par David INDAHY, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Le 10 octobre dernier, le sénateur Francis Szpiner (ancien avocat pénaliste), a déposé une proposition de loi qui permettrait à nouveau aux avocats d’effectuer une reproduction par tout moyen, notamment par scanner portatif ou prise de photographies d’un dossier de la procédure pénale. Concrètement, si cette proposition de loi est adoptée, les avocats auront de nouveau le droit de photographier ou scanner un dossier pénal auprès des greffes à l’aide de leurs smartphones ou d’un appareil dédié.
Bras de fer entre avocats et magistrats
Par l’introduction de l’article 10 du décret du 13 avril 2022, portant application de la loi pour la Confiance dans l’institution judiciaire, l’article D 593-2 du code de procédure pénale prévoyait qu’un « avocat, son associé ou son collaborateur avait la possibilité, à l’occasion de la consultation d’un dossier, de réaliser lui-même une reproduction de tout ou partie des éléments du dossier par tout moyen, et notamment par l’utilisation d’un scanner portatif ou la prise de photographies. »
Cette disposition en faveur des droits de la défense et pionnière en matière pénale a été fortement encouragée et son entrée en vigueur a été saluée par le Conseil national du barreau.
Toutefois, cette réforme judiciaire n’aura pas fait long feu. Le 24 juillet dernier, à la suite de requêtes déposées par l’Union Syndicale des Magistrats et l’Association Française des Magistrats Instructeurs, le Conseil d’État est finalement revenu sur cette prérogative tant sollicitée par les avocats.
De fait, par le biais de la rédaction de cette proposition de loi en collaboration avec le Conseil national du barreau, le sénateur LR souhaiterait donc qu’un nouvel article accordant cette possibilité aux avocats soit inséré directement dans la partie législative du code de procédure pénale, se conformant au passage aux règles de compétences prévues par la Constitution.
La numérisation de la justice au cœur des enjeux
Pour rappel, la loi ne prévoit pour l’instant que la « consultation » du dossier pénal par l’avocat, et ce, auprès des greffes des juridictions. À leur grand regret donc, les avocats exercent leur droit de consultation parfois dans des conditions inadéquates.
En effet, dans la pratique, consulter les dossiers pénaux uniquement auprès des greffes ralentit l’avocat pénaliste dans l’organisation de sa défense et lui est préjudiciable pour son efficacité. En effet, les avocats sont obligés de s’adapter constamment et assimiler différentes informations en un temps record au risque de passer à côté d’un élément essentiel du dossier.
D’ailleurs, à la suite de l’annulation de cette disposition en juillet 2024, Philippe Baron, le Président de la commission numérique du CNB a réagi sur les réseaux sociaux en déclarant que :
« Ce sont des mois de discussions avec le Ministère de la justice pour faciliter la tâche des avocats mis à néant… On retrouve la consultation des dossiers dans des couloirs ou sur de ridicules tables mises à notre disposition. »
« ça donne vraiment envie de continuer d’œuvrer pour une numérisation de la justice ! »
De surcroit, cette situation n’est guère à l’avantage des droits de la défense et l’adoption de cette disposition faciliterait le travail des auxiliaires de justice.
De son côté, dans un communiqué du 6 août 2024, la FNJUA a déploré « un regrettable retour en arrière sur une avancée majeure pour la profession d’avocat ».
Protection des données personnelles et secret de l’instruction
Accorder aux avocats la prérogative de pouvoir numériser un dossier pénal par eux même implique de se conformer à l’obligation de sécurité prévue par le RGPD. Finalement, ici, la protection des données personnelles est sous-jacent au secret de l’instruction. Ainsi, l’avocat serait le Responsable de traitement des données personnelles de son client.
Plusieurs problématiques sont alors soulevées :
Un dossier pénal étant susceptible de contenir des adresses, des noms, des extraits de vidéosurveillance, des données relatives à des condamnations pénales ou encore des données sensibles telles qu’une opinion religieuse, quelles seront donc les mesures techniques et organisationnelles appropriées afin de garantir un niveau de sécurité adaptées aux risques que représenteraient ce dispositif ?
Comment sécuriser la numérisation des données lorsque l’avocat utilise son téléphone à titre professionnel et personnel ?
Quelle procédure est prévue en cas de perte ou de vol de l’appareil utilisé ?
N’y a-t-il pas un risque que des données judiciaires françaises soient conservées sur un Cloud établi dans un État tiers ?
A juste titre, les avocats implorent une numérisation de la justice et la machine est d’ores et déjà lancée. Cela implique la mise en œuvre de mesures concrètes pour assurer la sécurité des données numérisées et la réponse serait un cadre législatif équilibré et adapté à ce dispositif.
Affaire à suivre, la proposition de loi n’a pas encore été inscrite à l’Ordre du jour du sénat.