par Thomas CHEVALIER, étudiant du Master 2 Droit des communications électroniques
Elon Musk, à la tête de X, Tesla et Space X, n’a de cesse de vouloir développer son emprise sur le marché des nouvelles technologies. Depuis quelques années, il a pour ambition de concurrencer son ancienne start-up OpenAI, à l’origine de ChatGPT dont le succès est considérable dans le monde. C’est aujourd’hui chose faite puisqu’il a lancé en fin d’année 2023, Grok, son propre chatbot. Le but de cette intelligence artificielle, développée par la société xAI, est similaire à celles que l’on connaît d’ores et déjà comme ChatGPT, Gemini ou encore Claude, puisqu’elle vise à répondre à toute question de l’utilisateur et à générer des images sur les instructions de ce dernier.
À l’origine, Grok était disponible sur la plateforme du réseau social X seulement pour les utilisateurs disposant de l’abonnement Premium, mais a par la suite été rendue accessible gratuitement pour tous, en décembre 2024. À première vue, certains pourraient arguer qu’il s’agit d’un simple chatbot supplémentaire sur le marché de l’IA, mais en réalité, Grok aspire à un avenir prometteur. En effet, compte tenu de l’influence grandissante d’Elon Musk, notamment aux États-Unis, le nouveau chatbot dispose d’avantages importants en termes d’exposition, mais aussi de budget puisqu’une levée de fonds de 6 milliards de dollars a été annoncée le 23 décembre dernier. De plus, Elon Musk compte bien tout mettre en œuvre pour devenir numéro 1 sur le marché de l’intelligence artificielle.
Mise en place d’une version mobile et d’un site web pour Grok
Avec la mise en service d’une application mobile et le développement futur d’un site web, Elon Musk concrétise la sortie du chatbot de son réseau social X. Jusqu’à présent seulement accessible sur la plateforme, cela lui permet d’élargir encore davantage son public cible tout en poursuivant son ambition d’être de plus en plus présent sur le web.
Concrètement, cette nouvelle application ne présente pas de différences significatives par rapport à la fonctionnalité accessible sur X, mais est tout de même parvenue, en quelques heures, à se placer en haut des classements d’applications sur l’App Store aux États-Unis.
Ce qui fait le succès de ce système d’intelligence artificielle réside principalement dans la possibilité de générer des visuels de très haute qualité et de pouvoir converser avec un chatbot agréable et humoristique, ce qui n’est pas forcément le cas en ce qui concerne ChatGPT par exemple.
Pour autant, l’IA d’Elon Musk soulève de nombreuses inquiétudes depuis son lancement et est très loin de faire l’unanimité encore aujourd’hui.
Des inquiétudes quant à la désinformation des utilisateurs
Le réseau social X est aujourd’hui l’une des plateformes les plus pointées du doigt quand il s’agit de désinformation. Or, étant approvisionné en permanence par des contenus publiés sur X, il n’est pas étonnant que le nouveau système d’intelligence artificielle fasse l’objet de préoccupations à ce sujet.
Si Grok fait autant polémique, c’est en grande partie en raison de sa capacité à générer des images très, voire trop réalistes. En effet, il a notamment été utilisé pour diffuser des photos mettant en scène des célébrités et/ou des personnalités politiques, parfois décédées, dans le but d’amuser ou de choquer les utilisateurs. À titre d’exemple, un cliché représentant le général Charles de Gaulle, Jacques Chirac et l’actuel président de la République Emmanuel Macron, sur la place du Trocadéro à Paris, a circulé de manière massive sur le réseau social d’Elon Musk au cours du mois dernier et il est loin d’être le seul.
Ce réalisme impressionnant pose véritablement problème puisqu’il permet à toute personne de réaliser ce que l’on appelle des deepfakes, c’est-à-dire des images manipulées et publiées sur internet dans un but parodique ou pornographique. Cela participe grandement à la désinformation en ligne puisqu’il est pratiquement impossible de faire la distinction entre les vraies images et celles qui ont été préalablement manipulées.
Là où d’autres systèmes d’intelligences artificielles tels que Dall-E, développé par OpenAI, posent des restrictions notamment en rendant impossible l’utilisation de personnalités politiques pour la génération d’une image, Grok ne semble pas faire état de préventions de ce type. Elon Musk ne s’en cache pas et assume sa volonté de favoriser la diffusion d’images virales.
Pour autant, ce n’est pas la seule fonctionnalité inquiétante puisque l’outil conversationnel risque d’être de plus en plus inapproprié. Reprochant à ses rivaux du marché de l’IA d’être trop « woke » et trop restreints, le milliardaire américain souhaite se distinguer en proposant un chatbot totalement libéré, drôle et plus proche de la réalité. Il aurait même pour projet de développer un « mode déséquilibré », davantage provocateur et offensant par rapport à la version classique. Cette course à la viralité que poursuit Elon Musk n’est pas sans soulever des questionnements quant à l’augmentation de la haine en ligne et de la désinformation. Si les conditions générales du chatbot posent clairement l’interdiction d’utiliser celui-ci pour attiser la haine et la violence, il est tout de même légitime d’exprimer quelques doutes, surtout quand on constate l’usage qui est fait du réseau social X aujourd’hui. En ce qui concerne la désinformation, Grok enjoint à l’utilisateur de vérifier les faits qui pourraient être erronés, mais cela risque de ne pas être suffisant.
Une mise en service incertaine sur le territoire européen
Pour l’heure, la version mobile de Grok est exclusivement accessible sur iPhone aux États-Unis, en Inde et en Australie. La société xAI n’a encore fait aucune annonce sur une possible arrivée en Europe ou encore sur Android. Cela n’est pas vraiment étonnant dans la mesure où Grok a déjà eu affaire à la Commission irlandaise pour la protection des données concernant l’utilisation des données des Européens pour entraîner le système d’intelligence artificielle. Si la question est aujourd’hui réglée, suite à un engagement permanent pris par le réseau social X, il est possible que les développeurs du chatbot éprouvent quelques craintes quant à d’éventuelles futures sanctions.
De plus, la plateforme X est depuis quelque temps dans le collimateur de la Commission européenne. En effet, en décembre 2023, une procédure formelle a été ouverte, en application de l’article 66 du Digital Services Act, suite à des préoccupations concernant la modération des contenus sur le réseau social. À ce titre, la Commission a d’ailleurs annoncé le 17 janvier dernier approfondir son enquête et prononcer de nouvelles mesures à l’encontre de X, soupçonné de favoriser les fausses informations et tromper les utilisateurs.
Ainsi, le contexte semble mal choisi pour la mise en service d’une version mobile de Grok sur le territoire européen, d’autant plus que depuis l’investiture du Président Donald Trump et la nomination d’Elon Musk au gouvernement, les appels au boycott du réseau social, provenant d’institutions et de médias européens, se multiplient.