Lundi 18 novembre, à l’occasion du sommet sur la sécurité de l’internet tenu à Londres, le président exécutif de Google, Eric Schmidt, a annoncé qu’il allait s’unir avec le géant Microsoft afin de mettre au point une nouvelle technologie visant à lutter contre les contenus illicites relatifs à la pornographie enfantine sur internet.
En effet, c’est sur demande du premier ministre anglais, James Cameron, et dans le cadre d’un plan de lutte des autorités britanniques contre la pédophilie, que les deux moteurs de recherche vont s’allier pour intégrer une modification de leurs algorithmes et déployer un nouveau système de lutte contre l’affichage de résultats à caractère pédopornographique.
Des mesures émanant d’une volonté politique britannique
Cette déclaration intervient quelques jours après le démantèlement d’un vaste réseau de pornographie infantile au Canada ayant donné lieu à l’arrestation de près de 400 personnes.
De plus, début novembre, l’ONG Terre des hommes avait créé Sweetie, une fillette philippine virtuelle offrant des services sexuels devant une web cam contre de l’argent. Cette mise en scène a permis de piéger quelques 20 000 prédateurs sur internet en seulement dix semaines. Par ailleurs, cette expérience qui a fait grand bruit a soulevé certaines questions, notamment celles du nombre très important de prédateurs sur internet et donc du nombre de leurs victimes et de la façon de freiner ce phénomène. Quelle serait alors l’efficacité d’une police et d’une justice bien équipées quand on voit les moyens d’actions d’une ONG qui a peu de moyens ?
Suite à cette mission, l’association a pu identifier une partie de ces hommes et a appelé à une action efficace des autorités publiques.
Et c’est depuis juillet dernier que le gouvernement britannique a demandé aux fournisseurs d’accès et moteurs de recherche d’être plus vigilants et plus responsables face à la pornographie enfantine sur internet. Ce combat est mené en particulier par David Cameron et la députée conservatrice Claire Perry, qui comptaient mettre cette lutte au cœur de leur politique, en souhaitant un blocage des contenus illégaux et donc l’élimination de l’accès aux images pédopornographiques. David Cameron a impliqué les géants du web en leur lançant un appel explicite : « J’ai un message très clair pour Google, Bing, Yahoo! et les autres. Il est de votre devoir d’agir sur cette question. C’est un devoir moral ». Son appel a été entendu par le leader mondial Google puisque ce dernier a profité du sommet sur la cyber-sécurité qui a eu lieu à Londres et qui a réuni toutes les grandes firmes, et où devait être annoncée la création d’une force transatlantique de lutte contre la pédophilie par le premier ministre britannique, pour annoncer la mise en place d’un plan de lutte contre les abus sexuels envers les enfants avec l’aide de Microsoft, lequel vient d’inaugurer un centre de lutte contre la cyber-criminalité près de son siège social.
Suite à cette alliance entre les deux grandes sociétés, David Cameron a tenu à saluer cette rare action des deux concurrents, tout en restant conscient que la tâche n’allait pas être des plus évidentes.
Aujourd’hui, une nouvelle avancée dans la lutte contre la pédopornographie est donc mise en œuvre.
Une nouvelle technologie pour les moteurs de recherche, les images et vidéos diffusées
En partenariat avec Microsoft, qui déploiera le même algorithme sur Bing et Yahoo, Google compte déployer cette arme au niveau mondial et une liste noire de contenus à bannir sera divulguée, partagée et mutualisée à d’autres acteurs du web.
De fait, si l’internaute tape les termes concernés, il n’obtiendra pas de résultat et un message d’avertissement s’affichera dorénavant sur son écran en tête de page afin de prévenir du caractère illégal de l’abus sexuel des enfants. Eric Schmidt indique que ces alertes seront applicables à près de 13 000 recherches. De plus, des conseils et des adresses pour obtenir de l’aide et pour tenter de remédier à ces activités de pédopornographie seront également disponibles.
Monsieur Schmidt se félicite de cet engagement et ajoute que « même si aucun algorithme n’est parfait – et Google ne peut pas empêcher des pédophiles d’ajouter de nouvelles images sur le Web –, les changements obtenus ont permis de nettoyer les résultats de demandes potentiellement liées à des abus sexuels d’enfants. »
Ainsi, plus de 100 000 recherches seront impossibles dans les moteurs de recherche de Google et de Microsoft, qui sont les deux plus importants du monde.
