Le refus de la Commission européenne de qualifier la plateforme X comme contrôleur d’accès en vertu du règlement européen sur les marchés numériques

par Jessim BENSEDDIK, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques

Dans le sillage de la nouvelle régulation européenne entrée en vigueur depuis le 6 mars 2024 visant l’activité des grandes plateformes en ligne, la Commission européenne a conclu le mercredi 16 octobre 2024 que la plateforme en ligne nommée X ne pouvait raisonnablement pas être qualifiée de « contrôleur d’accès ». Cela revient in fine à ne pas lui appliquer les obligations légales qui découlent de cette dénomination en vertu du règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act).

Par cette volonté de refuser la qualification de contrôleur d’accès à la plateforme X, la Commission européenne précise encore un peu plus la notion de « Gatekeeper » et ne considère pas, dans les faits, que la plateforme en ligne joue un rôle central d’intermédiation entre les utilisateurs professionnels et les utilisateurs finaux.

Une définition des contrôleurs d’accès d’avantage précisé par la Commission européenne 

Le Règlement sur les Marchés Numériques ou Digital Markets Act constitue avec le Digital Services Act la nouvelle régulation européenne visant les activités en ligne, l’un axé sur la régulation des plateformes et des marchés et l’autre axé sur la régulation des contenus publiés en ligne. 

À ce titre, la Commission européenne désigne les contrôleurs d’accès « Gatekeeper » comme des plateformes ayant un impact suffisamment significatif sur le marché intérieur européen et qui leur permettrait de jouir d’une position solide et durable. 

Par conséquent, la Commission européenne cible spécifiquement le rôle d’intermédiation opéré par les plateformes entre les acteurs professionnels et les utilisateurs finaux.

Cette décision fait écho à une décision similaire rendue le 6 septembre 2023 par la Commission européenne qui procédait du même raisonnement en désignant six acteurs comme contrôleurs d’accès à savoir Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et enfin Microsoft mais en refusant de désigner la société Samsung comme contrôleur d’accès au sens du règlement sur les marchés numériques (DMA), déclarant que le navigateur internet « Samsung Internet Browser » ne constituait pas un point d’accès majeur pour les services de plateformes essentiels.

Rappelons qu’une entreprise sera qualifiée de contrôleurs d’accès au sens du DMA en fonctions de trois critères.

En premier lieu figure « l’activité de la plateforme » qui devra comprendre la fourniture d’un des dix services essentiels visés par le règlement (services d’intermédiation, moteurs de recherche, navigateur web, cloud, réseaux sociaux, assistants virtuels, plateformes de partage de vidéos, messageries, système d’exploitation, services de publicité). 

En second lieu, le positionnement de l’entreprise sur le marché doit être jugé incontournable, solide et durable dans l’Union européenne. 

Enfin et c’est sur ce dernier critère que notre attention se porte, l’entreprise doit fournir un service dit de plateforme essentiel qui « constitue le point d’entrée majeur permettant à ce titre aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux ».

La Commission européenne décide donc, après une étude de marché approfondie menée en 2024, de rejeter la qualification de contrôleurs d’accès envers la plateforme en ligne X en se basant sur des seuils quantitatifs fixés par le DMA pour fonder sa décision.

La volonté de cibler les entreprises remplissant les critères de définition et de seuils quantitatifs 

L’article 3 du DMA dispose qu’une entreprise fournissant un service de plateforme essentiel devra être considérée comme un contrôleur d’accès si au cours du dernier exercice, elle a pu rassembler près de 45 millions d’utilisateurs finaux actifs par mois ou des utilisateurs finaux actifs situés dans l’Union européenne ainsi que 10 000 entreprises utilisatrices actives par an établies dans l’Union européenne. 

En cela, le règlement vise les entreprises qui constituent des acteurs majeurs au sein du marché économique européen avec une position économique durable et tout particulièrement les géants technologiques comme anciennement nommés : les GAFAM.

C’est en faisant ainsi une stricte application des seuils quantitatifs précités que la Commission européenne a rejeté la qualification de contrôleurs d’accès pour la plateforme X. Bien qu’elle comptabilise plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels actifs dans l’Union européenne, le nombre d’entreprises actives sur la plateforme chaque année serait inférieur au seuil des 10 000 entreprises fixé par le Digital Markets Act.

Cette décision est suffisamment importante car elle donne une clé de compréhension du DMA dans l’appréhension de la notion de contrôleurs d’accès. 

Ainsi, la plateforme en ligne X ne se cantonnerait qu’à un simple rôle d’hébergement de contenus en ligne sans jouer un rôle d’intermédiaire pour les transactions commerciales ou les interactions directes entre les utilisateurs professionnels (sociétés commerciales) et les utilisateurs finaux (les consommateurs).

En d’autres termes, la plateforme en ligne X ne représenterait pas une plateforme incontournable pour les utilisateurs professionnels qui chercheraient à atteindre une audience ciblée à l’instar de la société Booking qui a été désignée par la Commission européenne comme contrôleur d’accès le lundi 13 mai 2024 après avoir constaté qu’elle atteignait les deux seuils quantitatifs requis et fixés par le règlement.

La décision place ainsi le débat sur le terrain du modèle économique proposé par la plateforme en ligne X, l’absence d’une fonction de passerelle centrale entre les deux groupes d’utilisateurs (entreprises et consommateurs) est mise en lumière par la Commission européenne qui constate « une échelle d’engagement plus faible » pour les entreprises à destination des consommateurs de la plateforme en ligne X, sans pour autant donner plus de précisions chiffrés.

Cette décision peut s’analyser comme suffisamment cohérente dans la mesure où la plateforme en ligne X ne réunit pas le même nombre d’utilisateurs professionnels que des contrôleurs d’accès comme Amazon ou Booking et qui constituent quant à elles, un point d’accès inéluctable et majeur entre les entreprises et les consommateurs.

Pour autant, la notion de « passerelle » utilisée par la Commission aurait tout intérêt à être davantage complété, car la plateforme en ligne X pourrait, à terme, changer son modèle économique et cela pourrait poser des interrogations sur son rôle d’intermédiation entre utilisateurs professionnels et utilisateurs finaux.

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