Aujourd’hui avec l’avènement du web 3.0, des bouleversements sociaux, économiques mais aussi culturels se réalisent. Effectivement, l’apparition des NFT (Non Fungible Tokens, jetons non fongibles) brouille divers aspects de notre vie quotidienne, au départ cela ne touchait qu’une niche d’éléments tels que les jeux vidéos ou la monnaie. Désormais, c’est au niveau culturel que cette nouvelle technologie vient apporter ses innovations et l’industrie musicale semble être l’un des premiers acteurs à saisir cette opportunité comme le montre le contrat de partenariat signé entre Pianity et la SACEM le 15 novembre 2022. C’est en définissant les NFT et la blockchain qu’un constat d’un cadre juridique lacunaire est réalisé ce qui n’empêche pas le développement de ces nouvelles technologies à travers l’industrie musicale laissant percevoir avantages et inconvénients.
Le constat d’un cadre juridique lacunaire des NFT et de la blockchain au niveau culturel.
Pour l’instant, les NFT n’ont pas de réglementation spécifique permettant à leurs utilisateurs de bénéficier d’un vide juridique. Mais, les NFT étant intrinsèquement liés à la technologie de la blockchain, il est possible de les rattacher juridiquement à celle-ci même si elle reste récente et lacunaire.
En effet, un « NFT » est un jeton numérique non fongible, c’est-à-dire unique et non interchangeable qui est associé à un fichier numérique. Cette unicité et authenticité est permise par la blockchain, technologie créée avec la naissance du bitcoin en 2008 qui est un système sécurisé et transparent. Selon le Parlement Européen dans une résolution « les monnaies virtuelles » adoptée le 26 mai 2016 c’est un « ensemble de blocs intégrés dans un système partageant une base de données communes ». C’est-à-dire qu’elle permet de stocker et transmettre des informations mais également de constituer un historique des échanges réalisés entre les utilisateurs répertoriés dans une base de donnée. Celle-ci est controlée par des utilisateurs, les « mineurs » qui sont réalisées sans intermédiaire sur la base du concept de « confiance décentralisée ».
Au regard du droit français, c’est la première fois avec l’ordonnance du 28 avril 2016 que cette notion de blockchain est abordée, puis la loi SAPIN II du 9 décembre 2016 concernant des usages financiers de celle-
ci. Ensuite, le décret du 24 décembre 2018 ajoute un article R. 211-9-7 dans le code monétaire et financier. Mais c’est la loi PACTE promulguée le 22 mai 2019 qui va aborder les NFT. Elle précise la nécessité d’une autorisation préalable de son propriétaire quand des droits de propriété intellectuelle de celui-ci sont cédés. Enfin, une dernière loi en date du 28 février 2022 relative à la modernisation du marché de l’art insère un nouvel article L.320-1 dans le code de commerce qui autorise la vente aux enchères de « certains meubles incorporels », une manière implicite d’intégrer les NFT.
Le développement des NFT au sein de l’industrie musicale : un rééquilibrage entre majors et indépendants
Le secteur culturel et précisément l’industrie musicale s’est emparée des NFT et de la blockchain. Cette dernière, par la création de base de données permet d’avoir un registre des auteurs et de leurs créations. Egalement, les artistes peuvent contrôler l’usage de leurs oeuvres musicales car la blockchain permet une traçabilité transparente des oeuvres et de leurs transactions en permettant un versement de revenu automatisé directement à l’ayant- droit. Effectivement, selon le rapport du CSPLA le marché concerne 145 millions de dollars.
C’est ainsi que la SACEM a saisi cette opportunité avec la création du logiciel MusicStart, d’un Conseil Stratégique Innovation relatif aux NFT et une collaboration avec la société Pianity. Effectivement, concernant la plateforme Pianity, elle propose la vente de NFT associée à différentes types d’expériences avec l’artiste associé allant d’une journée studio à une avant-première.
