L’Australie va imposer aux géants du web de rémunérer les médias pour l’utilisation de leurs contenus

par Pauline CHARLEUX, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

L’Australie souhaite contraindre Meta et Google à rémunérer les médias pour les contenus d’information qu’ils relaient, à moins que les plateformes n’acceptent de conclure des accords avec les médias locaux. Ce programme a été dévoilé le jeudi 12 décembre par Michelle Rowland, ministre australienne des Communications.

Précisément, le gouvernement australien envisage de taxer les moteurs de recherche et les réseaux sociaux dont les revenus annuels dépassent 160 millions de dollars américains pour leurs activités en Australie. Le seul moyen pour ces entreprises d’être exemptées de cette taxe est de conclure des accords commerciaux avec les médias australiens.

En 2021, l’Australie avait déjà voté une loi visant à contraindre les GAFAM à conclure des accords sur les droits voisins avec les médias. Cependant, Meta refuse de reconduire ces accords. En effet, Meta a annoncé qu’il ne prolongerait pas ces derniers lorsque ceux-ci arriveront à expiration en mars prochain. Face à cela, le gouvernement australien a proposé cette taxe pour inciter les plateformes à rémunérer les médias, tout en évitant de les pousser à retirer les informations de leurs sites. Une situation similaire s’était produite au Canada après l’adoption, en juin 2023, de la loi C-18 sur l’information en ligne obligeant les GAFAM à conclure des accords commerciaux équitables avec la presse canadienne. Afin de contourner cette loi, Meta avait alors bloqué l’accès aux articles de presse pour les utilisateurs canadiens de Facebook et Instagram, suscitant de vives réactions.

La situation économique des médias face aux plateformes

Cette nouvelle taxe australienne s’inscrit dans un contexte de dégradation économique des médias, fragilisés par la domination des géants du web. En effet, les revenus publicitaires, essentiels à la viabilité des médias, sont largement accaparés par Meta et Google, qui proposent de la publicité ciblée et ultra-personnalisée, attirant ainsi les annonceurs. 

De plus, une étude de l’Université de Canberra a démontré que plus de la moitié des Australiens s’informent désormais via les réseaux sociaux. En conséquence, de nombreux journaux australiens mettent la clé sous la porte, et des journalistes perdent leurs emplois. Michelle Rowland a souligné la volonté du gouvernement australien de soutenir les médias, piliers de la démocratie. « La croissance rapide des plateformes numériques ces dernières années a bouleversé le paysage médiatique australien et menace la viabilité du journalisme d’intérêt public », a-t-elle déclaré.

Stephen Jones, membre de la chambre des représentants australienne, a également affirmé : « Les plateformes numériques tirent d’importants avantages financiers de l’Australie et ont une responsabilité sociale et économique de contribuer à l’accès des Australiens à un journalisme de qualité. ».

L’Australie s’inspire de la réglementation européenne pour défendre ses médias

L’Australie suit l’exemple de l’Union européenne, qui a adopté le 17 avril 2019 la directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique. Cette directive visait à compléter et modifier la législation de 2001 pour adapter les droits voisins et les droits d’auteur au contexte numérique.

Concrètement, l’article 15 de la directive permet aux médias d’être rémunérés lorsque leurs contenus sont relayés par les plateformes. En France, la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 a transposé cette directive et créé un nouveau droit voisin. Celui-ci bénéficie aux éditeurs et agences de presse dans le cadre de l’utilisation numérique de leurs publications.

Selon l’article L.218-2 du Code de la propriété intellectuelle, ce droit voisin est d’ordre patrimonial et confère à l’agence ou à l’éditeur de presse un droit exclusif d’autoriser « toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique par un service de communication au public en ligne ».

Mais la mise en œuvre de ce dispositif s’est avérée bien plus compliquée qu’il n’y paraît.

La difficile mise en œuvre de la directive européenne

En octobre 2022, un rapport parlementaire soulignait l’opacité du système des droits voisins. En outre, les contentieux visant à faire valoir ces droits se multiplient depuis 2019. Le 12 novembre 2024, plusieurs titres de presse, tels que Le FigaroLe Parisien ou encore Le Monde, ont annoncé qu’ils poursuivaient le réseau social X (anciennement Twitter) pour non-respect de la directive européenne sur les droits voisins.

Cette action fait suite à un référé déposé plus tôt en 2024 auprès du tribunal judiciaire de Paris. Le juge des référés, le 24 mai 2024, avait donné raison aux requérants et ordonné à X de fournir aux titres de presse les données permettant de calculer les revenus générés par l’exploitation des contenus de presse. Face à la non-communication de ces données par la plateforme, les requérants ont demandé sa mise en demeure et engagé une procédure devant le tribunal judiciaire.

Cette action s’inscrit dans la lignée de celle menée le 8 novembre 2024 par l’Alliance pour la presse d’information générale (Apig) contre Microsoft. Une cinquantaine d’éditeurs de presse, majoritairement régionaux comme Ouest-France ou le groupe Ebra, réclament à Microsoft le versement de plusieurs millions d’euros pour la rémunération des droits voisins.

L’Apig déclare que cela fait plusieurs années que les éditeurs de presse demandent la communication des données nécessaires, mais que Microsoft continue à se dérober à cette obligation. « Le respect des droits voisins représente un enjeu vital pour la survie et l’indépendance des médias d’information, ainsi que pour le financement du journalisme professionnel », a déclaré l’Apig. 

Le 15 mars 2024, l’Autorité de la concurrence a infligé à Google une amende de 250 millions d’euros pour non-respect de ses engagements pris en 2022. Ces accords visaient à garantir la mise en œuvre des droits voisins des éditeurs de presse dans le cadre de négociations menées de bonne foi. Cette affaire démontre finalement que le droit de la concurrence peut aussi venir en aide au titulaire des droits voisins. 

Les médias australiens risquent donc d’être confrontés à des défis similaires, en dépit de la volonté politique de leur garantir un meilleur partage de la valeur tirée des contenus qu’ils produisent.

Sources :

  • Basire, Y., & Goffic, C. L. (2021). L’essentiel du droit de la propriété littéraire et artistique Ed. 2. Gualino
  • Laurence Idot, professeur émérite de l’université Paris-Panthéon-Assas. Google et l’affaire des droits voisins : quand l’Autorité de la concurrence fixe un cadre à des négociations contractuelles. Revue des contrats mars 2022, n° 01, page 86, n° RDC200n7