Dans le Daily Mail, Eric Schmidt indique qu’au cours des trois derniers mois Google a mobilisé plus de 200 salariés sur le développement de cette nouvelle technologie. L’objectif ici est donc d’empêcher des liens vers des contenus pédopornographiques d’apparaître dans les résultats des moteurs de recherche. Toutefois, le président exécutif de Google reste prudent. Il estime que « la société n’arrivera jamais à éliminer une telle dépravation. Mais nous devrions faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger les enfants du mal. » Google ici se fait donc le gardien de la lutte contre la pédopornographie.
Et si les résultats de 100 000 termes de recherche auraient déjà été expurgés sur le net anglo-saxon, le filtrage concernera bientôt 150 autres langues. Ces modifications seront tout d’abord effectives dans les pays anglo-saxons puis étendues au cours des six prochains mois afin que les effets soient vraiment mondiaux.
En plus d’intervenir dans les moteurs de recherche, Google et Microsoft ne s’arrêteront pas là puisqu’ils vont s’engager à mettre à disposition leur savoir faire pour l’identification d’images répréhensibles en proposant leurs services à une organisation britannique de lutte contre les contenus illégaux, Internet Watch Foundation, et au Centre national américain pour les enfants disparus et exploités afin de les aider dans leur combat contre la pédopornographie sur internet.
Au delà des requêtes, Google travaille également sur l’identification des images et des vidéos de nature pornographique.
Concernant les images du moteur de recherche, bien que Google ne puisse contrôler et prévenir des images qui sont postées par les pédophiles, d’autres solutions ont été trouvées. Dès lors, une technique de détection des images frauduleuses a été mise sur pied par Microsoft. En effet, une fois que les images ont été repérées, elles sont marquées d’une « empreinte numérique unique », laquelle est directement identifiée à chaque fois que les photos passent dans le système. A ce sujet, Eric Schmidt tient à souligner l’aide apportée par Microsoft et affirme qu’il « mérite beaucoup de crédit pour le développement et le partage de sa technologie de détection d’images ».
S’agissant des vidéos en ligne, c’est le géant YouTube, qui rappelons-le appartient à Google, qui cette fois-ci est intervenu. En effet, un système de reconnaissance et de marquage a été installé afin de détecter un contenu illicite, de le supprimer et d’empêcher un ré-hébergement, de telle sorte que toutes les copines dupliquées seront retirées d’internet. Cette technologie devrait être proposée à d’autres sociétés pour être mise en place sur leurs propres secteurs.
Quid de l’efficacité des engagements pris par les deux firmes internationales ?
Cette avancée dans la lutte contre la pédopornographie doit tout de même être nuancée.
Tandis que Jérémie Zimmermann, co-fondateur de l’association La Quadrature du Net, dénonce une fausse bonne idée et s’inquiète d’une «tendance nauséabonde à la surveillance », il serait intéressant de se poser la question de l’efficacité de ces mesures.
En effet, même si ces moyens déployés l’ont été dans le but de réduire de plus possible les actes de pédopornographie, on peut penser que cette technologie aura un impact toutefois quelque peu limité. Bien que les internautes soient avertis du caractère illégal de leur recherche, ceux qui naviguent de manière anonyme, en masquant leur adresse IP, pourront continuer de le faire en toute tranquillité et les personnes concernées seront davantage celles qui consultent des sites ou des forums peu discrets.
Le fait de masquer les requêtes gênantes est en quelque sorte une façon de se voiler la face. En effet, bien qu’on empêche les utilisateurs de consulter certains sites au caractère pédopornographique, les contenus restent toujours présents et le problème n’est pas totalement résolu. Le plus important à l’heure actuelle réside dans le démantèlement des réseaux de pornographie infantile et de lutter à la source, c’est-à-dire au moment de la production des contenus litigieux. Or, pour intervenir en l’espèce, seule la police, et non des sociétés privées, peut agir.
La marque d’un renoncement de la classe politique
Par ailleurs, il n’est pas sans penser que les mesures prises par Google et Microsoft sont la marque d’un certain renoncement politique. Demander à des entreprises privées d’expurger des moteurs de recherche les contenus illicites afin de lutter contre les abus sexuels envers les enfants c’est se reposer sur celles-ci et se déresponsabiliser en quelque sorte. Est ce vraiment le rôle de ces sociétés que de décider de ce qui est bon ou mauvais à voir sur internet ? La technologie de Google peut servir de prétexte idéal pour éviter les vraies solutions, comme le déploiement des moyens de la police et de la justice. En effet, ici c’est l’entreprise américaine qui joue les auxiliaires de police, laissant s’endormir l’action des gouvernements. En demandant à Google d’agir sur le terrain de la pornographie infantile, David Cameron se retire de toute responsabilité pensant que le seul problème se trouve sur internet et que par conséquent le seul moyen de lutter contre ce phénomène est de restreindre l’accès en ligne aux contenus illicites. S’il est impossible de faire des recherches pédophiles sur internet, est ce que la pédophilie disparaît-elle pour autant ? La réponse est loin d’être certaine.
