Le 26 octobre 2016 une proposition de loi relative à l’impression 3D et à l’ordre public a été présentée devant l’Assemblée nationale. L’objectif de la proposition était de rappeler le besoin d’encadrement juridique de cette technologie afin de garantir l’ordre public. Les 4 dispositions se limitent à rappeler quelques principes du droit commun: principe de la prohibition de la production d’objets illicites ou permettant de s’échapper des contraintes du droit d’auteur, principe de responsabilité du fabricant de l’objet en raison de la responsabilité du fait des produits défectueux. A l’exemple de l’article 2 de la proposition de loi qui énonce que « la technologie issue de l’impression 3D devra respecter les principes énoncés à l’article 16 du code civil » on voit la veille au respect de la dignité humaine. Ce principe est déja appliqué par définition et, il est inutile, à mon avis, de le répéter pour l’impression 3D. Tous les autres principes sont déjà appliqués de même manière et l’accent fait spécialement sur du l’impression 3D puisse stigmatiser le domaine en faisant penser que celui-ci présente un danger en soi-même. D’ailleurs, malgré le fait que l’impression 3D est un vecteur de création, c’est également un instrument de contrefaçon qui s’avère être une nouvelle source d’enjeux et de risques juridiques et notamment sur le plan de la propriété intellectuelle car elle permet la copie d’un objet protégé. La spécificité de l’impression 3D consiste en la possibilité de contrefaçon simultanément dans tous les droits de propriété intellectuelle : droit d’auteur, dessins et modèles, marques, brevets. Cependant, toute fabrication d’objets par impression 3D n’est pas systématiquement illicite, et tous les acteurs du secteur ne sont pas davantage des contrefacteurs.
L’impression 3D – une « 3ème révolution industrielle »
L’impression 3D est une technique de fabrication additive développée pour le prototypage rapide voire la fabrication de petits objets ou de pièces de rechange pour les objectifs industriels. Il y a trois technologies principales qui coexistent : le FDM (Fuse Deposition Modeling : modelage par dépôt de matière en fusion), la SLA (Stéréolithographie : une lumière UV solidifie une couche de plastique liquide) et le frittage sélectif par laser (un laser agglomère une couche de poudre). Le processus meme de l’impression 3D se réalise en 3 étapes: la première consistant en elaboration du propre fichier 3D ou du choix d’un fichier créé grâce au logiciel CAO ou CAD prêt à imprimer sur les plateformes de service d’impression 3D, la deuxième etape est le choix du matériau en fonction des propriétés de l’objet. La gamme des matériaux utilisés comprend différents plastiques, céramiques, résines, métaux, sables, textiles, matériaux biologiques, le verre, différents types de nourritures. Et enfin la troisième étape c’est l’impression même ou la dépose par l’imprimante couche par couche du matériau choisi. Les imprimantes 3D sont surtout utilisées dans la production industrielle, le potentiel de ces machines est aussi un véritable enjeu pour les industries de pointe comme l’aéronautique et l’industrie spatiale qui peuvent travailler différents alliages et métaux, comme le titane, l’impression 3D sur mesure pour une pièce unique ou des petits tirages permettant un gain financier important. Les grandes entreprises utilisent de plus en plus cette technologie : la NASA a mis récemment à disposition les modèles 3D d’un certain nombre de ses engins spaciaux. General Electric, un conglomérat américain qui opère déjà dans des multiples domaines d’activité telles que l’aviation, électricité, finance, imagerie médicale, moteurs, locomotives, vient de racheter deux sociétés operantes dans la fabrication additive industrielle dans le cadre d’un investissement de 1,3 milliard de dollars. L’impression 3D ou la «Fabrication Additive» prend de plus en plus de place dans l’industrie autant que le magazine britannique « The Economist », la considère comme l’un des catalyseurs d’une « 3ème révolution industrielle » susceptible de changer radicalement les moyens de productions.
L’impression 3D face à la propriété intellectuelle : la responsabilisation des intermédiaires techniques
En effet, l’impression 3D des objets ne s’arrete plus aux simples pièces de rechange d’appareils, aux pièces détachées ou aux maquettes, elle touche tous les domaines. Elle bascule vers le grand public grace au développement des téchnologies et de leur accessibilité par les particuliers. En 2013, un distributeur americain a mis en ligne les modèles 3D des pièces permettant la fabrication d’un pistolet en plastique, capable de tirer a balle réelle. Fin decembre 2012 le journal « Le Monde » évoquait l’impression 3D à domicile de Lego et autres Playmobil. Une concurrence déloyale dénoncée par l’ayant droit : « La production de figurines ou d’accessoires Playmobil a l’aide de l’impression 3D constituerait, sauf exception, une atteinte a nos droits. » Plusieurs sites aujourd’hui comme Sculpteo, Shapeways, MyMiniFactory ou le francais Cult3D proposent d’échanger des fichiers de modeles 3D. N’importe quel détenteur d’une imprimante peut reproduire un objet a partir d’un fichier STL. Il ne faut pas oublier non plus de l’émergence des FabLab – des ateliers de fabrication munis de machines pour réaliser l’impression.
