par Marie SAMPAIO, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Le 13 novembre 2024, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a infligé deux sanctions pécuniaires à la chaine d’information CNews, l’une de 50 000€ et l’autre de 100 000€, soit un montant total de 150 000€.
Ces sanctions font suite à deux séquences diffusées sur la chaine d’information CNews. La première, diffusée en septembre 2023, a propagé et commenté de fausses informations sur la mise à disposition d’une salle de prière par un collège de Pau lors d’un voyage scolaire, et la seconde en février 2024 lors d’une émission qui a présenté l’avortement comme « la première cause de mortalité ». Au regard de ces deux émissions, l’ARCOM a décidé de sanctionner la chaine d’information pour absence de rigueur dans le traitement de l’information. Ces deux sanctions s’inscrivent dans une longue série de manquements, au nombre de 52, relevés par l’ARCOM à l’encontre des chaînes d’information du groupe Bolloré, CNews et C8. Ces infractions portent principalement sur des obligations fondamentales telles que le pluralisme de l’information, la maîtrise de l’antenne, la publicité ou encore la diffusion.
À travers cette nouvelle décision de l’ARCOM face à ces deux sanctions, plusieurs problématiques pertinentes peuvent être soulevées : comment l’ARCOM va-t-elle encadrer les pratiques éditoriales des chaines d’informations tout en préservant la liberté d’expression ? quels sont les risques pour le débat public et la confiance des téléspectateurs envers les médias quand la réalité est détournée ?
Controverse autour du lien entre avortement et mortalité chez CNews
Le 25 février 2024, la chaine d’information CNews diffuse son émission dominicale intitulée « En quête d’esprit ». Lors de cette émission, le présentateur a affirmé que selon l’Institut Worldometer, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) était présentée comme la « première cause de mortalité dans le monde ». Il a ajouté qu’il y en aurait « 73 millions en 2022, soit 52% des décès », tandis qu’une infographie présentait l’avortement comme la première cause de « la mortalité dans le monde » avant le cancer et le tabac. Suite à ces déclarations, l’ARCOM a sanctionné CNews pour un manquement à ses obligations d’honnêteté et de rigueur dans le traitement de l’information et sur son obligation de maitrise de l’antenne.
Les présentateurs télévisés sont soumis à une obligation essentielle : celle d’assurer l’honnêteté et la rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Cependant, l’ARCOM nous informe qu’en l’espèce, c’est cette obligation qui n’a pas été respecté dans le cas de l’émission « En quête d’esprit ». En effet, il ressort du compte-rendu du visionnage de cette émission que le présentateur s’est simplement contenté de lire et de diffuser une infographie à l’écran présentant l’avortement comme une cause de mortalité, sans analyser en profondeur ni la critiquer. Cette séquence a heurté de nombreux téléspectateurs, et à raison, notamment du fait que l’avortement n’est pas un droit universellement reconnu dans tous les pays, et que, selon l’Organisation mondiale de la santé, on recense entre 39 000 et 47 000 femmes décédées chaque année des suites d’une IVG non médicalisée.
Au-delà d’un problème éthique et moral de présenter l’IVG d’une telle façon, un problème juridique sous-jacent réside dans la manière dont l’information a été présentée. En qualifiant l’avortement comme une cause de mortalité, CNews reconnait indirectement que le fœtus et l’embryon sont des personnes dotées de la personnalité juridique, or, en droit français, ils ne sont pas reconnus en tant que personnes. L’ARCOM insiste bien dans son rapport pour affirmer que « l’avortement ne saurait être présenté comme une cause de mortalité », car cela impliquerait une reconnaissance juridique du fœtus ou de l’embryon en tant que personne.
L’ARCOM a sanctionné CNews pour deux manquements majeurs lors de cette émission. Premièrement, le présentateur a failli à son devoir de critiquer l’infographie, alors que cette affirmation était manifestement inexacte, et il n’y a eu aucune contradiction de la part des autres personnes présentes sur le plateau. Cette situation caractérise un manquement de l’éditeur de l’article 2-3-7 de sa convention du 27 novembre 2019 et de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018, selon lesquelles l’éditeur est tenu de faire preuve d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. Deuxièmement, concernant l’obligation de maitrise de l’antenne, il ressort du visionnage que personne sur le plateau n’a pris la parole pour contredire ou nuancer les propos erronés du présentateur. De fait, l’ARCOM sanctionne CNews car il s’agit là d’un manquement à l’article 2-2-1 de la convention du 27 novembre 2019 précitée. L’ARCOM prononce une sanction de 100 000€ à l’encontre de la société éditrice de la chaîne.
