Une œuvre d’art réalisée par un robot humanoïde vendue aux enchères pour 1,08 million de dollars : quelle réponse du droit d’auteur face aux créations de l’IA ?

Par Pauline CHARLEUX, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

Pour la première fois dans l’histoire, le 7 novembre 2024, une œuvre d’art conçue par un robot humanoïde a été adjugée pour la somme impressionnante de 1,08 million de dollars lors d’une vente aux enchères organisée par Sotheby’s. Le robot, nommé Ai-Da en hommage à Ada Lovelace, pionnière de l’informatique, a été imaginé par le galeriste britannique Aidan Meller. Doté de caméras dans ses yeux et de mains bioniques, Ai-Da utilise des algorithmes d’intelligence artificielle (IA) pour peindre, dessiner et même écrire de la poésie.  

Grâce à son système, Ai-Da analyse les images qu’elle perçoit, transforme ces données en instructions via des algorithmes de machine learning, et les transmet à ses membres robotisés pour créer des œuvres entièrement autonomes, sans intervention humaine.  

L’œuvre vendue, un portrait déstructuré d’Alan Turing, pionnier de l’informatique et de l’intelligence artificielle, a été décrite par Ai-Da comme un hommage philosophique à la vision et à l’héritage de Turing. Pour Sotheby’s, la mise en vente de ce tableau au même titre que ceux d’artistes contemporains marque un changement de paradigme : les machines ne sont plus de simples outils, mais des actrices à part entière dans le processus créatif.  

La question de l’attribution des droits d’auteur

Ce succès pose une question juridique majeure : qui peut revendiquer les droits d’auteur pour une œuvre produite par une IA comme Ai-Da, capable de créer 24h/24 sans intervention humaine directe ?  

En France, une telle protection semble exclue. Le droit d’auteur exige qu’une œuvre soit originale et qu’elle reflète la personnalité de son auteur. L’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) dispose que seule une personne physique peut être considérée comme auteur. Par conséquent, une œuvre générée exclusivement par une IA ne peut pas être protégée par ce cadre juridique. Même le concepteur de l’IA, bien qu’il ait défini ses paramètres, ne peut être reconnu comme l’auteur de l’œuvre puisqu’il n’intervient pas directement dans le processus créatif, mais dans le développement de l’outil. Ces œuvres restent donc non protégées en France.  

Aux États-Unis, la situation est similaire. En août 2023, un tribunal américain (US District Court for the District of Columbia) a refusé de reconnaître une protection par copyright pour une image générée entièrement par une IA, affirmant que la création humaine est une condition indispensable à l’obtention de ce droit.  En revanche, au Royaume-Uni, une approche différente est adoptée. Le Copyright, Designs and Patents Act de 1988 (CDPA) prévoit la possibilité de protéger des œuvres générées par ordinateur, mais attribue ces droits à la personne ou entité ayant orchestré la création, et non à l’IA elle-même.  

Vers un droit sui generis pour les créations de l’IA ?

Face à ces limitations, certains plaident pour la mise en place d’un droit sui generis, spécifique aux œuvres générées par IA. Ce cadre permettrait de répondre à plusieurs questions complexes : qui devrait bénéficier de cette protection ? L’utilisateur, le concepteur de l’IA, ou l’entité propriétaire de l’outil ?  

Certains experts, comme Jane Ginsburg, directrice du Kernochan Center for Law, Media, and the Arts à l’Université Columbia, estiment qu’un cadre juridique supplémentaire pourrait être superflu en l’absence d’un auteur humain. D’après elle, il paraît difficilement envisageable d’attribuer des droits d’auteur « sur un objet qui manque d’auteur ». Elle estime que la notion d’auteur perdrait son essence même, et cela pourrait poser des risques pour les auteurs des œuvres « classiques ». D’autres plaident pour une approche pragmatique : considérer toute création qui ressemble à une œuvre de l’esprit comme éligible à une forme de protection, quelle que soit son origine.  

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSLPA), dans un rapport intitulé « Mission intelligence artificielle et culture » paru le 27 janvier 2020, a cherché des pistes pour protéger ces œuvres face à l’absence de réponse du régime de droit d’auteur. Parmi les propositions se trouvent celle de créer un droit voisin, ou encore établir un droit spécial de propriété littéraire et artistique qui dresserait un cadre de protection adaptée aux spécificités des créations générées par l’IA.

En outre, une proposition de loi du 12 septembre 2023, visant à encadrer l’intelligence artificielle par le droit d’auteur, a laissé entrevoir une possible évolution législative en prévoyant que « lorsqu’une œuvre est créée par une intelligence artificielle sans intervention humaine directe, seuls les auteurs ou ayants droit des œuvres ayant contribué à la conception de l’œuvre artificielle seraient titulaires des droits ». Mais cette proposition n’a pas suivi son cours.

Finalement, l’émergence de l’intelligence artificielle dans la création artistique redéfinit nos cadres juridiques et philosophiques traditionnels. Si certains perçoivent l’IA comme une extension de la créativité humaine, d’autres la considèrent comme une entité autonome. La vente record de l’œuvre d’Ai-Da marque le début d’une nouvelle ère, où machines et humains cohabitent sur la scène artistique. 

Sources :

https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/le-tableau-dun-robot-humanoide-vendu-aux-encheres-pour-un-million-deuros-une-premiere-08-11-2024-LNIRKHUGS5HBBGGZLKRVU6SN7M.php
https://www.liberation.fr/culture/arts/la-premiere-oeuvre-dun-robot-humanoide-vendue-aux-encheres-pour-un-million-deuros-20241108_4H7XIGRWWZBPFKOW4AGHU7V6UM
https://www.grandeecolenumerique.fr/les-metiers-porteurs/qu-est-ce-ia-intelligence-artificielle-generative
https://observatoire-ia.pantheonsorbonne.fr/entretien-jane-ginsburg-notion-dauteur-lere-lintelligence-artificielle

Dalloz actualité – IA et création : pas de régulation par le droit d’auteur – Ophélie Wang, Docteure en droit – 10 mai 2023

 

Dalloz actualité – IA générative : le début des difficultés, ou quand l’IA et l’humain concourent à la création – Noémie Enser, Docteur en droit, Chercheur associé au CERDI, Avocate au Cabinet Vercken & Gaullier – 13 octobre 2023