par Inès ZARROUK, étudiante du Master 2 Droit des médias électroniques
Durant le « Grand débat national » qui s’est déroulé en janvier 2019, Emmanuel Macron avait exprimé sa volonté d’aller « vers une levée progressive de toute forme d’anonymat ». Le 5 octobre dernier, à l’initiative du député Paul Midy, un amendement du projet de loi SREN (visant à sécuriser et réguler l’espace numérique) fixe pour l’année 2027 un objectif, celui d’atteindre l’accès à une identité numérique gratuite pour 100% des français. Ceux qui soutiennent cette mesure y voient un moyen d’accéder aux services publics ou de sécuriser des démarches administratives, à l’aide de dispositifs comme l’application France identité. Si l’élu proposait un système de « plaque d’immatriculation » en enlevant l’utilisation du pseudonyme sur les réseaux sociaux et en utilisant uniquement le nom d’état civil, un sous-amendement en a exclu l’idée. La fin de l’anonymat sur Internet est pour le moment un sujet clos.
L’identité numérique : une nouvelle manière de s’identifier sur Internet
L’identité numérique est la capacité à utiliser de façon sécurisée les attributs (enregistrés sous forme numérique et associés à une personne physique) de son identité pour accéder à un ensemble de ressources ou de services en ligne. En raison de l’importante croissance de la protection des données, en particulier dans le domaine des systèmes informatiques, l’évolution de l’Internet revêt une signification particulière en termes de communication et de partage d’informations. C’est dans ce contexte que les élus ont introduit un amendement visant à atteindre l’objectif de fournir une identité numérique gratuite à l’ensemble de la population française d’ici 2027 (article 4AC nouveau). La question qui se posait était alors la suivante : Est-il envisageable d’être identifié de manière universelle sur Internet ? Si le député socialiste Arthur Delaporte a estimé que : « l’on n’a pas à demander plus sur l’espace numérique que dans l’espace réel », l’exécutif avait également manifesté son opposition à la levée de l’anonymat sur Internet qui risquait de contrevenir aux règles européennes et à la Constitution. Les Français auront donc la possibilité de disposer d’une identité numérique gratuite d’ici 2027, s’ils le souhaitent, et cela sans qu’ils y aient d’obligations contraignantes, ou alors ils pourront conserver leur anonymat.
La question de l’anonymat sur Internet : la clôture d’un débat
Depuis une décennie, on observe un accroissement sans précédent des publications de contenus haineux et illicites en ligne. S’il est nécessaire que le droit s’adapte à cette nouvelle ère numérique et aux nouveaux délits qui en découlent, la liberté d’expression doit être protégée. De fait, la question de l’anonymat se referme avec la suppression de l’article 4B du projet de loi SREN. En effet, le II de l’article 22 de ce même projet de loi dispose que seul le fournisseur de service de communication au public en ligne pourra communiquer les éléments nécessaires d’identification des personnes qui éditent à titre non professionnel aux autorités compétentes. Ces éditeurs non-professionnels (soit, des individus lambdas) pourront ainsi conserver leur anonymat. Cela est déjà actuellement le cas grâce à la mise en place du décret du 25 février 2011 relatif à la conservation et à la communication des données.
Par ailleurs, il est important de préciser qu’aujourd’hui il est impossible d’être totalement anonyme sur Internet. Chaque internaute laisse de nombreuses traces de son passage sur le Web (connexions à divers réseaux sociaux et sites, adresse IP). L’anonymat est donc une notion essentielle qui participe à la protection de la liberté d’expression et au droit au respect de la vie privée. Il est nécessaire de pouvoir s’exprimer librement, sans craintes de représailles à travers des discussions protégées. De plus, d’après les dispositions du Code pénal et du Code des postes et des communications électroniques, les plateformes sont obligés de conserver ces données pendant un an. Ainsi, la notion d’anonymat par un pseudonyme n’est que très subjective.
Une protection accrue du pseudonyme : la condition sine qua non d’une expression libre et protégée
La pluralité des identités est aussi un moyen que chacun peut utiliser pour séparer les différents aspects de sa vie. C’est pour cela que les élus ont laissé possibilité aux français de disposer d’une identité numérique gratuite sans qu’ils aient d’obligations contraignantes. D’une part, cela contreviendrait au droit européen et international et d’autre part, car le pseudonymat est en réalité une garantie de la démocratie. Les juristes restent unanimes : une interdiction du pseudonymat entrainerait une auto-censure des citoyens car les citoyens seraient réticents à exprimer une opinion. Par ailleurs, comme il a été dit précédemment, personne n’est réellement anonyme sur l’Internet, les fournisseurs de services doivent conserver les données personnelles de leurs utilisateurs pendant une année au moins. Ainsi les députés ont adopté une position intermédiaire.
SOURCES :
Lexis Nexis, Fasc. 600 : Le droit du web participatif
Lexis Nexis Question écrite n° 04941, 26 janv. 2023 – Nécessaire encadrement des profils et avatars sur les réseaux sociaux et éventuelle création d’une identité numérique. – M. Roger Karoutchi – .
Ethiquenumérique.fr : Lever l’anonymat sur Internet, est-ce vraiment utile ?
CNIL.fr : Dossier thématique « l’identité numérique »
EDPS.europa.ue : Formal comments of the EDPS on the Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council amending Regulation (EU) No 910/2014 as regards establishing a framework for a European Digital Identity