Il existe deux critères nécessaires à l’obtention de la protection d’une oeuvre de l’esprit par le droit d’auteur. Le premier est une exigence de forme: l’oeuvre de l’esprit doit être tangible. Le second, qui fera l’objet de cet écrit, est le critère d’originalité.
I. L’originalité, critère obligatoire pour la protection d’une oeuvre par le droit d’auteur
Bien que l’originalité de l’œuvre est nécessaire pour sa protection par le droit d’auteur, cette notion n’est pas définie dans le Code de la propriété intellectuelle (CPI). Seul l’article L112-4 alinéa 1 du CPI mentionne cette notion, sans pour autant la définir : « Le titre d’une oeuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’oeuvre elle-même ». Ce qu’il convient de retenir de cet article est que le critère d’originalité est une condition d’accès à la protection.
L’article L112-2 du CPI énumère une liste de catégories d’oeuvres qui bénéficient d’une présomption d’originalité. Néanmoins, celui-ci n’évoque pas la notion d’originalité. Ainsi, c’est la jurisprudence qui a permis de donner plus d’éléments de définition de l’originalité. Pour déterminer l’originalité d’une œuvre, il faut s’en rapporter à une étude in concreto. Elle se rapporte « au sceau de la personnalité de l’auteur »1, ou encore « la marque de sa personnalité »2. Selon Christophe Caron, professeur d’université et spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, une oeuvre originale est forcément nouvelle. Elle a « des caractéristiques qui révèlent des choix personnels arbitraires que l’auteur a fait pendant le processus de création »3. Ces éléments de définitions sont également présent dans l’arrêt Painer de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 1er décembre 20114. Dans cet arrêt, l’originalité de l’oeuvre est définie comme le reflet de la personnalité de l’auteur, qui se traduit pas l’expression de capacités créatives lors de la réalisation de l’oeuvre par des choix libres et créatifs.
Il existe deux approches possibles de l’originalité, notamment décrites par Noémie Enser dans son ouvrage Conscience de la création et droit d’auteur5. La première est dite objective. Elle se concentre uniquement sur le résultat, c’est à dire l’oeuvre finale, celle présentée lors de l’examen son originalité. Cette approche peut se révéler plus complexe car elle limite le champ d’analyse. La deuxième est l’approche subjective. Celle-ci se rapproche davantage aux éléments de définition de l’arrêt Painer. Cette approche va s’attacher principalement au processus de fabrication de l’oeuvre. Pour cela, il convient de vérifier si l’auteur était dans un processus de création libre et conscient. Ainsi, comme le soulignent André Lucas et Pierre Sirinelli, « l’œuvre originale est celle dans laquelle le créateur a pu déployer le minimum de fantaisie inhérent à toute création littéraire ou artistique. Dès lors qu’il y a place pour l’arbitraire, la protection légale est acquise »6. Par exemple, un designer chargé de reproduire fidèlement un modèle préexistant selon des directives techniques très précises pourrait voir son travail exclu de la protection par le droit d’auteur, faute d’avoir pu exercer un réel choix personnel dans la conception de l’objet.
L’approche subjective est également très utile pour certains domaines artistiques, comme la photographie. La distinction entre une photographie qualifiée d’œuvre de l’esprit, et celle qui ne sera pas protégeable, réside principalement dans le processus de création. Ce processus est marqué par les choix de l’artiste, comme le matériel utilisé, les différents réglages choisis, tout cela témoignant d’une intention artistique. Bien que les oeuvres d’un photographe professionnel seront plus facilement qualifiées comme originales, les oeuvres d’un photographe amateur, si elles s’inscrivent dans un processus de création conscient et artistique, sont tout autant susceptibles d’être originales. La formation ou l’expérience de l’artiste sont simplement des éléments qui facilitent l’appréciation de l’originalité.
II. Les notions voisines mais distinctes de l’originalité
La notion d’originalité peut également être définie négativement, en éliminant toutes les notions qui lui sont voisines. L’originalité est dans le langage courant synonyme de nouveauté. Or, en droit d’auteur, ces notions ne doivent pas être confondues. Ces notions sont certes voisines mais bien distinctes. L’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 7 novembre 2006 le rappelle bien, la nouveauté est une notion objective qui se base sur le critère d’antériorité d’une création par rapport à une autre, tandis que l’originalité au sens du droit d’auteur est une notion bien plus subjective, qui implique d’apprécier l’apport personnel de l’auteur7. Ainsi une oeuvre peut être originale et nouvelle, mais une oeuvre originale n’est pas forcément nouvelle.
Une autre distinction importante retenue par la jurisprudence, est celle de l’originalité et du savoir faire. Cette distinction est illustrée par la jurisprudence concernant la protection par le droit d’auteur des fragrances de parfum. La Cour de Cassation, le 13 juin 2006, vient trancher après plusieurs retournements de jurisprudence, que la fragrance de parfum n’est pas protégeable par le droit d’auteur car « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en oeuvre d’un savoir- faire, ne constitue pas au sens des textes précités, la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des oeuvres de l’esprit par le droit d’auteur »8. De plus, afin qu’une création soit protégeable, celle-ci doit pouvoir être perceptible avec précision. Dans le cas de la fragrance de parfum, sa seule appréciation par le sens olfactif ne permet pas de déterminer celle-ci avec précision.
