L’e-réputation, encore appelée réputation en ligne ou cyber-réputation, est l’opinion commune d’une entité sur le Web. Elle est directement liée aux commentaires et recommandations qui proviennent des consommateurs sur la toile. Leur pouvoir d’influencer l’image d’une entreprise prend de plus en plus d’ampleur aujourd’hui avec la multiplication des sites d’avis en ligne et la propagation très rapide de leurs commentaires. On peut désormais affirmer que les commentaires des clients sur un produit, un service ou un lieu impactent autant la décision d’achat, si ce n’est plus, que la communication officielle faite par les marques. En effet, il devient de plus en plus courant de consulter un site d’avis avant de réserver ses vacances ou même avant d’aller manger dans un restaurant. Il arrive même parfois que les sites d’avis apparaissent sur les moteurs de recherche avant le site internet de l’entreprise lui même. La recherche d’avis sur les entreprises se fait alors beaucoup plus facilement qu’avant. Comme le résume le journaliste Chris Anderson : « Votre marque n’est pas ce que vous en dites mais ce que Google en dit ! ». TripAdvisor est devenue la référence en la matière avec plus de 300 millions de visiteurs chaque mois et des centaines de millions d’avis laissés par les consommateurs sur tous types d’établissements touristiques (restaurants, hôtels…). Mais cela n’est pas sans risques, notamment pour les professionnels du secteur.
Le risque des faux avis
En effet, peu de contrôle est mis en place sur ces avis et les auteurs n’ont pas nécessairement séjourné dans les lieux pour pouvoir laisser un commentaire. Tout est basé sur la bonne foi de chacun. Il est alors possible qu’un établissement se fasse passer pour un client mécontent et critique un concurrent dans le seul but de lui faire de la mauvaise publicité et casser son image. Selon la dernière étude de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) publiée le 22 juillet 2014, près de 45% des avis sur internet seraient biaisés pour l’année 2013, alors qu’en 2010, ce taux n’était encore que de 28,8%. Selon l’étude, les façons de biaiser un avis sont toujours aussi nombreuses, allant des choix de modération qui visent à supprimer les avis négatifs et ne mettre en avant que les remarques positives, jusqu’à la rédaction de faux avis ou encore d’avis obtenus contre rémunération. Toutes ces pratiques sont illicites et peuvent faire l’objet d’une sanction. Néanmoins, cette sanction n’interviendra toujours qu’après la réalisation de l’acte illicite.
Ainsi, par exemple, TripAdvisor a déjà été condamné à une amende de 500 000 euros en Italie en décembre dernier pour avoir fait croire aux consommateurs que les commentaires provenaient tous de touristes, alors que certains étaient postés par des professionnels.
La protection limitée du droit a posteriori
Parmi les dispositions prévues par le droit français pour sanctionner ces pratiques, on trouve d’abord les délits de presse qui résultent de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Ainsi, la diffamation ou encore l’injure sont pénalement sanctionnés. D’abord réservé à la presse écrite, la loi a finalement été modifiée par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 pour admettre la sanction pénale de ces actes sur tout moyen de publication, notamment les écrits diffusés sur Internet.
En plus de ces délits de presse, l’entreprise victime d’un commentaire abusif pourra également se fonder sur le dénigrement qui constitue un acte de concurrence déloyale. Dans le cadre du dénigrement, on ne se fonde plus sur la liberté de la presse mais sur la responsabilité de droit commun, c’est-à-dire l’article 1382 du code civil. Cela va alors permettre à la victime de bénéficier de plus de temps pour découvrir le commentaire et agir en justice. En effet, le délai de prescription va être de cinq ans à compter de la date de publication, tandis que pour la diffamation, ce délai est de trois mois. Ce qui va être sanctionné est l’avis qui n’est pas mesuré et objectif et qui va démontrer une intention de nuire à l’entreprise.
Enfin, s’agissant de la pratique consistant à payer pour obtenir des avis, il s’agit d’une pratique commerciale trompeuse qui constitue une infraction à l’article L 121-1 du code de la consommation.
Le problème est que l’intervention par le droit se fera toujours après la publication du commentaire litigieux et la réputation de l’établissement aura dès lors déjà pu être dégradée.