Laïcité, désinformation et sanction pour « Morandini Live »
La seconde émission sanctionné par l’ARCOM le 13 novembre 2024, concerne l’émission « Morandini Live », connue pour son décryptage de l’actualité qui est débattue entre chroniqueurs autour d’un plateau. Le 28 septembre 2023 lors d’une séquence consacrée à la laïcité dans les établissements scolaires, un débat animé est lancé à partir d’une information inexacte. Le débat repose sur une allégation concernant l’installation d’une salle de prière pour des élèves musulmans à l’occasion d’une sortie scolaire organisée par un collège de Pau. Ce qui aggrave la situation, c’est que cette affirmation, initialement publiée par un journal, évoque des pressions exercées par des parents musulmans sur l’établissement. Plus encore, le bandeau affiché à l’écran durant toute la durée de la séquence, intitulé « Pau : un collège cède aux pressions de parents musulmans », est venu appuyer ces allégations.
Le réel problème est que les chroniqueurs se sont servis de cette information non vérifiée pour dénoncer un phénomène présenté comme plus large : l’absence du respect de la laïcité dans les établissements scolaires. Il s’agit d’un des sujets qui suscite le plus de débats sur les plateaux télévisés. L’ARCOM estime ici que ce visionnage a contribué à nourrir un débat sur le plateau, malgré la sensibilité extrême du sujet, régulièrement à l’origine de vagues de haine. De plus, il a également permis aux présentateurs d’adopter des positions virulentes et controversées. Qui plus est, les faits relayés n’avaient pas fait l’objet de vérifications suffisantes, s’étant avérés inexacts. Enfin, l’éditeur n’avait pas pris soin d’accompagner leur présentation de précautions oratoires concernant leur véracité, alors qu’il est soumis à une vigilance particulière sur la gestion du discours diffusé à l’antenne.
L’ARCOM a sanctionné CNews pour omission à l’obligation d’honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. En effet, l’autorité de régulation a jugé que cette situation caractérise « un manquement de l’éditeur aux stipulations de l’article 2-3-7 de sa convention et aux dispositions de l’article 1er de la délibération du 18 avril 2018, auxquelles il renvoi, selon lesquelles l’éditeur est tenu de faire preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information. L’ARCOM prononce une sanction de 50 000 € à l’encontre de la société éditrice de la chaîne ».
Déontologie bafouée et nécessité des éditeurs d’un traitement rigoureux de l’information
L’ARCOM rappelle ainsi aux éditeurs leur responsabilité essentielle dans le respect des cadres légaux et déontologiques, nécessaires à la garantie d’un débat public sain et équilibré. Cette nouvelle condamnation reflète non seulement un besoin impérieux de régulation renforcée, mais également un appel clair aux éditeurs pour qu’ils remplissent leurs devoirs en matière de rigueur, d’honnêteté et de pluralisme dans le traitement de l’information.
Ces nouvelles amendes s’inscrivent dans un contexte où les chaînes du groupe Bolloré, CNews et C8, ont cumulé 52 manquements relevés par l’ARCOM ces dernières années. Ces infractions touchent des obligations fondamentales : pluralisme de l’information, maîtrise de l’antenne et rigueur éditoriale. En juillet dernier, cette situation avait déjà conduit l’ARCOM à ne pas renouveler l’autorisation de diffusion de C8 et NRJ12 sur la TNT.
La question essentielle est de savoir comment concilier la régulation des chaines d’informations télévisées avec le respect de la liberté d’expression. Bien que l’ARCOM applique ses missions afin que les journalistes appliquent les standards qui leur sont demandés, les infractions répétées de cette chaine d’information appellent à un encadrement encore plus strict des pratiques éditoriales. Ces fausses informations diffusées et débattues conduisent à froisser la confiance des auditeur ainsi qu’à la qualité des débats publics.
Sources complémentaires :
- Émission « En quête d’esprit » diffusée le 25 février 2024 : sanction pécuniaire à l’encontre de l’éditeur du service, 14 novembre 2024, ARCOM
- Émission « Morandini Live » diffusée le 28 septembre 2023 : sanction pécuniaire à l’encontre de l’éditeur du service, 13 novembre 2024, ARCOM