Le groupe Webedia a récemment soumis à l’approbation du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) un projet de chaine de télévision dédiée à 100% aux sports électroniques. De plus en plus d’éditeurs de télévision font le pari d’investir dans des programmes e-sportifs hebdomadaires tels que la chaine C8 avec l’émission « E-Sports European League » ou encore la chaine à abonnement Be In Sports avec l’émission « Be In E-Sports ». Pourtant la pratique des sports électroniques en France en est encore à ses débuts, en témoigne l’appréhension tardive de la discipline par le législateur français avec la Loi pour une République Numérique du 7 octobre 2016.
Une qualification juridique parfois difficile
Le marché mondial de l’e-sport aurait généré en 2016 un chiffre d’affaires estimé à 493 millions de dollars et devrait connaitre une hausse de plus de 40% en 2017 pour atteindre 696 millions de dollars (1). Si le succès du développement économique de l’e-sport ne fait plus aucun doute, la question se pose quant à la qualification juridique des sports électroniques. Cette qualification fait appel à plusieurs notions comme par exemple la notion d’activité physique et la notion de compétition.
Traditionnellement, le sens commun du mot « sport » est associé à la notion d’activité physique. Pourrait-on dire que la notion d’activité physique est pour autant une déterminante dans la notion de sport ? Pour les sports traditionnels, tels que le football ou le rugby, la question ne se pose pas car la conscience collective associe ces activités à des activités sportives dans lesquelles des joueurs s’entraînent physiquement afin de remporter des compétitions. Pour autant, certaines activités comme les échecs sont associées à celle de sport. C’est d’ailleurs l’argument qui est revendiqué par les promoteurs de l’e-sport car les échecs et les sports électroniques ont en commun une forte dimension compétitive. Par ailleurs, les échecs, qui sont assimilés à un jeu intellectuel et stratégique, trouvent leur traduction au sein des sports électroniques : les jeux de stratégie en temps réel à l’instar de Starcraft 2 ou Warcraft 3 où deux joueurs s’affrontent sur un terrain déterminé et où chaque joueur doit faire appel à ses stratégies et à son intellect.
La notion d’activité physique pourrait donc être à géométrie variable. Les sports électroniques pourraient se définir par l’organisation de compétitions de jeux vidéo. Pour autant, les genres de jeux vidéo sont nombreux et il est parfois difficile d’appréhender les qualités requises pour devenir joueur professionnel. Par exemple, les qualités demandées à un joueur professionnel de FPS (first person shooter) ne seront pas les mêmes que celles que l’on requiert d’un joueur professionnel de jeu de danse ou d’un joueur professionnel de MOBA (multiple online battle arena). Une échelle de mesure a cependant été utilisée pour évaluer les activités du joueur professionnel d’e-sport : les actions par minute (APM). Certains joueurs peuvent par exemple atteindre une moyenne 300 actions par minute pour les jeux de stratégie en temps réel, ce qui revient à réaliser environ 5 actions par seconde. La notion d’activité physique n’est néanmoins pas suffisante pour caractériser la qualification juridique d’un sport, a fortiori d’un sport électronique. Il est donc primordial d’évoquer la dimension compétitive que revêtent les sports électroniques.
La dimension compétitive est le fer de lance des promoteurs d’e-sport. En effet, si les sports traditionnels pourraient se caractériser par la pratique d’une activité physique, la compétition est l’autre volet essentiel à la qualification de sport. Par analogie il serait donc envisageable de qualifier les sports électroniques de sport, non pas de par l’activité physique effectuée par les joueurs professionnels, mais de par l’organisation d’événements compétitifs. En d’autres termes, le sport électronique serait un sport par la forme. Les promoteurs d’e-sport argumentent en ce sens, en prônant notamment le développement économique du marché ainsi que l’affluence des spectateurs dans les stades. Pour exemple, le championnat du monde du jeu vidéo League of Legends, leader sur le marché de l’e-sport, se tenant actuellement en Chine verra jouer sa finale le 4 novembre 2017 au Beijing National Stadium (Nid d’oiseau) à Pékin, stade pouvant accueillir 80 000 spectateurs.
La qualification juridique des sports électroniques est donc essentielle. Il s’agit du point de départ à l’appréhension de la discipline par toutes les branches du Droit. Le législateur français s’est notamment penché sur la question ce qui a abouti à l’adoption de la Loi pour une République numérique le 7 octobre 2016.
La Loi pour une République Numérique du 7 octobre 2016, une avancée en deux temps
La question des sports électroniques interroge le législateur français. Si l’apparition des compétitions de jeux vidéo réunissant des milliers de participants peut se situer à la fin des années 1990, les réponses du législateur français se sont faites tardives comme en témoigne l’adoption de la Loi pour une République Numérique du 7 octobre 2016. Quelles traductions concrètes apporte cette loi en matière d’e-sport en termes de droit positif ? La Loi pour une République Numérique comporte deux articles relatifs aux sports électroniques : l’un relatif aux compétitions de jeux vidéo (article 101), l’autre relatif aux joueurs professionnels de jeux vidéo (article 102).
L’adoption de cette loi s’inscrit dans un contexte de réelle nécessité d’adaptation du cadre législatif aux pratiques du secteur. Pour exemple, les compétitions de jeux vidéo entraient sous l’égide de l’article L322-2 du Code de la Sécurité Intérieure interdisant les loteries entendues comme « toute opération offerte au public, sous quelque dénomination que ce soit, pour faire naître l’espérance d’un gain qui serait dû, même partiellement, au hasard et pour lesquelles un sacrifice financier est exigé par l’organisateur de la part des participants ». Par ailleurs la loi Hamon du 17 mars 2014, insérant une nouvelle disposition dans le Code de la Sécurité Intérieure, exclut « tous les jeux dont le fonctionnement repose sur le savoir-faire des joueurs ». En d’autres termes, les compétitions de jeux vidéo étaient visées par ces deux normes puisque, d’une part les jeux vidéo font appel à une participation active des joueurs et que d’autre part les compétitions de jeux vidéo laissent espérer un gain. Le cash prize à l’issue des compétitions peut d’ailleurs s’évaluer à plusieurs millions de dollars.