III. Évolution de la notion d’originalité
La notion d’originalité en droit d’auteur a évolué avec le temps, notamment avec l’intervention de la CJUE, qui à partir des années 2000, a commencé à être saisie de l’interprétation de cette notion. L’arrêt notoire en la matière est l’arrêt Infopaq du 16 juillet 20099. La société Infopaq numérisait, à l’aide de logiciels, un ensemble d’articles de presse et en retenait une série de mots clés afin de proposer à ses lecteurs un accès rapide aux informations. La société est alors poursuivie pour contrefaçon. Celle-ci se défend sur le terrain de l’originalité, défendant que la série de mots clés est dénuée d’originalité, ce qui exclurait une potentielle contrefaçon. La cour juge que même une série de mots, bien que courte, peut être protégée par le droit d’auteur. Ainsi, même pour une utilisation partielle d’un article de presse, son auteur doit recevoir une rémunération. Cela traduit une évolution très affairiste de la propriété intellectuelle, ainsi qu’un renforcement de la protection du droit d’auteur dans un contexte de numérisation des échanges.
La notion d’originalité est fragilisée par l’émergence de nouveaux outils numériques. Alors que le droit d’auteur vise à protéger des créations artistiques, caractérisées par leur originalité au sens de ce droit, la protection par ce droit tend à s’élargir, afin de permettre à un large panel de créations d’être protégées. Dans l’arrêt Pachot de la Cour de Cassation du 7 mars 1986, la cour a confirmé la décision des juges du fond d’avoir accordé la protection par le droit d’auteur pour un logiciel informatique, car « l’auteur des logiciels avait fait preuve d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en oeuvre d’une logique automatique et contraignante »10. Il a été décidé que le logiciel porte la marque de l’apport intellectuel de l’auteur.
Certains auteurs considèrent que la notion d’originalité est en crise, le droit d’auteur tendant à s’étendre à des créations de faible valeur créative, parfois qualifiées de « petite monnaie » du droit d’auteur. Selon André Lucas et Pierre Sirinelli, l’originalité est parfois confondue avec d’autres critères, ce qui expliquerait l’octroi de la protection à un large panel d’œuvres : « On peut déceler trois influences : il semble en effet que les juges tendent à confondre l’originalité avec le caractère distinctif (comme il en va pour les titres), ou avec la nouveauté (comme il en va en matière d’art appliqué), ou encore avec l’effort intellectuel (comme il en va pour les compilations utilitaires et les logiciels) »11.
Pourtant, l’article L112-1 du CPI dispose la théorie de l’unité de l’art, c’est-à-dire que la protection par le droit d’auteur n’est sujet à aucune discrimination, toutes créations qu’elles que soient leur genre, forme, mérite ou destination sont susceptibles d’être protégées. Cette règle implique donc que la protection soit possible à la fois pour des créations artistiques que pour des créations qui s’éloignent de ce qui est communément perçu comme artistique, comme un logiciel. Cela a pour conséquence d’affaiblir les critères utilisés pour déterminer l’originalité d’une création. L’un des questionnements actuel autour de la notion d’originalité concerne le contenu généré par l’intelligence artificielle. Bien qu’elle soit capable de générer des contenus artistiques, la question se pose quant à l’originalité de ceux-ci, sachant que l’originalité implique obligatoirement une empreinte de la personne humaine. Ainsi, la création de l’IA, par une approche objective de celle-ci, ne saurait être qualifiée d’originale. En revanche, la question se pose lorsqu’une approche subjective est adoptée. En effet, dans le cas d’une création assistée par ordinateur, où une personne humaine utilise une technologie pour créer sans être exclue du processus créatif, celle-ci est titulaire des droits d’auteur sur la création12.
- TGI, Paris, 9 mars 1970, n°LXIII, p.100. ↩︎
- TGI Paris, 15 mars 1986. ↩︎
- C. CARON, Droit d’auteur et droits voisins, LexisNexis, 7e 2éd., 2025. ↩︎
- Cour de justice de l’Union européenne, 3e ch., 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c. Standard VerlagsGmbH et autres. ↩︎
- N. ENSER, Conscience de la création et droit d’auteur, LexisNexis, 09/06/2022. ↩︎
- A. Lucas et P. Sirinelli, « L’originalité en droit d’auteur », JCP éd. G, 1993, I.3681. ↩︎
- Cass, C. civ 1, 7 novembre 2006, n° 05-16.843. ↩︎
- Cass, C. civ 1, 13 juin 2006, 02-44.718. ↩︎
- CJCE, 16 juillet 2009, aff. C-5/08, Infopaq International A/S c. Danske Dagblades Forening. ↩︎
- Cass, Ass. plen, 7 mars 1986, 83-10.477. ↩︎
- A. Lucas et P. Sirinelli, « L’originalité en droit d’auteur », op. cit. ↩︎
- CA, Paris, 3 mai 2006, n° 05/01400. ↩︎