par Thomas CHEVALIER, étudiant du Master 2 Droit des médias électroniques
Meta, entreprise incontournable du secteur des nouvelles technologies, spécialisée dans le développement de plateformes numériques, doit aujourd’hui son succès en particulier à trois réseaux sociaux, Facebook, Instagram et WhatsApp. Pour autant, en dépit de cette notoriété, Meta compte parmi les entreprises les plus sanctionnées par la Commission européenne au regard des réglementations sur les services numériques. Encore récemment, la société américaine a été condamnée à payer la somme considérable de 91 millions d’euros pour s’être rendue responsable du stockage, sans protection, de mots de passe d’utilisateurs.
Face aux manquements répétitifs des géants du net, l’entrée en vigueur du Digital Services Act, le 17 février 2024, est apparue comme une véritable solution. Ce règlement européen vient poser une réglementation stricte à l’égard des services numériques et en particulier des très grandes plateformes. L’entreprise Meta a été qualifiée comme telle en avril 2023 et doit donc se conformer aux obligations supplémentaires dont elle fait l’objet, depuis le 25 août 2024.
Malgré tout, les réseaux sociaux appartenant à Meta sont encore fréquemment les cibles de critiques selon lesquelles les contenus publiés ne seraient pas assez vérifiés. C’est d’ailleurs dans cette optique que la Commission européenne a ouvert une procédure formelle à l’encontre de la société, le 16 mai 2024, pour étudier les mesures mises en place pour la protection des mineurs sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Instagram.
Pour se mettre davantage en conformité avec la réglementation européenne et ainsi éviter d’autres éventuelles sanctions, l’entreprise américaine a annoncé, le 8 octobre dernier, mettre en place un nouvel organe extrajudiciaire de règlement des différends sur les plateformes de réseaux sociaux, appelé Appeals Centre Europe.
La contestation extrajudiciaire des décisions de modération
Depuis le 13 novembre 2024, l’Appeals Centre Europe permet à tout utilisateur, résidant dans l’Union européenne, de contester la suppression d’un contenu ou d’un compte. Ainsi, comme l’affirme le PDG Thomas Hugues, cet organisme prend la forme d’une « cour d’appel » composée d’experts, de journalistes, de défenseurs des droits… Cependant, il n’a évidemment pas pour but de remplacer la justice classique qui reste toujours de droit pour l’utilisateur.
La personne souhaitant recourir à ce mode de résolution des litiges doit simplement verser une somme de cinq euros qui lui sera directement remboursée si elle obtient gain de cause. Par ailleurs, en ce qui concerne la plateforme à l’origine de la décision de modération, elle doit débourser un montant de cent euros pour chaque cas. Quant au délai, il est prévu que le différend soit réglé en maximum 90 jours, et 180 jours pour les cas les plus complexes, étant précisé que l’utilisateur peut suivre l’avancée de son litige en ligne. Enfin, il est prévu que la décision prise par l’organisme soit accompagnée de motivations claires et précises.
L’objectif poursuivi par Meta est ici de se conformer davantage au Digital Services Act qui prévoit, en son article 20, la possibilité d’effectuer des recours internes contre les décisions de modération des contenus sur les réseaux sociaux. Le texte précise à ce titre, que les contestations doivent être traitées « en temps opportun, de manière non-discriminatoire, diligente et non arbitraire ».
Le géant américain est même allé au bout de la démarche en créant un organisme extrajudiciaire de toutes pièces, comme cela est prévu à l’article 21 du DSA. Bien que les décisions de celui-ci ne soient pas contraignantes, les plateformes doivent s’engager de bonne foi à les respecter. Dans le cas contraire, elles devront se justifier auprès de l’autorité de régulation.
Visant à apporter davantage de transparence, de simplicité, d’impartialité, mais aussi à réduire les coûts liés à la justice, l’approche poursuivie par Meta semble opportune. C’est pourquoi l’Appeals Centre Europe a été certifié par l’autorité de régulation des médias irlandaise.
Le recours à cet organisme est, pour l’heure, possible pour Facebook, Youtube et TikTok, étant précisé, qu’il est prévu à l’avenir de l’élargir à d’autres plateformes de réseaux sociaux.
Toutefois, en dépit de tous ces avantages, le nouvel organe n’a pas encore fait l’unanimité.
Des préoccupations quant à l’indépendance et l’impartialité de l’organisme
La principale source d’appréhension réside dans le financement de l’Appeals Centre Europe qui repose sur un investissement de 15 millions d’euros de la part de l’Oversight Board, ou Centre de surveillance en français, créé par Meta en 2020. Par ailleurs, d’autres inquiétudes ont été soulevées en ce qui concerne la composition de l’organisme. En effet, Thomas Hugues, désigné pour en prendre la direction, n’est autre que l’ancien directeur du Conseil de surveillance. Il en va de même pour les trois premiers administrateurs qui faisaient eux aussi partie de cette organisation.
Or, l’article 21 du Digital Services Act, relatif aux organes extrajudiciaires de règlement des différends, leur impose de faire preuve d’impartialité et d’indépendance, et ce, même financièrement. Ainsi, il est légitime de s’interroger sur l’avenir du Centre d’appels et de sa relation avec la société Meta.
À ce sujet, le PDG de l’Appeals Centre Europe, a affirmé que l’organisation est distincte en tout point du géant du net américain et que le financement de départ a seulement pour objectif de lancer le programme. En effet, selon ses dires, les financements futurs reposeront en intégralité sur les frais payés par l’utilisateur et la plateforme pour chaque recours à l’organisme.
Un bilan contrasté à l’égard de la création de Meta
Si toutes ces préoccupations semblent fondées, seul l’avenir pourra nous permettre d’apprécier l’efficacité et l’indépendance de l’organisme mis en place depuis peu. En tout état de cause, à l’heure actuelle, il faut reconnaître que le projet du géant américain apparaît comme pertinent et bénéfique pour la sphère numérique et en particulier pour les réseaux sociaux.
Par ailleurs, il est également important de noter que, contrairement à son homologue américain, l’Oversight Board, l’Appeals Centre Europe promet un traitement manuel de tous les recours, sans exceptions. Ainsi, ce nouvel organisme paraît prometteur et encourageant.