par Lina BLANCO BARON, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Le mépris pour la justice par le réseau social X a conduit le juge fédéral brésilien à ordonner le blocage de la plateforme, constituant ainsi une limitation à l’exercice de la liberté d’expression.
Le plus grand pays d’Amérique latine rejoint la liste des nations ayant bloqué le réseau social X. En effet, le juge fédéral Alexandre de Moraes en a ordonné le blocage au motif que la plateforme favorise la désinformation.
Cette décision n° PET-12404 du 30 août 2024 a été adoptée en réaction à l’obstination démontrée par Elon Musk, propriétaire du réseau social, qui refusait de soumettre sa plateforme à la réglementation Brésilienne. Ladite décision mentionne que la plateforme a joué un rôle important dans « la diffusion de fausses informations, dans la propagation de discours extrémistes ainsi que de menaces et d’appels à la violence à l’encontre des forces de l’ordre, de personnalités publiques ou de leurs familles » .
Une mesure ancrée dans un enjeu politique
Ces incidents ont été produits à l’occasion des dernières élections présidentielles brésiliennes, qui ont eu lieu en octobre 2022. Ces élections se sont soldées par la victoire du président Luis Inácio Lula da Silva ; un événement qui a porté un coup sévère à l’ex-président Jair Bolsonaro, représentant de l’extrême droite. Ces élections ont été très médiatisées en raison des accusations de fraude électorale proférées par ce dernier, ce qui a entraîné une série d’actes compromettant la sécurité du pays.
À la suite de tous ces événements, le juge Moraes a ordonné au réseau social X de fermer les comptes soupçonnés de diffuser de la désinformation. Cependant, le magnat américain a refusé de se conformer à la décision judiciaire, annonçant la fermeture de son bureau au Brésil, et déclarant qu’il s’agissait d’une tentative de censure. Les autorités brésiliennes ont interprété ce refus comme une obstruction au bon fonctionnement de la justice et ont ordonné la cessation immédiate des activités de X sur le territoire brésilien.
Une mesure qui a mis dans la balance les limites de la liberté d’expression mais aussi la portée de la lutte contre la désinformation. Un problème juridique qui, de nos jours, englobe diverses conséquences s’étendant aux sphères sociales, politiques et économiques. Dans ce contexte, la question reste ouverte : cette mesure était-elle conforme au droit ?
La sécurité numérique: une nécessité, loin de la censure
Cette mesure s’est construite au fil du temps et n’est en aucun cas un acte arbitraire, ni ne constitue une tentative de censure. Dans le contexte politique et social du Brésil, la mesure peut être considérée comme une manière de mettre un terme aux abus d’un gouvernement extrémiste, caractérisé par des attaques contre la presse, les journalistes et les médias traditionnels, au point de placer la censure au centre de l’appareil politique de Bolsonaro.
Cette mesure vient répondre à deux faits principaux : d’une part, l’obstruction du bon fonctionnement de la justice brésilienne, ce qui, en vertu de l’article 359 du code pénal brésilien, constitue un délit nommé « désobéissance à une décision judiciaire » ; d’autre part, elle vise à réagir à l’exécution de diverses campagnes de désinformation menées par de nombreux sympathisants de Jair Bolsonaro et qui, selon le Tribunal fédéral, sont considérées comme de véritables « milices numériques » incitant à des infractions pénales. Ces actes sont passibles de sanctions en vertu de l’article 286 du Code pénal brésilien ainsi que de la loi n° 12.850 de 2013 relative aux organisations criminelles.
Les fondements juridiques susmentionnés ont servi de base à la décision rendue par le Tribunal fédéral, établissant ainsi un précédent en matière de régulation des réseaux sociaux dans le cadre de la lutte contre la désinformation.
Une décision marquante pour la lutte contre la désinformation.
