Suivre des cours, discuter avec ses proches, assister à des réunions, faire des rendez-vous ou autres, les réunions virtuelles ont envahi notre quotidien. Les entreprises surfent sur la vague de notre manque d’attention derrière nos écrans. Grâce à l’intelligence artificielle (IA), de nouvelles méthodes voient le jour pour garantir la concentration des utilisateurs. Pour ce faire, des logiciels observent nos activités durant les visioconférences. Sont-ils vraiment là pour nous aider face au télétravail ou pour nous surveiller à la trace ?
Vol des données personnelles ou l’optimisation des visioconférences
Notre état physique derrière nos écrans est analysé par des algorithmes qui, par la suite, vont proposer des solutions stimulantes aux plateformes de réunions virtuelles. Microsoft va encore plus loin en créant un système de notes pour les salariés.
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Des start-up sur la vague du distanciel
Depuis mars 2020, les visioconférences sont devenues pour beaucoup la norme de travail. Pour autant, rien ne garantit aux entreprises que les employés y sont vraiment actifs et ne décrochent pas en faisant autre chose. Des start-up sont arrivées avec la promesse d’optimiser les réunions virtuelles grâce aux mécanismes de l’IA. Par exemple, la société Macro a mis en place une interface collaborative pour les réunions Zoom afin que chacun puisse partager des documents ou prendre des notes virtuelles. Une autre nommée Fireflies a créé un processus qui enregistre les conversations puis les retranscrit permettant ainsi aux participants d’effectuer des recherches sur les contenus.
Certains vont encore plus loin, à la limite du flicage, comme Headroom qui synthétise une réunion en compte-rendu de mots-clés et des principales lignes directrices. Il arrive à décompter le nombre de mots ainsi qu’à mesurer le degré d’attention de chacun. Sur la plateforme, il est possible de retrouver des émoticônes pour une écoute plus active. Le moindre haussement de sourcil, une pupille dilatée, un sourire ou un regard ailleurs est analysé et constitue une création de donnée. Ce n’est pas la seule start-up s’intéressant au décryptage des émotions par l’IA. Techniquement, l’algorithme calcule notre degré d’attention et notre réactivité, cela permet alors d’installer des pauses et de modérer son discours. C’est évidemment très intrusif dans la vie privée et professionnelle.
Forcément avec cette distanciation sociale qui perdure, les entretiens d’embauche se font en visioconférence. La société HireVue s’est spécialisée dans le recrutement en ligne en produisant un score d’employabilité basé sur les mouvements du visage et le ton de la voix. Il est ensuite envoyé à l’entreprise en question. Cela pose la question de savoir si les personnes sont employées pour leur capacité à tromper la machine ou sur leurs expériences professionnelles… Ces méthodes peuvent être bonnes notamment pour l’amélioration des réunions virtuelles dans le temps, cependant il existe de grandes dérives possibles dont le flicage en permanence. Les logiciels peuvent conduire les personnes à changer leurs comportements pour coller aux attentes d’une machine.
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Le logiciel de Microsoft : évaluation ou surveillance des salariés ?
Microsoft a récemment mis au point une extension nommée « Productivity Score » qui consiste à convertir chaque activité réalisée par les participants en un nombre de points. Ils se sont inspirés du fonctionnement des jeux vidéos et des réseaux sociaux où les internautes sont devenus accro aux likes comme preuve d’une réussite personnelle. 72 critères sont évalués et rangés dans différentes catégories. On y trouve le nombre de fois où la caméra est allumée, l’envoi des mails ou encore la participation à un tchat de groupe. Derrière ce côté ludique se cache un excellent outil de surveillance puisque chaque donnée est disponible pour chaque employé, et la direction de l’entreprise y a accès.
Certains salariés qualifient cela de véritable cauchemar pour leur vie privée car leur moindre fait et geste est enregistré. Les entreprises demandent même à ce que les salariés gardent leur caméra allumée durant toute leur journée de travail, c’est très instructif. Certes des options de protection de la vie privée sont mises en place mais c’est à l’administrateur du système de les installer, autrement dit c’est au chef d’entreprise que revient la charge de préserver la vie privée de ses salariés. Dans la pratique ce n’est pas toujours très respecté car cela les arrange d’avoir la mainmise sur eux. Très répandus aux États-Unis, ces logiciels de surveillance ont augmenté depuis le confinement pour recréer l’ambiance de travail en présentiel. C’est un argument qui cache une collecte massive de données, des faits et gestes, et des conversations privées. L’environnement personnel n’est pas l’environnement professionnel et pour l’instant rien n’a encore prouvé que ces logiciels avaient un impact positif sur l’efficacité au travail. Finalement on peut même affirmer que c’est un moyen subliminal pour les entreprises de collecter des données de manière détournée au profit du bien-être en télétravail.
Les visioconférences ou l’espionnage de notre vie privée
Lors du premier confinement, la plateforme de visioconférence Zoom avait fait l’objet de nombreuses polémiques pour avoir démontré une très mauvaise conformité au RGPD : il n’y avait pas le consentement des utilisateurs, le système de cryptage était insuffisant et avait des liens avec d’autres plateformes pouvant ainsi croiser les données. Le 8 avril 2020, elle renforce sa sécurité notamment par le chiffrement de données même si ces dernières sont transférées hors Union européenne puisque son siège social est en Californie.
Le lendemain, la CNIL publie ses préconisations sur l’utilisation des outils de visioconférence pendant la pandémie. Elle oblige à une garantie de confidentialité des communications et à ne conserver que les données strictement essentielles. Le commissaire berlinois à la protection des données et de la liberté d’information a publié un examen de 17 logiciels de visioconférence en les classant selon s’ils respectent le RGPD ou non. Sans grande surprise, Zoom, Skype, Skype For Business, Microsoft Teams ou encore Google Meet ne sont pas protecteurs de la vie des utilisateurs, d’autant plus que les données de 530 000 comptes d’utilisateurs Zoom ont été mis en vente sur le dark web.
Sous l’argument du bien-être en télétravail on impose aux utilisateurs une violation de leur vie privée et une collecte massive de leurs données. Curieux raisonnement…
Sources :
- « Comment les logiciels de réunions virtuelles nous fliquent », Korii, 14 décembre 2020, korii.slate.fr
- « Covid-19 : les conseils de la CNIL pour utiliser les outils de visioconférence », CNIL, 9 avril 2020, cnil.fr
- KAHN (S.), « Microsoft 365 : le “score de productivité” accusé d’encourager la surveillance des employés », Le Figaro, 27 novembre 2020, lefigaro.fr
- KALLENBORN (G.), « La plupart des services de visioconférence ne sont pas conformes au RGPD », 01net, 7 juillet 2020, 01net.com
- LELOUP (D.) et SZADLOWSKI (M.), « Sécurité, données, usages… Cinq questions sur Zoom, le service de vidéoconférence qui cartonne », Le Monde, 2 avril 2020, lemonde.fr
- « Productivity Score : le logiciel Microsoft qui surveille les salariés », Korii, 1er décembre 2020, korri.slate.fr
- « Tableau comparatif de logiciels de visioconférence », Optimex Data, 12 novembre 2020, optimex-data.fr