Une liberté d’expression réduite par l’exercice de la censure de Google et Microsoft ?
Par ailleurs, l’engagement pris par Google peut paraître paradoxal au regard des nombreuses condamnations dont l’entreprise a fait l’objet ces dernières années, justifiant des attaques aux droits et libertés fondamentales des citoyens. Pour avoir été régulièrement sanctionné par les gouvernements européens, pour avoir notamment surveillé ses internautes, et se faire aujourd’hui le gardien de la moralité publique ne semble pas tellement crédible. Google voudrait-il se racheter en redorant son image et donc marquer son engagement auprès des pouvoirs publics ?
De plus, comment définir les mots ou expressions à bannir des moteurs de recherche ? Comment les techniciens de Google décident-ils des termes à supprimer ? Ces décisions reviennent là encore au secteur privé de l’internet, lequel n’a pas à tenir ce rôle. Ici, c’est un travail des autorités publiques qui doit être fait. On peut également penser que les enquêteurs vont utiliser ces moteurs de recherche pour traquer les pédophiles. Comment vont-ils pouvoir utiliser les termes adéquats s’ils ont été expurgés ? Là encore, la suppression des requêtes dans les moteurs de recherche reste très subjective et ne profitera pas à tous, puisqu’elle pourrait notamment compliquer le travail de la police.
Qui peut garantir par ailleurs que les contenus interdits se limiteront aux seuls contenus de pornographie infantile ? Décider ce qui est moralement ou immoralement consultable sur le web constitue en quelque sorte un pas vers la censure, d’autant que les mœurs sociétales sont différentes d’un pays à un autre. La censure du net serait donc un instrument de politique publique déployé par des entreprises privées pour contrer des actes criminels.
Ainsi, en espérant s’attaquer à quelques pédophiles, Google met ici en danger la liberté d’expression des internautes. Et de fait, en laissant ces acteurs agir de telle façon, rien ne les interdirait de décider d’une autre censure par la suite dans d’autres domaines, sans laisser le choix aux utilisateurs, qui ne pourraient faire valoir leurs libertés.
On a donc, d’un côté, la volonté de confier des missions de police et de justice à des entreprises du secteur privé, en l’occurrence spécialisées dans les nouvelles technologies, et de l’autre côté, on justifie l’utilisation d’une censure des contenus accessibles en ligne comme solution pour lutter contre les actes criminels.
Ces mesures favoriseront-elles ou pas une diminution des actes liés à la pédopornographie ?
SOURCES :
- Anonyme, « Google et Microsoft s’allient pour lutter contre la pédopornographie », Les Echos Technologies, mis en ligne 18 novembre 2011, consulté le 20 novembre 2011, <http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0203134665992-google-et-microsoft-s-allient-pour-lutter-contre-la-pedopornographie-630407.php>
- Anonyme, « Google s’engage contre la pornographie enfantine », Le Monde Technologies, mis en ligne le 18 novembre 2011, consulté le 20 novembre 2011, <http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/11/18/google-une-nouvelle-technologie-contre-la-pornographie-enfantine_3515311_651865.html>
- GROULT (C.-H.), «Google tente de se racheter à peu de frais», Le Figaro, mis en ligne le 19 novembre 2011, consulté le 20 novembre 2011, <http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2013/11/19/01007 20131119ARTFIG00267-pedopornographie-google-tente-de-se-racheter-a-peu-de-frais.php>
- DESCHAMPS (T.), « Lutte anti-pédopornographie : grande purge sur le moteur Google », mis en ligne le 18 novembre 2011, consulté le 20 novembre 2011, <http://www.itespresso.fr/>
- ŒILLET (A.), « Google lutte contre la pédopornographie sur le Web à l’aide de Microsoft », mis en ligne le 18 novembre, consulté le 20 novembre 2011, <http://www.clubic.com/internet/google/actualite-601490-google-microsoft-liguent-pedopornographie-web.html>