Cette affaire met en lumière un précédent dans la justice brésilienne, mais également pour l’ensemble de l’Amérique latine, compte tenu du manque de législation actuelle pour encadrer les plateformes numériques. En adoptant une mesure d’une telle dimension, le Brésil encourage les systèmes juridiques des pays latino-américains à renforcer la régulation des médias numériques, en particulier, dans la lutte contre la désinformation. Malgré l’existence d’une première loi visant à réguler l’internet (loi 2.126/2011 dénommée « Marco Civil »), un cadre juridique plus strict s’avère nécessaire. À titre d’exemple, plusieurs pays européens ont déjà adopté le règlement visant la régulation des grandes plateformes, comme les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, à savoir le « Digital Services Act » (DSA). Toutefois, il convient de noter que la régulation des réseaux sociaux et des services de communication numérique est en constante évolution.
La liberté d’expression a été un des sujets fondamentaux examinés dans la décision du Tribunal fédéral. Toutefois, il ne faut pas oublier les limites qui encadrent cette liberté qui, dans le contexte socio-politique actuel du Brésil, s’avère être une mesure appropriée, nécessaire et proportionnée. Cette situation a plongé le pays dans une crise critique, exacerbée par la diffusion croissante de fausses informations et le refus persistant de se conformer aux régulations brésiliennes. Par ailleurs, ce contexte a favorisé l’incitation à des actes criminels via les réseaux sociaux, dirigée en grande partie par X.”
En outre, il demeure essentiel de renforcer la modération des contenus et d’assurer la transparence des algorithmes employés à cet effet. Plusieurs pays européens, tels que la France, ont déjà entamé des démarches en ce sens, notamment par l’application de l’article 34 du Règlement sur les services numériques (DSA).
La modération des contenus apparaît comme essentielle, particulièrement en période électorale, comme c’est actuellement le cas au Brésil, avec les élections municipales qui ont eu lieu au mois d’octobre 2024. La prolifération de fausses informations soulève un certain nombre de défis, impactant des enjeux aussi variés que la sécurité nationale, la défense de la démocratie, la prévention de la haine en ligne et la manipulation de l’opinion publique. Dans cette optique, assurer un espace numérique propre devient une nécessité pour préserver les principes fondamentaux de la société et promouvoir un usage responsable des plateformes numériques.
Sources :
Lois:
- Code pénal brésilien. 2024. https://www.wipo.int/wipolex/fr/legislation/details/544
- Loi « MARCO CIVIL ». Loi N° 12.965, DE 23 DE ABRIL DE 2014. https://www.planalto.gov.br/ccivil_03/_ato2011-2014/2014/lei/l12965.htm
- Loi 12.850 du 2 août 2013. https://www.planalto.gov.br/ccivil_03/_ato2011-2014/2013/lei/l12850.htm
Décision du Tribunal fédéral brésilien:
- Décision de justice PET-12404. 2024. https://noticias-stf-wp-prd.s3.sa-east-1.amazonaws.com/wp-content/uploads/wpallimport/uploads/2024/08/30171714/PET-12404-Assinada.pdf
Articles de presse:
- Le figaro. 2024. Blocage de X au Brésil : un changement technique opéré par le réseau social lui permet de contourner sa suspension. https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/suspension-de-x-au-bresil-un-changement-technique-opere-par-le-reseau-social-lui-permet-de-contourner-sa-suspension-20240918
- Meyerfeld Bruno. 2024. Au Brésil, avec la suspension de X, le Tribunal suprême fédéral durcit son bras de fer avec Elon Musk. https://www.lemonde.fr/pixels/article/2024/08/31/au-bresil-avec-la-suspension-de-x-le-tribunal-supreme-durcit-son-bras-de-fer-avec-elon-musk_6300056_4408996.html
- Ndior Valère. 2024. Le réseau X suspendu au Brésil : une décision qui pourrait inspirer d’autres pays. https://www.leclubdesjuristes.com/international/le-reseau-x-suspendu-au-bresil-une-decision-qui-pourrait-inspirer-dautres-pays-6815/
- Nicas Jack. 2024. The New York Times. https://www.nytimes.com/es/2024/02/08/espanol/bolsonaro-brasil-acusado.html
- Radio France. 2024. Interdiction de X au Brésil : le duel entre Elon Musk et un juge de la Cour suprême. https://www.radiofrance.fr/franceinfo/podcasts/comprendre-le-monde/interdiction-de-x-au-bresil-le-duel-entre-elon-musk-et-un-juge-de-la-cour-supreme-2759709