Youtube est-il responsable de contrefaçon ?
C’est la question qui a été posée à la CJUE par la Cour allemande en septembre 2018. En effet, si les contenus sont protégés par les droits d’auteur, la question qui se pose est celle de savoir sur qui repose la responsabilité dans le cadre d’une contrefaçon : sur l’internaute, postant un contenu, ou sur la plateforme, stockant un ensemble de contenus ?
Le problème de la mise en ligne des contenus protégés par le droit d’auteur (vidéos, musiques, films…) sans aucun contrôle préalable de l’hébergeur est réglée par la directive du Parlement européen et du Conseil sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique, adoptée le 26 mars dernier et publiée officiellement le 17 avril.
Une telle question qui a été posée par la Cour allemande à la CJUE en septembre 2018. En effet, la première était saisie d’une affaire dans laquelle étaient concernés Youtube et Uploaded, deux plateformes basées sur le User Generated Content (UGC), tirant chacune des ressources financières de leur exploitation et rémunérant les utilisateurs ou interdisant le chargement de contenus protégés par les droits applicables à des tiers.
Dans ce cadre, il convient d’emblée de rappeler la définition du statut de l’hébergeur, clairement énoncée par l’article 6-I-2 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004. Ainsi, les hébergeurs « assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par les destinataires de ces services ».
Cette précision permet donc de distinguer l’hébergeur de l’éditeur, puisque le second possède une « maîtrise éditoriale » sur les contenus et une mise à disposition d’un contenu original, comme l’énoncent les lois du 30 septembre 1986 et du 5 mars 2009. Il convient de préciser que la seconde qualification n’est jamais appliquée aux différentes plateformes en ligne, dont le contenu est édité par leurs usagers.
Dans le cas d’espèce concernant Youtube, le requérant, un producteur de musique, se prévaut de la présence sur la plateforme de titres dont il détient les droits. Après une première mise en demeure, les titres sont bloqués par la plateforme, mais sont rapidement repostés par des utilisateurs. La demande du producteur devant le tribunal allemand est donc la suivante : la cessation du comportement, la communication de renseignements sur les utilisateurs, ainsi que l’octroi de dommages et intérêts. La Cour d’appel a pu faire droit à ses demandes, à l’exception du paiement de dommages et intérêts.
La Cour suprême allemande (BGH) est saisie, mais celle-ci sursoit à statuer pour poser cette question à la CJUE :
« L’exploitant d’une plateforme vidéo en ligne sur laquelle les utilisateurs mettent à disposition du public des vidéos comportant des contenus protégés par le droit d’auteur sans l’accord des titulaires de droits, procède-t-il à un acte de communication au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE lorsque :
-
- il tire des recettes publicitaires de la plateforme ;
- le téléchargement s’effectue automatiquement et sans visualisation ou contrôle préalable par l’exploitant ;
- l’exploitant obtient en application des conditions d’utilisation et pour la durée du placement de la vidéo sur la plateforme une licence mondiale, non-exclusive et libre de redevance à l’égard des vidéos ;
- l’exploitant signale dans les conditions d’utilisation et dans le cadre du processus de téléchargement que les contenus portant atteinte au droit d’auteur ne sauraient être placés sur la plateforme ;
- l’exploitant met à disposition des outils grâce auxquels les titulaires de droits peuvent agir pour faire bloquer l’accès aux vidéos portant atteinte à leurs droits ;
- l’exploitant procède sur la plateforme à un traitement des résultats de recherche sous forme de listes de classement et de rubriques de contenus et présente aux utilisateurs enregistrés un aperçu de vidéos recommandées en fonction des vidéos déjà vues par ces utilisateurs ;
- s’il n’a pas concrètement connaissance de la disponibilité de contenus violant le droit d’auteur ou élimine immédiatement ou bloque sans délai l’accès à ces contenus lorsqu’il en prend connaissance ? »
De manière plus synthétique, deux questions peuvent être clairement dégagées :
- celle de la violation éventuelle des droits des ayants-droit des oeuvres concernées ;
- celle de la qualification d’hébergeur des plateformes et de leur responsabilité effective.
Dans le même ordre d’idée, cette interrogation vise plusieurs régimes de responsabilité :
- le régime applicable en matière de droit d’auteur (via les directives 2001/29 et 2004/48) ;
- le régime en matière d’e-commerce (via la responsabilité des intermédiaires issue de la directive sur le commerce électronique).