Le législateur français a donc inséré grâce à la loi du 7 octobre 2016 de nouvelles dispositions dans le Code de la Sécurité Intérieure afin de sortir les compétitions de jeux vidéo des loteries prohibées. Désormais, les compétitions de jeux vidéo doivent répondre à deux conditions : d’une part qu’elles soient organisées en la présence physique des joueurs, et d’autre part, que le montant des droits d’inscription et sacrifices financiers consentis par les joueurs « rapportés au coût total d’organisation de la manifestation, n’excède pas le taux de 100% », sauf à pouvoir garantir le reversement de la totalité des gains ou des lots mis en jeu (2). En d’autres termes, les participations des joueurs aux compétitions de jeux vidéo ne doivent pas excéder le coût total de l’organisation de l’événement, sauf si une part conséquente est reversée aux vainqueurs, au titre des cash prizes.
L’autre avancée de la Loi pour une République Numérique du 7 octobre 2016 concerne les joueurs professionnels de jeux vidéo. En effet, l’article 102 de la loi précise le statut des joueurs professionnels de jeux vidéo. Le joueur professionnel de jeux vidéo est désormais un salarié soumis aux dispositions du Code du travail puisque celui-ci signe un contrat à durée déterminée d’une période pouvant être inférieure à 12 mois (durée d’une saison de jeu vidéo compétitif). La loi du 7 octobre 2016 protège également les joueurs professionnels qui seraient mineurs et soumis à l’obligation scolaire (3).
Toutefois, si la Loi pour une République Numérique apporte une avancée en deux temps avec d’une part l’encadrement des compétitions de jeux vidéo et d’autre part la création d’un véritable statut juridique du joueur professionnel de jeu vidéo en Droit du Travail, une lacune essentielle persiste : les sports électroniques ne sont pas reconnus en tant qu’activité sportive. Cette lacune de la loi française tranche avec les législations et les pratiques qui ont pu être adoptées à l’étranger.
La Corée du Sud, berceau de la culture e-sportive
Depuis 1999, la Corée du Sud est dotée d’un interlocuteur essentiel entre le législateur coréen et les acteurs du marché des sports électroniques : la KeSPA (Korean e-Sports Association)(4). Les actions de la KeSPA sont très importantes car elles placent un cadre réglementaire systématique pour toutes les compétitions de sports électroniques. La KeSPA dispose également de onze antennes dans les différentes provinces de la Corée du Sud pour promouvoir l’e-sport auprès des politiques ainsi qu’auprès des entreprises du secteur. Par ailleurs, la KeSPA émet régulièrement des avis et recommandations sur les pratiques du secteur ainsi que sur les domaines émergents des sports électroniques. La dernière en date concerne par exemple les jeux mobiles à réalité augmentée ou en réalité virtuelle ayant une dimension compétitive (5).
Les interventions de la KeSPA les plus marquantes résident dans les partenariats avec le Ministère de l’Education et le Ministère des Sports pour permettre l’attribution de bourses d’études pour les joueurs professionnels, un système équivalent existe également aux Etats-Unis (6). Même si l’octroi de bourses d’études aux joueurs professionnels de jeu vidéo peut sembler encore confuse pour le législateur français, le secteur des sports électroniques en France peut compter sur deux acteurs essentiels: l’association France Esports qui promeut le développement, la régulation et la médiatisation des sports électroniques, ainsi que le Syndicat des Editeurs de Logiciels de Loisirs (SELL) qui promeut et défend le jeu vidéo et les joueurs auprès des politiques, des institutions et des médias.
Par conséquent, la France est-elle en retard en matière de sports électroniques ? Même si les sports électroniques ne sont pas encore reconnus en tant qu’activité sportive par le législateur, les efforts entrepris abondent dans le bon sens. La France s’est dotée d’une loi précisant le cadre réglementaire des compétitions de jeux vidéo et le statut des joueurs professionnel. D’autres acteurs tels que France Esports ou le SELL prônent une approche qui pourrait s’apparenter à celle de la KeSPA en Corée du Sud, ce qui est un bon indicateur pour la promotion des sports électroniques. Par ailleurs, certains grands noms du sport investissent également dans des structures e-sportives puisque les clubs français Paris-Saint-Germain ainsi que Olympique Lyonnais ont recruté des joueurs professionnels pour des jeux comme League of Legends ou Fifa.
Sources :
(1) Global esports market report, Newzoo, 2017 <https://newzoo.com/insights/markets/esports/>
(2) Article L321-9 du Code de la Sécurité Intérieure
(3) Article L7124-9 du Code du Travail
(4) Site officiel de la KeSPA, traduit du coréen : <http://www.e-sports.or.kr/>
(5) Communiqué de presse, KeSPA, 11 octobre 2017, consulté le 20 octobre 2017, <http://www.e-sports.or.kr/board_kespa2014.php?b_no=6&_module=data&_page=view&b_no=6&b_pid=9999527700>
(6) « Etudes et eSport enfin compatibles », 22 juin 2014, Millenium <http://www.millenium.org/home/esport/esport/etudes-et-esport-enfin-compatibles-lol-etudes-universite-amerique-esport-starcraft-riot-esl-ascensi-fac-scolaire-visa-111030>
RABU (G.), REVERCHON-BILLOT (M.), Les enjeux juridiques de l’e-sport, PUAM, 1ère éd., 2017, 622p.