par Pauline PIETRI, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
L’application TikTok est une véritable série télévisée à elle-seule : on la retrouve régulièrement sur le devant de la scène médiatique pour des faits souvent dépréciatifs à son égard. La plateforme croule sous les rappels à l’ordre de la part des autorités de contrôle dans le monde entier, souvent pour des raisons de sécurité et de vie privée. Expliquant ainsi pourquoi de nombreux pays comme la France, l’Australie ou bien le Danemark ont restreint l’accès à TikTok aux membres du gouvernement et fonctionnaires.
Le 17 janvier 2025, la Cour Suprême des États-Unis a interdit le téléchargement de la plateforme dans un délai de 48 heures, à moins que celle-ci soit cédée à une entreprise américaine. Rien de surprenant puisque déjà lors du premier mandat de Donald Trump, le gouvernement tentait de restreindre l’utilisation de l’application.
Fondée sur la loi « HR 7521, Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act » (PAFACA), la Cour Suprême des États-Unis explique sa décision par le fait que le Parti communiste chinois aurait accès aux données des utilisateurs de TikTok et manipulerait les algorithmes de la plateforme. Le gouvernement craint une manipulation de l’opinion américaine, la hausse de la désinformation ou encore la surveillance des activités des utilisateurs par la plateforme.
Le débat autour de la constitutionnalité de la loi PAFACA
TikTok a contesté la constitutionnalité de la loi PAFACA en déclarant qu’elle violait la liberté d’expression du Premier Amendement. En effet depuis la décision « Packingham contre Caroline du Nord » de 2017, les réseaux sociaux bénéficient du Premier Amendement de la Constitution de 1787, interdisant au Congrès de restreindre l’accès des personnes aux réseaux sociaux sur le principe de la liberté d’expression.
Pourtant, la Cour Suprême confirme la constitutionnalité de la loi PAFACA. Elle estime que le Congrès peut prendre des mesures destinées à protéger la sécurité nationale, sans être contraire au Premier Amendement. Cette mesure n’a pas été prise dans un but d’entraver la liberté d’expression : la décision est constitutionnelle car elle poursuit des intérêts étatiques comme la protection des données des utilisateurs.
Depuis 2020, la collecte de données des utilisateurs de l’application conduit à une pression politique : TikTok servirait de « Cheval de Troie » aux autorités chinoises pour collecter des informations, bien que la société mère ByteDance, nie être contrôlée par son gouvernement. La plateforme fait de la « personnalisation de contenu » en utilisant de l’intelligence artificielle grâce à des algorithmes qui impliquent la protection des données personnelles. D’où l’inquiétude des États-Unis en matière de conformité de traitement de données personnelles et de transfert des données vers la Chine. En outre, la constitutionnalité de la loi PAFACA semble légitime puisqu’elle assure la sécurité nationale en évitant l’ingérence des services étrangers.
Les conséquences de l’interdiction d’une plateforme aux 170 millions d’abonnés
Même si l’application n’est restée indisponible que quelques heures seulement, grâce à un décret présidentiel adopté par Donald Trump, son interdiction a suscité des inquiétudes quant à la liberté d’expression. La voie vers une interdiction totale se heurte à d’importants défis juridiques et d’opinion publique.
Cette décision questionne sur un équilibre entre les préoccupations de sécurité nationale et la protection des droits des utilisateurs à s’exprimer sur les plateformes numériques. Nombreux sont les membres du gouvernement américain qui réitèrent leurs préoccupations en matière de sécurité et ont appelé à une interdiction totale. Quant au Président Trump, celui-ci a déclaré que les implications pour le Premier Amendement qui garantit la liberté d’expression, sont « vastes et troublantes ». Il veut donc trouver une solution qui ne porte pas atteinte au Premier Amendement.
De plus, en tant que première puissance mondiale, interdire TikTok aurait forcément des conséquences au-delà des frontières états-uniennes. Trump met en garde contre la création d’un « précédent mondial dangereux » en matière de « censure gouvernementale » à la suite d’une interdiction totale. Peut-on envisager que n’importe quel gouvernement du monde décide de restreindre les contenus ou les plateformes considérés comme problématiques ? Il est certain que cela entraînerait la liberté d’expression des utilisateurs vers une pente glissante.
Changement de camp pour le Président Donald Trump
Rappelons que, en 2020, le Président Donald Trump avait déclaré qu’il comptait interdire le réseau social. Celui-ci était dans une démarche de garantir la sécurité et de protéger les données des utilisateurs américains des menaces du parti communistes chinois. Sa tentative d’interdiction avait échoué en raison des préoccupations liées à la liberté d’expression.
Pourtant, après l’annonce de la Cour Suprême concernant la suppression de l’application, le successeur de Joe Biden s’est dit vouloir « sauver » TikTok. Le premier jour de son investiture, il ordonne au ministère de la justice de ne pas appliquer la loi prévoyant l’interdiction de TikTok sur le territoire états-unien.
Mais pourquoi un tel revirement de la part de Donald Trump ? Sûrement parce le Président s’est converti à cette fameuse plateforme en 2024 où il y cumule environ 15 millions d’utilisateurs. Il déclare que s’il a remporté la voix des jeunes électeurs lors des élections, c’est que TikTok y est pour « quelque chose ».
En outre, Donald Trump souhaite trouver une approche plus nuancée qu’une interdiction totale. Mais cela risque de ne pas être une mince affaire : protéger les libertés individuelles tout en veillant aux intérêts nationaux nécessite un remaniement de la réglementation. Comme exiger de la part de TikTok une transparence sur ses pratiques en matière de traitement de données, mettre en place des organismes de réglementation pour garantir le respect des normes nationales ou même envisager une collaboration entre les gouvernements et les plateformes.
L’objectif étant de créer un environnement numérique plus sécurisé, reste à savoir si dans les semaines à venir Donald Trump arrivera à concilier les intérêts nationaux en matière de protection avec le respect des libertés fondamentales.
Sources :
- Congress.Gov H.R.7521 – Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act – 118th Congress, (2023-2024)
- Energy & Commerce « The Protecting Americans from Foreign Adversary Controlled Applications Act”
- Article USA Today News, « Trump asks Supreme Court to pause TikTok ban so he can negotiate a resolution’”,
- Article Le Monde, « TikTok obtient de Donald Trump soixante-quinze jours de sursis aux États-Unis », 21 janvier 2025
- Article Révolution Permanente, « États-Unis, qu’est-ce qui se cache derrière la tentative d’interdiction de TikTok », 22 janvier 2025