Dans ce cadre, les enjeux juridiques sont clairement déterminables :
- la protection des droits d’auteurs et droits connexes, rattachés au principe de responsabilité directe ;
- la responsabilité des prestataires exploitant une plateforme en ligne, rattachée au principe de responsabilité indirecte.
La problématique centrale est dès lors celle de l’absence de contrôle préalable de l’hébergeur lorsque l’internaute va poster une vidéo, une musique ou un film. Si la CJUE n’a pas encore répondu à la question de la Cour allemande, il convient de noter que celle-ci a souvent rappelé que l’activité d’hébergement a un « caractère purement technique, automatique et passif », nécessitant que le prestataire « n’ait pas la connaissance ni le contrôle des informations transmises ou stockées ».
En effet, cette décision s’inscrit dans le sillage de l’article 14 de la Directive de 2000 sur le commerce électronique, celle-ci énonçant que l’hébergeur n’est pas responsable des informations stockées à la demande d’un utilisateur de service sous 2 conditions :
« a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente ;
ou
b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible ».
Ainsi, ce régime a été introduit en droit français par l’article 6 de la loi du 21 juillet 2004 (LCEN) précitée.
Pour revenir de manière plus spécifique sur le principe de responsabilité directe précité, il convient de noter que la législation relative au droit d’auteur décrit dans quelles circonstances l’usage d’une œuvre prend la qualification du droit d’auteur et doit présenter une autorisation. Selon la directive, sont notamment soumis à l’autorisation des auteurs les actes de communication au public.
Dans ce cadre, la question est donc de savoir si une plateforme peut-elle être considérée comme commettant un acte de communication au public lorsqu’elle permet la publication d’UGC ?
Toujours selon la jurisprudence de la CJUE, il est fondamental d’opérer une appréciation individuelle et prendre en compte des critères interdépendants les uns par rapport aux autres et qui peuvent se présenter avec une intensité très variable selon les cas. La Cour a déjà eu l’occasion de relever le rôle de l’utilisateur et le caractère intentionnel de son action, supposant que l’utilisateur agisse en ayant pleinement conscience des conséquences de son comportement afin de fournir à des tiers un accès à une œuvre protégée.
Si la CJUE n’a pas encore rendu de décision en la matière, l’on peut citer la directive susmentionnée, ayant pour objectif de mettre fin au Value Gap, et souligner les solutions apportées par celle-ci.
En effet, elle établit en son article 15 un nouveau droit voisin sur l’usage numérique des publications de presse au bénéfice des éditeurs et agences. L’article 17 de la directive, lui, vise spécifiquement les plateformes et le statut d’hébergeur passif « clef du modèle économique des GAFAM ». Dès lors, la législation leur permet de refuser le statut d’éditeur et les contraintes en matière de droit d’auteur y afférent.
Pour contrer les GAFA, qui risquent de faire valoir leur statut d’hébergeur passif (statut créé par la directive de 2002), l’on observe une volonté de les responsabiliser en les obligeant « à se doter de mesures techniques afin d’identifier les contenus protégés mis en ligne ». Ainsi, les hébergeurs devront appliquer une technique de filtrage et établir leurs propres méthodes pour interdire la publication de contenus sous copyright.
De manière plus synthétique, la directive a ainsi permis la création d’un dispositif de protection pour les ayants-droit, imposant aux plateformes de mettre en place des mécanismes de filtrage des contenus postés par les internautes.
Les questions posée à la CJUE par la Cour allemande demeurent ainsi caduques depuis l’adoption de la directive le 26 mars dernier.
Alors, seule une question reste désormais en suspens : en dépit de la clarté et de la réponse apportée aux questions posées par la Cour allemande, d’autres questions de responsabilité verront-elles le jour à l’aune du développement toujours plus accru de Youtube ?
Sources :
- “Youtube est-il coupable et/ou responsable de contrefaçon ?” Par Maud Cock, www.droit-technologie.org ;
- “YouTube : qui est responsable de la diffusion de vidéos contrefaisantes ?” Par Jean-Christophe Ienné, www.village-justice.com ;
- “La directive sur le droit d’auteur est définitivement adoptée”, www.lexisactu.fr ;
- Texte de la directive du 17 avril 2019, www.eur-lex.europa.eu .