La mise en place d’une norme internationale
Face à cette dangereuse situation pour les entreprises et pour leur apporter une protection a priori, l’Afnor (Association française de normalisation) a alors créée en 2013 la première norme au monde relative au traitement des avis des consommateurs en ligne, applicable en France (norme NF Z74-501). Celle-ci assure la fiabilité et la transparence de la collecte, la modération et la restitution des avis en ligne par le gestionnaire. En adoptant cette norme, une entreprise va alors s’engager à respecter certains engagements. Par exemple, l’auteur de l’avis devra être identifiable et devra pouvoir être contacté, aucun avis de consommateurs ne devra être acheté, les motifs de rejet devront être indiqués dans les conditions générales d’utilisation du site et tous les avis devront être affichés. Avec cette norme, une entreprise instaure avec ses potentiels clients une relation fondée sur la transparence et amène donc à plus de confiance.
Néanmoins, dans la mesure où elle n’est que d’application française, la majorité des entreprises françaises n’étaient alors pas à armes égales face à leurs concurrents étrangers.
Suite à cela, l’Afnor a décidé d’engager une démarche pour lancer la première norme mondiale encadrant la gestion des avis de consommateurs (norme ISO 20488). Ainsi, c’est l’Afnor qui anime le comité technique « réputation en ligne » de l’organisation internationale de normalisation (ISO). Celui-ci rassemble aujourd’hui des entreprises, associations et administrations de 28 pays qui devront collaborer ensemble pour créer un consensus dépassant les frontières de la France.
L’objectif est d’élaborer à l’échelle internationale une méthode fiable de traitement des avis des consommateurs sur la base de la première norme française, s’accorder sur un glossaire commun sur l’e-réputation des organisations publiques et privées et étudier le rôle des médias sociaux et des autres outils dans les débats de normalisation.
Cependant, la première norme française de 2013 a présenté des limites. Elle n’a pas apporté de réels changements de comportements de la part des grands sites d’avis de consommateurs et de nouvelles pratiques frauduleuses se sont mises en place. En effet, certains sites se sont déclarés conforme à la norme sans l’être réellement.
La nouvelle norme internationale devrait donc elle aussi se confronter aux mêmes obstacles. De plus, l’élaboration de la norme devra également faire face aux divergences de conceptions philosophiques du droit entre les pays. Par exemple, aux Etats-Unis, la liberté d’expression, inscrite au premier amendement de la Constitution, permet de tout dire sur tout sujet, y compris ce qui pourrait être hors-la-loi en France. La diffamation, l’injure et le dénigrement n’y ont pas le même poids qu’en Europe. Ainsi, même s’il s’avère nécessaire aujourd’hui de trouver un accord commun au niveau mondial, toutes les spécificités nationales risquent d’y apporter d’importantes difficultés.
SOURCES :
ANONYME, « E-réputation : présentation des premiers projets de normalisation volontaire au niveau international », afnor.org, mis en ligne le 16 janvier 2015, consulté le 10 février 2015, <http://www.afnor.org/liste-des-actualites/actualites/2015/janvier-2015/e-reputation-presentation-des-premiers-projets-de-normalisation-volontaire-au-niveau-international>
FROCHOT D., « E-réputation : vers une norme internationale ISO », les-infostrateges.com, mis en ligne le 13 février 2015, consulté le 17 février 2015, <http://www.les-infostrateges.com/actu/15021951/e-reputation-vers-une-norme-internationale-iso>
GAVOIS S., « La DGCCRF enquête sur les faux avis de consommateurs sur internet », nextinpact.com, mis en ligne le 28 juillet 2014, consulté le 20 février 2015, <http://www.nextinpact.com/news/88936-la-dgccrf-enquete-sur-faux-avis-consommateurs-sur-internet.htm>
DAVAN-SOULAS M., « Italie : TripAdvisor condamné à une amende de 500 000 euros », lci.tf1.fr, mis en ligne le 23 décembre 2014, consulté le 19 février 2015, <http://lci.tf1.fr/economie/entreprise/italie-tripadvisor-condamne-a-une-amende-de-500-000-euros-8537638.html>
ANONYME, « TripAdvisor revendique 200 millions d’avis et 315 millions de visiteurs par mois », liberation.fr, mis en ligne le 25 février 2015, consulté le 25 février 2015, <http://www.liberation.fr/economie/2015/02/25/tripadvisor-revendique-200-millions-d-avis-et-315-millions-de-visiteurs-par-mois_1209439>