Différents avantages sont donc perçus. Tout d’abord, ces jetons vont permettre aux artistes d’identifier et de tracer leurs transactions par les smart contrats. Ces “contrats intelligents” permettent d’apposer une signature numérique et de recevoir un versement effectif et direct de droit d’auteur pour le créateur du NFT. L’acquéreur possédera alors un portefeuille numérique où une clé d’identification permet d’y accéder. Cependant, selon le CSPLA en accord avec le droit de la propriété intellectuelle, un acquéreur n’est pas détenteur de droits patrimoniaux sur ces jetons et toute cession de droits est exclue.
Cette traçabilité permet également d’assurer une paternité de l’oeuvre pour son auteur par la chronologie qui est permise par l’intermédiaire de la blockchain et donc de mieux contrôler leurs usages.
Ensuite, les artistes vont pouvoir créer un lien plus fort et direct avec leurs communautés. Ils pourront ainsi co-créer et réaliser avec leurs auditeurs différentes expériences impossibles sans l’intermédiaire des NFT.
Ainsi, une nouvelle opportunité de création de la valeur est créée où selon un colloque de la SACEM cent titres vendus de NFT équivaut à deux ans de revenus. Une alternative apparait donc face à la prépondérance des majors, problématique de plus en plus conséquente à l’heure du streaming. Effectivement, ces dernières détiennent toutes les parts du marché en fournissant notamment des avances de droits d’auteurs. Les NFT permettent donc en inhibant les intermédiaires une stabilité financière pour les artistes. Malgré que les majors, elles aussi, investissent dans les NFT comme Warner Music avec la société Genies.
Des limites d’ordre juridiques sous-jacentes à cette utopie.
Mais certaines problématiques liées directement au manque de réglementation viennent apparaitre lorsque les NFT sont appliquées au niveau de l’industrie musicale. Effectivement, dans un premier temps concernant les oeuvres et leurs acquisitions via le téléchargement. Les acquéreurs successifs peuvent potentiellement avoir accès à ces oeuvres et donc l’unicité peut être compromise. Également, le téléchargement des NFT peut tomber sous l’empire juridique du droit de distribution ou de celui du droit de communication. Dans un arrêt du 19 décembre 2019 la CJUE indique que la vente de jeux vidéos dématérialisés relevaient du droit à la communication au public. Ainsi, par analogie si on considère que le téléchargement d’un NFT est une oeuvre fixée sur un support immatériel ces derniers relèveraient du droit à communication au public. L’autorisation des titulaires du NFT seraient donc indispensables avant chaque revente. En revanche, considérer qu’un NFT est une oeuvre fixée sur un support matériel relèverait du droit de distribution et l’autorisation des titulaires ne seraient obligatoires que pour la première revente.
Ensuite, des faux peuvent apparaitre car la sécurité de ces NFT dépendent du nombre de mineurs au sein de la blockchain qui assurent la sécurité et l’historique des transactions.
Lorsqu’un litige est en cause concernant les droits d’auteurs de l’oeuvre se pose la question de la responsabilité, celle du propriétaire, de l’artiste, ou bien de la plateforme hébergeur ? Il y a lieu de potentiellement appliquer la directive 2019/790/UE et son article 17 afin de tenir responsable les plateformes.
Ainsi, nombreuses sont les solutions que peuvent apporter ces nouvelles technologies au sein de l’industrie musicale afin de rétablir l’équilibre entre les différents acteurs. Cela nécessite donc un réel intérêt pour le législateur de réglementer cette zone de floue juridique.
Moreau-Hébraud Charlotte
Master 2 Droit de la Création Artistique et Numérique
Sources :
- (rapport de la mission confiée par le CSPLA а Me Jean Martin sur les jetons non fongibles, juill.2022, p. 15).
- https://time.com/6124814/music-industry-nft/
- Colloque SACEM : Valeur de la création et création de valeur : pour un new deal de la culture àl’heure du web3
- https://www-dalloz-fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=ACTU0215855
- https://www-dalloz-fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=LEGIPRESSE/CHRON/2020/0145
- https://www-dalloz-fr.lama.univ-amu.fr/documentation/Document?id=JAC/CHRON/2017/0793
- https://larevuedesmedias.ina.fr/la-blockchain-une-revolution-pour-les-industries-culturelles