L’impression 3D est un processus impliquant la diversité des acteurs qui interviennent. Il s’agit alors des créateurs de fichiers numérisés, des internautes qui téléchargent des fichiers, des utilisateurs réalisant l’impression 3D d’un objet protégé, des créateurs de logiciels, des fabricants et tendeurs de scanners et d’imprimantes 3D, des plateformes et sites de téléchargement proposant des fichiers numerisés, des fournisseurs de sérvices d’impression 3D fablabs. D’ailleurs, l’objet imprimé a une double nature juridique: la nature juridique materielle et celle numérique. La responsabilité des acteurs relevant du domaine materiel est régie par le code de la propriété intellectuelle. Cependant, il se pose la question de responsabilité des intermédiaires du domaine numerique. Il s’agit en premier lieu des plateformes de téléchargement de fichiers CAO dont la responsabilte juridique demeure flou.
La responsabilité des plateformes et sites de téléchargement de fichiers CAO
Face à la menace pour la propriété intellectuelle un des moyens consiste a responsabiliser les intermédiaires techniques, et en particulier les plateformes de stockage de fichiers 3D prêts à être imprimés ce qui a ete déjà fait par rapport à une plateforme Sculpteo. Néanmoins, il existe une difficulté qui réside dans la qualification juridique de ces intermédiaires au regard de la loi pour la confince de l’économie numérique (LCEN). Sont-ils éditeurs ou hébérgeurs au sens de l’article 6 de la loi? Leur qualification définit un regime de responsabilité : la responsabilité du droit commun pour les éditeurs et la responsabilité allégée pour les hébergeurs, qui ne seront responsables de la présence de contenus contrefaisants qu’à condition que cette présence leur ait été notifiée et qu’ils n’aient pas agi promptement pour rendre inaccessibles les contenus en cause. C’est l’ arrêt « Google Adwords » rendu par la CJUE le 23 mars 2010, qui a donné le critère permettant de qualifier un prestataire d’hébergeur : est hébergeur le prestataire qui n’a « pas joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées ». Dès lors, la qualification des plateformes et sites de téléchargement dépendra du rôle actif ou passif de chacun par rapport aux contenus stockés. En pratique, il est plus avantageux aux plateformes de se cantonner à un rôle passif afin de bénéficier du statut d’hébergeur. C’est d’ailleurs ce statut que revendiquent la plupart des acteurs intermédiaires de l’impression 3D. Ce régime de responsabilité allégée est complété par des clauses de garantie faisant peser sur les internautes la responsabilité d’éventuels actes de contrefaçon. Certes, après l’arrêt « Dailymotion » de la Cour d’appel de Paris de 2 décembre 2014 se sont renforcées les discussions par rapport au réencadrement de l’activité des plateformes et la création d’une troisième qualification médiane entre l’activité éditoriale et l’activité de simple stockage. Ainsi, serait-il possible le renforcement de le responsabilisation des plateformes téchniques en perspective? A mon avis ça serait possible dans la mesure où la plateforme technique va référencer ces fichiers ou les classer selon la demande.
Il y a une autre situation qui puisse inciter a la reflexion. Soit une plateforme technique proposant les fichiers des objets protégés par le droit de propriété intellectuelle se trouve à l’étranger. Y a-t-il alors un moyen de lutter à la contrefaçon sur ces plateformes ?
Procedure d’injonction judiciaire comme un moyen de responsabilisation
La responsabilisation des intermédiaires passe aussi par la possibilité pour les tribunaux de prononcer des mesures d’injonction à leur encontre en cas de contrefaçon, et ce indépendamment de leur qualification de contrefacteurs. Le Code de la propriété intellectuelle offre aux titulaires de droits la possibilité de demander aux juges de prendre des mesures à l’encontre de tiers autres que les contrefacteurs (essentiellement les hébergeurs et les moteurs de recherche) pour remédier aux actes de contrefaçon. Ces règles sont particulièrement intéressantes dans les cas où les auteurs de la contrefaçon sont difficilement identifiables ou appréhendables, par exemple parce qu’ils opèrent depuis l’étranger. En droit d’auteur, la loi du 12 juin 2009 a précisément introduit dans le Code de la propriété intellectuelle une procédure spécifique à la contrefaçon sur Internet. Cette procédure est régie par l’article L. 336-2 du CPI. Cette disposition a été mise en œuvre pour la première fois en référé par un jugement du tribunal de grande instance de Paris le 28 novembre 2013. Dans cette décision le tribunal a ordonné aux fournisseurs d’accès internet en France d’empêcher l’accès, à partir du territoire français, à des sites de « streaming » illégal parmi lesquels Dpstream.tv et Fifostream.tv, et a ordonné à plusieurs moteurs de recherche d’empêcher sur leurs services l’apparition de toute réponse renvoyant vers ces sites. Mais la question qui se pose néanmoins, lorsque de telles mesures sont ordonnées, est de savoir qui doit supporter les coûts du blocage.
Il restent d’autres acteurs faisant partie du processus de l’impression 3D et beaucoup de questions qu’on peut se poser, par exemple, sur la traçabilite du fichier CAO, l’impression unique ou à nombre limité avec un fichier CAO. D’ailleurs, en protegeant le droit de propriété intellectuelle des titulaires, il ne faut pas nuire aux droits fondamentaux tels que liberté d’expression, liberté du commerce et d’industrie, et liberté de la concurrence.
Sources :
Céline CASTETS-RENARD, « Dailymotion hébergeur…dans l’attente d’une loi sur le numérique », RLDI 3362
Caroline LE GOFFIC, Aude VIVES-ALBERTINI, « L’impression 3D et les droits de propriete intellectuelle », Proprietes Intellectuelles, janvier 2014 / no50
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