« Vous êtes en état d’arrestation pour le futur meurtre de Sarah Marks ». En 1956, dans sa nouvelle Rapport minoritaire, Philip K. Dick imagine une police préventive chargée d’arrêter les criminels avant qu’ils ne passent à l’acte. Une histoire qui n’était censée rester que de la science-fiction avant la loi du 30 juin 2016 sur le renforcement de la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et son financement et la création de l’article 421-2-5-2 du code pénal.
Cet article visait à sanctionner la consultation habituelle de sites terroristes de 2 ans de prison et 30 000€ d’amende et ce sans qu’il y ait besoin de démontrer une quelconque intention de commettre un acte terroriste ou l’adhésion à cette idéologie. L’article prévoyait néanmoins des exceptions pour les journalistes, la recherche scientifique, la recherche de preuves en justice ou lorsque la consultation était effectuée de « bonne foi ».
Fortement critiqué pour sa rédaction trop vague, l’article a fait l’objet d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) le 7 décembre 2016. En l’espèce, un français était poursuivi pour avoir consulté des contenus djihadistes sur Telegram.
C’était à prévoir, le Conseil constitutionnel a, dans une décision du 10 février 2017, censuré l’article 421-2-5-2 du code pénal pour atteinte disproportionnée à la liberté de communication garantie par la Constitution.
L’accès à internet, une liberté nécessaire à l’exercice de la liberté de communication
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel vient rappeler que le libre accès à internet doit être compris comme un corollaire de la liberté de communication des pensées et des opinions garanties par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Il s’agit d’une position que le Conseil avait déjà adoptée par le passé, notamment à travers la décision Hadopi de 2009 où il était venu faire d’internet un droit fondamental. En effet, en participant à la vie démocratique, à l’expression des idées et des opinions – pour le Conseil – on ne peut restreindre l’accès aux contenus présents sur internet.
Un délit disproportionné et inutile
Néanmoins il est toujours possible de mettre des limites à la liberté. En ce sens, l’article 11 de la DDHC énonce clairement « tout citoyen peut donc écrire, parler, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». On pourrait penser que dans ce cas-ci, la limite est envisageable. Il s’agit d’éviter la radicalisation et une menace plus grave qui pourrait peser sur la vie des individus. Mais le Conseil vient rappeler que l’atteinte portée à un droit ou une liberté doit être « nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi ». C’est ici que l’article 421-2-5-2 pose problème. Le Conseil estime, en effet, que l’article n’est d’une part pas nécessaire et d’autre part disproportionné.
Tout d’abord le délit prévu par l’article est disproportionné puisqu’il s’applique sans prendre en compte une quelconque intention de commettre un acte terroriste ou la manifestation d’une adhésion à l’idéologie djihadiste. Certes des exceptions sont prévues par l’article mais le Conseil estime que l’exception de « bonne foi » donne une portée beaucoup trop vague au délit. Dès lors, toute personne nourrie d’une trop grande curiosité intellectuelle est susceptible de faire l’objet d’une poursuite avec à la clé une sanction plutôt sévère.
Pour Me François Sureau – intervenant pour la ligue des droits de l’homme – l’article vient instaurer la « présomption d’une intention criminelle », du jamais vu en France. On vient sanctionner un « possible futur acte terroriste » et/ou une « supposé adhésion idéologique ». Le problème réside bien sûr dans une absence de preuves tangibles.
Par ailleurs, le Conseil estime que l’atteinte faite à la liberté de communication n’est pas nécessaire en raison d’un arsenal judiciaire existant et suffisant pour lutter contre le terrorisme. En effet, il vient rappeler que les autorités administratives et judiciaires disposent de nombreux pouvoirs qui n’ont fait qu’augmenter ces dernières années. Elles ont ainsi la possibilité de bloquer des sites internet djihadistes, de surveiller les visiteurs de ces mêmes sites et de sanctionner ceux dont le comportement tend vers une intention terroriste.
La réhabilitation du délit de consultation habituelle de sites terroristes dans la nouvelle loi relative à la sécurité publique
Bien évidemment cette censure n’a pas plus à certains parlementaires qui avaient fait de ce délit une vraie bataille. Profitant de la discussion en commission mixte paritaire du projet de loi relatif à la sécurité publique, les parlementaires ont rétabli le délit de consultation de sites djihadistes « annulé de façon ahurissante par le CC » à en croire le tweet du député Eric Ciotti, membre de la commission.
C’est dans un grand moment de démocratie parlementaire que la loi relative à la sécurité publique a été adoptée le 15 février 2017 par l’Assemblée Nationale avec 35 voix pour et 5 contre (sur 577 députés) puis par le Sénat le 16 février 2017 à mains levées.
Les parlementaires ont quand même pris le soin, de réécrire le délit en prenant en compte des considérants du Conseil constitutionnel.
