par Thomas CHEVALIER, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Depuis quelques années, le réseau social originaire de Chine, TikTok, est parvenu à se faire une place aux côtés des acteurs traditionnels du milieu comme Instagram, X (anciennement Twitter) ou encore Snapchat. En effet, la plateforme aurait dépassé le milliard d’utilisateurs actifs dans le monde, parmi lesquels on en compterait environ 150 millions au sein de l’Europe. Cette montée en puissance, permise en grande partie par la crise de la Covid-19 et les confinements qui y sont associés, se poursuit toujours à l’heure actuelle notamment grâce à de nouvelles fonctionnalités mises en œuvre pour renouveler l’offre de la plateforme.
Pour autant, cette expansion fait face à un réel frein au sein de l’Union européenne depuis l’adoption du Digital Services Act, entré en vigueur le 17 février 2024. En effet, c’est en vertu de ce règlement que le réseau social TikTok a été déclaré « très grande plateforme » par la Commission européenne, le 25 avril 2023. En raison de ce statut particulier, la plateforme fait face à des obligations accrues à l’égard des utilisateurs européens.
C’est dans cette optique qu’après une procédure formelle, la Commission européenne a rendu contraignant l’engagement pris par TikTok de retirer son nouveau programme intitulé TikTok Lite Rewards au sein de l’Union européenne.
La conclusion d’une procédure formelle contre TikTok
La décision de la Commission européenne marque l’aboutissement de la procédure formelle ouverte à l’encontre du réseau social le 22 avril 2024 suite au lancement de la fonctionnalité TikTok Lite en France et en Espagne. Cela s’inscrit dans le cadre de l’article 66 du Digital Services Act, permettant à la Commission d’ouvrir une telle procédure, au cours de laquelle elle est habilitée à prendre des mesures d’exécution pouvant consister en des mesures provisoires ou des décisions de non-conformité.
Toutefois, ce n’est pas allé aussi loin puisque le réseau social, de lui-même, a pris l’engagement de retirer la fonctionnalité, suscitant les préoccupations de la Commission, au sein de l’Union européenne. Or, en application de l’article 71 du règlement, la Commission a la possibilité de rendre un engagement contraignant pour le fournisseur de la très grande plateforme ou du très grand moteur de recherche, ce qu’elle a fait par une décision du 5 août 2024.
Une fonctionnalité problématique selon la Commission européenne
TikTok Lite s’inscrit dans un programme intitulé Task and Rewards permettant aux utilisateurs d’obtenir des récompenses suite à l’exécution de certaines tâches telles que visionner et liker des vidéos, s’abonner à des créateurs de contenus, inviter des amis sur TikTok… Les récompenses en question correspondent à des points qui sont ensuite convertibles en centimes d’euros ou en bons d’achat sur des sites internet tels qu’Amazon.
Les préoccupations initiales éprouvées par la Commission relevaient du fait que la plateforme n’avait pas effectué d’évaluation des risques systémiques préalablement à la mise en service de TikTok Lite en France et en Espagne. Or, il s’agit d’une obligation pour les très grandes plateformes en vertu de l’article 34 du règlement sur les services numériques. Cette disposition prévoit que l’évaluation doit être exercée au moins une fois par an et en amont du déploiement d’une fonctionnalité susceptible de favoriser des risques tels que la diffusion de contenus illicites, l’atteinte aux droits fondamentaux ou encore l’atteinte à la protection des mineurs et au bien-être physique et mental de la personne.
En l’occurrence, c’est cette dernière atteinte potentielle qui a inquiété la Commission européenne. En effet, même si le système de récompenses n’était ouvert qu’aux personnes âgées de plus de 18 ans, le réseau social TikTok ne dispose pas d’un système efficace de vérification de l’âge des utilisateurs. Ainsi, une telle fonctionnalité aurait pu engendrer une éventuelle addiction des mineurs aux réseaux sociaux et donc une atteinte à leur santé mentale. D’après les mots du Commissaire au marché intérieur, Thierry Breton, « Le temps cérébral disponible des jeunes Européens n’est pas une monnaie pour les médias sociaux, et ce ne sera jamais le cas ».
C’est dans cette optique que la Commission européenne a rendu contraignant l’engagement de la plateforme TikTok. D’ailleurs, l’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, a salué ce retrait qui témoigne de la « capacité de la Commission européenne et des régulateurs nationaux à exiger des acteurs numériques un comportement plus responsable ». En effet, cette décision est bienvenue dans la mesure où il s’agit de la première procédure formelle close en vertu du DSA, étant précisé qu’à l’heure actuelle, de nombreuses très grandes plateformes font l’objet d’une telle procédure, au rang duquel on retrouve Meta, X ou encore Aliexpress.
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