par Océane AGASSIAN, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
Le 5 octobre dernier, la plateforme X, anciennement Twitter, a procédé à la suppression des titres des articles partagés par les agences de presse. Désormais, seule la photo illustrant la publication apparaît. Elon Musk justifie ce choix en affirmant que cela « améliore l’esthétique des publications ».
Une plateforme à scandale : X, l’évolution de Twitter
X a suscité depuis sa création beaucoup d’interrogations, notamment pour ce qui concerne la prolifération de fausses nouvelles, de harcèlement, ou encore les insuffisances de sa modération ; il n’est pas rare que ce réseau social voit sa légitimité entachée. Pour autant, il est certain que son rachat par Elon Musk a eu un impact primordial s’agissant de l’intensification de ces débats.
Pour contextualiser son désaccord avec la Commission européenne, Elon Musk avait posté un Tweet en octobre 2022 affirmant que « l’oiseau est libéré » (“The bird is freed“). Suite à cela, le Commissaire européen du marché intérieur avait répondu « En Europe, l’oiseau volera sous nos règles #DSA » (“In Europe, the bird will fly by our european rules #DSA“). A cette époque, l’inquiétude planait autour du fait qu’il avait l’intention de libérer la parole sur le réseau social, laissant ainsi craindre un allègement de la modération. Celui-ci avait d’ailleurs aussitôt rétabli le compte de Donald Trump qui avait été banni en 2017 de la plateforme pour incitation à la haine. Plus récemment encore, le 10 octobre 2023, des échanges publics ont eu lieu entre Elon Musk et Thierry Breton. En effet, à la suite des évènements israélo-palestiniens, le Commissaire européen du marché intérieur a sommé à l’entrepreneur de bien vouloir faire respecter les règles du Digital Services Act sur sa plateforme, qui est accusée de jouer un rôle important quant à la diffusion de fausses informations vis-à-vis de ce conflit. A cela, Elon Musk répondra une fois de plus à côté de la question sur un ton dédaigneux.
Le Droit à l’information : un impératif à respecter pour le bien commun
Il est important de rappeler que l’Arcom exige une obligation de transparence, ce qui implique pour X de communiquer sur les mesures prises permettant de lutter contre la manipulation de l’information.
L’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen prévoit la liberté de communication et de penser. Le droit à l’information implique quant à lui une double réalité : le droit d’informer et le droit d’être informé.
Un choix pouvant altérer la perception des internautes vis-à-vis des articles de presse
Les réseaux sociaux représentent un moyen simple d’accès à l’information pour un grand nombre d’utilisateurs. Il est ainsi légitime de se demander si en retirant le titre des publications de presse, X ne constitue pas un frein certain pour ce droit à l’information.
Est-ce que la seule vision d’une image inciterait davantage les utilisateurs à aller vers un lien ?
Muriel Ganni, auteure spécialisée dans la rédaction digitale et la stratégie numérique, ne sous-estime pas l’impact de l’image. C’est une première accroche pour le lecteur puisqu’elle capte son regard. Néanmoins, elle ajoute que l’image n’est efficace que si elle est couplée d’un titre court et explicite. Bien maitrisés, son impact et sa précision sont tels qu’ils permettent au public d’aller au-delà de l’image. Le titre constitue selon elle « la porte d’entrée vers le contenu ». Selon Jean-Luc Martin-Largardette, journaliste et essayiste français, le titre est en moyenne lu cinq fois plus que le corps du texte en lui-même.
C’est une réalité à laquelle il faut se heurter, tous les utilisateurs ne prennent pas nécessairement le temps de vérifier chaque information que son flux d’actualité lui propose ; et pour la minorité désireuse de vraies informations, beaucoup ne se contentent en réalité que de lire le titre des articles, laissant ainsi un semblant d’actualité à peu près fiable. Il est donc certain qu’en retirant le titre des publications de presse, cela favorise ce climat de prolifération des fausses nouvelles.
Quid du droit voisin des éditeurs et agences de presse ?
C’est dans une démarche de protection de la presse et de sa pluralité que s’inscrit la loi n°2019-775 du 24 juillet 2019. Cette dernière crée un droit voisin au profit des éditeurs et des agences de presse, afin que ceux-ci se voient rémunérés lorsque leurs publications sont reprises par un service de communication au public en ligne.
Plusieurs groupes tels que Le Figaro, Le Monde, Le Parisien, Les Échos, et bien d’autres, avaient sommé Twitter de respecter ce nouveau droit. Les organes de presse réclamaient les données exactes qui permettraient de déterminer le montant leur étant dû au titre de ces droits. Depuis qu’Elon Musk s’est retrouvé à la tête de la plateforme, ce dernier n’en a que faire et a même retiré le service de communication qui permettait d’échanger avec les journalistes ; et par-dessus tout, il se permet de répondre un émoji affligeant à ceux qui oseraient le contacter.
Bien que le législateur eût pour ambition de limiter les atteintes portées aux publications de presse et leurs auteurs, voilà le mépris avec lequel Elon Musk traite le travail journalistique.
X : la nouvelle source de référence s’agissant de l’information ?
Au-delà d’un choix esthétique, Elon Musk, par ces décisions, semble vouloir tendre la plateforme au sommet des médias. En effet, ces décisions revêtent une seconde nature qui n’est pas anodine. Ça n’est pas la première fois qu’il met en place un système préjudiciable aux médias. Ce dernier avait déjà auparavant réduit la vitesse d’accès aux liens vers des organes de presse comme le New York Times.
De plus, Elon Musk a affirmé qu’il ne lisait plus de presse dite traditionnelle, puisqu’il considère X comme étant le vecteur d’informations le plus efficace au monde. Cette vision utopiste d’un journal citoyen semble erronée par le flot d’utilisateurs mal intentionnés et/ou mal informés. Le travail journalistique n’est pas à sous-estimer ; d’autant plus avec le climat politique mondial actuel. Il semblerait ainsi plus judicieux de faciliter l’accès des utilisateurs aux informations journalistiques, plutôt que de promouvoir à nouveau l’essor de la désinformation.
Bien qu’Elon Musk ne semble pas réellement se préoccuper de l’impact d’X sur le paysage médiatique, la situation quant à elle devient critique. En effet, depuis son rachat de la plateforme, celui-ci ayant remercié plus de la moitié du personnel, X est désormais victime d’un manque d’effectif suffisant pour pallier correctement la diffusion de contenus illicites. Avec plus de 500 millions d’utilisateurs mensuels, l’impact d’X s’agissant de l’actualité n’est pas à sous-évaluer. L’influence de ce réseau social sur des éditeurs de presse et leurs articles ne fait aucun doute. En effet, la visibilité accordée aux éditeurs de presse par les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, agit directement sur leur succès ou non.
En justifiant cette décision comme étant un choix esthétique, Elon Musk néglige délibérément l’impact des utilisateurs manifestant une réticence quant à la vérification de ce qui leur est proposé. Il ne paraît pas pertinent de donner une nouvelle fois la possibilité aux utilisateurs de renoncer à cette curiosité de l’information. L’inquiétude qui plane autour du retrait des titres d’articles sur X apparaît alors plus fondée que jamais.