Ainsi, le nouvel article 241-2-5-2 dispose désormais que :
« Le fait de consulter habituellement et sans motifs légitimes un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service.
Constitue notamment un motif légitime tel que défini au premier alinéa la consultation résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s’accompagne d’un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes. »
Le législateur a donc tenté de préciser un peu plus le champ d’application du délit. Dans le premier alinéa, figure désormais à la place de « bonne foi », les mentions « sans motifs légitimes » et « lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service ».
Le problème est que ces nouveaux ajouts ne paraissent pas garantir une réelle stabilité juridique. En effet comment mesurer la manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée ? Encore une fois, la portée de l’article semble relativement vague. Pour Me Khankan, l’avocat du requérant à l’origine de la QPC, il y a là le danger d’ouvrir une boite de pandore. En effet, imaginons que le simple retweet d’une image ou vidéo (certes sordide) d’actes terroristes soit considéré comme la preuve de l’adhésion à une idéologie djihadiste ? Par ailleurs Me Khankan rappelle qu’il existe déjà des sanctions pour apologie du terrorisme. En ce sens, l’atteinte à la liberté de communication n’apparaît toujours pas nécessaire.
Quant à la notion de « sans motifs légitimes », le législateur ne prend pas la peine de décrire quels sont ces motifs qui seraient légitimes. Il se contente de donner une liste non limitative en utilisant l’adverbe « notamment ».
Enfin le nouvel article vient ajouter une obligation : signaler les contenus aux autorités publiques compétentes. Il existe ici un double problème. Déjà qu’est-ce qui nous dit que l’internaute qui visite par curiosité intellectuelle est au courant de cette obligation ? Et même si c’était le cas, un simple oubli et l’internaute devient adhérant à Daesh. Cela semble encore une fois disproportionné. Second problème, la plateforme Internet-signalement.gouv.fr donne la possibilité de signaler un contenu illicite tout en restant anonyme…
En sommes, il est fort possible que ce nouvel article fasse de nouveau l’objet d’une QPC et d’une censure du Conseil. En proposant le 20 février dernier de modifier la Constitution pour rétablir le délit de consultation de sites terroristes, il semble que certains parlementaires ne doutent pas de l’inconstitutionnalité de leur article préféré.
SOURCES :
UNTERSINGER (M.), « Le délit de consultation de sites terroristes censuré par le Conseil constitutionnel », lemonde.fr, mis en ligne le 10/02/2017, consulté le 25/02/2017,http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/02/10/le-conseil-constitutionnel-censure-la-consultation-habituelle-de-sites-terroristes_5077569_4408996.html
LAUSSON (J.), « Le Conseil constitutionnel dynamite le délit de consultation des sites terroristes », numerama.com, mis en ligne le 10/02/2017, consulté le 25/02/2017,http://www.numerama.com/politique/231549-le-conseil-constitutionnel-dynamite-le-delit-de-consultation-des-sites-terroristes.html
ANONYME, « Le Conseil constitutionnel censure le délit de consultation “habituelle” de sites terroristes », liberation.fr, mis en ligne le 10/02/2017, consulté le 25/02/2017,http://www.liberation.fr/france/2017/02/10/le-conseil-constitutionnel-censure-le-delit-de-consultation-habituelle-de-sites-terroristes_1547598
REES (M.), « Délit de consultation des sites terroristes : “l’arsenal est déjà largement suffisant” », nextinpact.com, mis en ligne le 15/02/2017, consulté le 25/02/2017,https://www.nextinpact.com/news/103298-delit-consultation-sites-terroristes-l-arsenal-est-deja-largement-suffisant.htm
REES (M.), « La nouvelle version de délit de consultation de sites terroristes définitivement adoptée », nextinpact.com, mis en ligne le 16/02/2017, consulté le 25/02/2017,https://www.nextinpact.com/news/102917-la-nouvelle-version-delit-consultation-sites-terroristes-definitivement-adoptee.htm
LAUSSON (J.), « Le délit de consultation habituelle de sites terroristes fait son retour », numerama.com, mis en ligne le 14/02/2017, consulté le 25/02/2017,http://www.numerama.com/politique/232320-le-delit-de-consultation-habituelle-de-sites-terroristes-fait-son-retour.html
LAUSSON (J.), « Eric Ciotti est prêt à modifier la constitution pour rétablir le délit de consultation des sites terroristes », numerama.com, mis en ligne le 23/02/2017, consulté le 26/02/2017,http://www.numerama.com/politique/235383-eric-ciotti-est-pret-a-modifier-la-constitution-pour-retablir-le-delit-de-consultation-des-sites-terroristes.html
Proposition de loi constitutionnelle n°4520, consulté le 26/02/2017, http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion4520.asp