par Chaïnace BACHIR, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques

À l’automne 2025, une rumeur inattendue a émergé sur les réseaux sociaux et au sein des communautés de lectrices de thrillers. Freida McFadden, autrice à succès du roman La femme de ménage, serait en réalité une intelligence artificielle, ou, à tout le moins, ferait un usage massif d’outils d’IA dans la rédaction de ses ouvrages.
Cette théorie repose sur plusieurs éléments relevés par les fans. Une productivité jugée anormalement élevée, une écriture perçue comme parfois « standardisée » ou manquant d’une véritable empreinte ainsi que la discrétion de l’auteur elle-même, rarement présente dans les médias traditionnels.
La rumeur s’est amplifiée à l’annonce de l’adaptation cinématographique du célèbre livre dont la sortie est prévue pour le 25 décembre renforçant la visibilité autour du phénomène.
Bien qu’il ne s’agisse que de spéculations ne reposant sur aucune preuve vérifiée, cette controverse récente soulève des interrogations juridiques majeures. Elle interroge notamment la place de l’intelligence artificielle dans la création littéraire, les obligations de transparence des auteurs et des éditeurs ainsi que les conséquences possibles en matière de droit d’auteur lorsque l’œuvre est, en partie ou en totalité, générée avec l’aide d’une IA.
La question de l’originalité face à l’IA :
Selon l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle, la protection par le droit d’auteur ne s’applique qu’aux « œuvres de l’esprit » , c’est-à-dire des créations portant l’empreinte de la personnalité de leur auteur et résultant d’un apport intellectuel nécessairement humain.
Une œuvre intégralement générée par une intelligence artificielle ne peut donc ni être qualifiée d’œuvre de l’esprit, ni bénéficier de la protection du droit d’auteur, puisqu’elle n’a pas d’auteur au sens juridique. Dès lors, la situation dans laquelle un auteur humain servirait de façade à une œuvre produite exclusivement par IA poserait un problème majeur de qualification juridique.
Toutefois, la rumeur entourant Freida McFadden met en lumière une nuance importante. En effet, le manque perçu « d’empreinte » ou de style distinctif dans une œuvre ne suffit pas, en soi, à exclure l’existence d’une originalité au sens du droit d’auteur.
Une œuvre littéraire peut être protégée même si son style paraît simple ou standardisé, dès lors qu’elle résulte d’un choix créatif propre à l’auteur. L’enjeu n’est donc pas de déterminer si l’écriture est sophistiquée, mais de savoir si l’auteur peut démontrer une intervention humaine réelle dans la création même partielle.
La véritable difficulté, dans le contexte actuel d’IA générative, réside dans la capacité à identifier, prouver ou tracer l’apport humain lorsque la frontière entre assistance et automatisation totale devient floue.
L’exigence d’un apport humain pour la titularité des droits :
L’un des enjeux juridiques majeurs soulevés par la rumeur entourant Freida Mcfadden tient à la question de la titularité des droits d’auteur en cas de recours, partiel ou total, à l’intelligence artificielle.
En droit français, selon l’article L113-1 du Code de la propriété intellectuelle, la protection par le droit d’auteur suppose nécessairement une création humaine : seule une personne physique peut être reconnue comme auteur et titulaire originaire des droits. Une œuvre produite intégralement par une IA ne saurait donc être qualifiée d’œuvre de l’esprit et ne pourrait donner lieu à aucun droit privatif.
Le problème devient complexe lorsque l’auteur humain utilise l’IA comme outil dans son processus d’écriture. Dans ce cas, la titularité dépend du degré d’intervention personnelle. L’œuvre ne sera protégée que si l’auteur peut démontrer un apport créatif propre, révélant un minimum d’empreinte personnelle, qu’il s’agisse d’un travail de sélection, d’organisation ou de réécriture des contenus générés. À défaut, la qualification d’œuvre protégée pourrait être remise en cause et fragiliserait la chaîne de droits de l’auteur jusqu’à l’éditeur et aux futurs exploitants (dont les producteurs de l’adaptation cinématographique).
Ainsi, la rumeur visant McFadden interroge moins la véracité des accusations que les risques juridiques potentiels en cas d’usage dissimulé ou excessif d’IA dans la création littéraire : absence d’auteur identifiable, impossibilité d’attribuer des droits, et par conséquent, impossibilité de céder valablement ces droits à un éditeur ou à un producteur.
Le défi entre encadrement juridique et innovation :
Au delà des interrogations sur la qualité d’auteur, la controverse met également en lumière la nécessité d’encadrer contractuellement l’usage de l’intelligence artificielle dans la création littéraire. Les contrats d’édition traditionnels reposent sur un schéma classique : l’auteur garantit être le créateur de l’œuvre, détenir les droits cédés et ne pas porter atteinte aux droits de tiers.
Or, en cas de recours, même partiel, à une IA générative, ces garanties deviennent incertaines : l’auteur ne peut pas toujours démontrer la pleine maîtrise du processus créatif et la titularité des droits peut être fragilisée si l’œuvre intègre des éléments générés automatiquement.
Pour prévenir ces risques, les éditeurs tendent désormais à exiger des clauses spécifiques imposant la déclaration transparente de tout usage d’IA, l’assurance que les contenus générés n’empruntent pas illégalement à des œuvres préexistante ainsi que la responsabilité exclusive de l’auteur en cas de litige.
Par ailleurs, l’IA Act impose en effet aux développeurs d’IA une obligation de transparence en exigeant un « résumé suffisamment détaillé » des données protégées utilisées pour l’entrainement.
Cette logique est renforcée par le rapport du CSPLA de 2024 qui impose aux auteurs de déclarer l’usage éventuel d’une IA afin de garantir la traçabilité de la création et la sécurité de la chaîne de droits.
La controverse autour de Freida McFadden, qu’elle soit fondée ou non, illustre les défis que l’IA fait peser sur l’édition. Lorsqu’un auteur utilise massivement un outil d’IA, la question de l’originalité et de la titularité des droits devient complexe, seule une intervention humaine permet de qualifier l’œuvre « d’œuvre de l’esprit » et de sécuriser la chaîne de droits.
L’IA Act et le rapport du CSPLA offrent des instruments essentiels pour garantir cette traçabilité. Ils permettent de protéger les titulaires de droits et d’encadrer contractuellement l’usage de l’IA afin de prévenir les litiges et sécuriser les cessions.
La rumeur McFadden, même infondée, met en lumière un défi majeur : concilier l’innovation technologique et sécurité juridique pour préserver la notion d’auteur à l’ère du numérique.
Source :
https://www.cosmopolitan.fr/une-nouvelle-theorie-affirme-que-freida-mcfadden-l-autrice-du-best-seller-la-femme-de-menage-serait-en-fait-une-ia,2147352.asp.
https://www.culture.gouv.fr/nous-connaitre/organisation-du-ministere/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique-CSPLA/travaux-et-publications-du-cspla/missions-du-cspla/ia-et-transparence-des-donnees-d-entrainement-publication-du-rapport-d-alexandra-bensamoun-sur-la-mise-en-aeuvre-du-reglement-europeen-etablissant.
https://artificialintelligenceact.eu/fr/article/50/