent une surveillance généralisée. En effet, l’utilisation d’une telle technologie contreviendrait au droit au respect de la vie privée proclamé à l’article 9 du code civil qui dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit est également garanti par la Constitution selon la décision du Conseil constitutionnel du 18 janvier 1995 qui rend l’autorité judiciaire « gardienne de la liberté individuelle ». De plus, selon la décision du 23 juillet 1999, le Conseil constitutionnel rattache le droit au respect de la vie privée aux « droits naturels et imprescriptibles de l’Homme » de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Bien que ce droit soit fondamental, la mise en place d’un tel mécanisme supposerait le respect d’une certaine proportionnalité, l’objectif, légitime, étant d’identifier en temps réel les situations anormales. Mais pour cela le logiciel doit scruter les moindres faits et gestes des individus dans l’espace public. Or une telle analyse des comportements peut être assimilée à une ingérence des autorités dans le droit à la vie privée. Une telle intrusion doit être nécessaire et proportionnée, évaluée au cas par cas par les autorités, à défaut il pourrait s’agir d’une dérive autoritaire du gouvernement.
De plus, pour fonctionner, l’algorithme collecte et analyse une quantité massive de données personnelles, ce sont toutes informations se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable. Le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) pose les principes relatifs au traitements de ces données, et selon l’article 5 le traitement doit être licite, loyal et transparent au regard de la personne concernée. Le titulaire doit avoir consenti à la collecte ou a minima avoir été informé des finalités (déterminées, explicites et légitimes), ce qui n’a pas été démontré.
Selon Yoann Nabat5, le système soulève des risques en termes de droits et libertés des citoyens, l’expansion est envisagée alors qu’aucun cadre législatif solide n’a encore été élaboré, « sans une analyse rigoureuse des risques éthiques et sans la moindre consultation citoyenne » qui serait pourtant d’utilité publique au regard de la dangerosité et des répercussions d’une surveillance générale.
Une dérive inquiétante vers la normalisation de la reconnaissance faciale
La reconnaissance faciale est un dispositif qui permet d’identifier des personnes dans l’espace public en temps réel en comparant les visages avec une base de données. A contrario, la vidéosurveillance analyse et automatise le réseau de caméras pour signaler des comportements suspects.
Si le dispositif de vidéosurveillance algorithmique est généralisé, la question se pose de savoir si la reconnaissance faciale, bien que jusque-là toujours écartée, ne sera pas envisagée à des fins sécuritaires dans les mois ou années à venir car entre les deux technologies il n’y a qu’un pas, qu’une fonctionnalité.
Selon Cédric O6, le gouvernement avait prévu à l’origine l’utilisation et la légalisation de la reconnaissance faciale lors des Jeux Olympiques avant de se « raviser au regard de la sensibilité politique » tant cette technique est une menace pour la liberté.
Bien que la tendance actuelle soit au renforcement des pouvoirs de contrôle et des mesures de surveillance qui deviennent la norme, un garde-fou doit être mis en place contre les dérives d’une normalisation d’une surveillance de masse car selon M. Foucault7 il s’agit plutôt « d’un projet de fantasme policier […] surveillance permanente, exhaustive et omniprésente » plus qu’une simple mesure de sécurité.
RAMOS Alexia.
SOURCES :
- Public Sénat : https://www.publicsenat.fr/actualites/societe/videosurveillance-algorithmique-lexperimentation-pendant-les-jo-une-simple-etape-vers-la-generalisation
- Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/10/19/la-generalisation-de-la-videosurveillance-algorithmique-fait-peser-des-risques-majeurs-sur-nos-ibertes_6355859_3232.html
- Amnesty International : https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/pourquoi-la-videosurveillance-algorithmique-pose-probleme-cameras-technologies
- Rapport du Sénat : https://www.senat.fr/rap/r23-527/r23-5271.pdf
- France Info : https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/info-franceinfo-la-videosurveillance-algorithmique-experimentee-pendant-les-jo-va-etre-generalisee-par-le-gouvernement-barnier_6812678.html
- Avocate, sénatrice et vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale ↩︎
- Chercheur au CNRS, membre de la quadrature du net et auteur de « La surveillance policière à l’ère de l’IA » ↩︎
- Spécialiste des technologies et droits humains, chargée de plaidoyer Libertés à Amnesty International France ↩︎
- IA qui assistait le juge des libertés et de la détention américain pour calculer automatiquement le risque de récidive des détenus, or le mécanisme était fondé sur un critère racial discriminatoire du fait des données sélectionnées ↩︎
- Fondateur de l’Observatoire de la surveillance en démocratie ↩︎
- Secrétaire d’État au numérique de 2019 à 2020 ↩︎
- Auteur de « Surveiller et punir » ↩︎