par Claire BEZARD, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
Le lundi 16 septembre 2024, le groupe américain Meta, possédant Facebook, Instagram et WhatsApp a annoncé interdire aux médias d’État russes tels que Russia Today (RT) appartenant au groupe Rossia Segodnia, ainsi que d’autres filiales, d’accéder à ses plateformes dans le monde entier pour ainsi éviter toute « activité d’ingérence étrangère ».
Le bannissement de ces médias par Meta intervient quelques jours après que le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, ait dénoncé les activités douteuses du groupe Rossia Segodnia. En outre, des poursuites pénales et des sanctions avaient été prises par les autorités américaines visant le média russe, en réponse à des tentatives d’ingérence dans la campagne de l’élection présidentielle de 2024 aux États-Unis.
« Après une réflexion approfondie, nous avons élargi notre action contre les médias d’État russes », a fait savoir la multinationale américaine. « Rossia Segodnia, RT et d’autres entités apparentées sont désormais bannies de nos applications dans le monde entier en raison de leurs activités d’ingérence étrangère » a déclaré Meta.
Un instrument de propagande du Kremlin
« De telles actions contre les médias russes sont inacceptables » a annoncé Dmitri Peskov, le porte-parole de la présidence russe, en estimant que Meta « se discréditait » sur cette décision. Meta justifie cette interdiction notamment par la multitude de tactiques trompeuses utilisées par ces médias afin de mener des opérations d’influence pro-russes en ligne. En effet, le média russe RT est considéré par les Occidentaux comme un véritable organe de propagande en faveur du Kremlin. Il est accusé d’être un canal de désinformation tentant de semer le conflit.
Le média Russia Today a été forcé de cesser ses activités après le début de l’invasion de l’Ukraine, notamment au Canada, au Royaume-Uni, aux États-Unis et dans l’Union européenne.
Qu’est-ce qu’une ingérence étrangère ?
Une ingérence étrangère est une intrusion d’un État dans la politique intérieure d’un autre État. L’ingérence possède un caractère malveillant, dissimulé voire clandestin visant à déstabiliser le pays ciblé.
Concernant les ingérences particulières de la manipulation de l’information, elles ont reçu en France une définition réglementaire par le biais du Décret du 13 juillet 2021 portant création de Viginum : « Opérations impliquant, de manière directe ou indirecte, un État étranger ou une entité non étatique étrangère, et visant à la diffusion artificielle ou automatisée, massive et délibérée, par le biais d’un service de communication au public en ligne, d’allégations ou imputations de faits manifestement inexactes ou trompeuses de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ».
Récemment, une nouvelle loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France a été promulguée le 25 juillet 2024. La loi fait suite à deux rapports parlementaires de 2023, de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) et d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Cette loi met en place plusieurs mesures en matière de transparence et de renseignement. Premièrement, elle crée un registre numérique des activités d’influence étrangère mené par la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) visant à identifier les individus et organisations agissant pour le compte d’un mandat étranger. Elle autorise, à titre expérimental jusqu’au 30 juin 2028, d’utiliser la technique de l’algorithme pour détecter des connexions pouvant déceler des connexions suspectes ou menaces pour la défense nationale. Cet algorithme fonctionne sur la base d’un modèle prédéfini pour repérer des comportements ou interactions pouvant indiquer des actes d’influence ou de manipulation ordonnés par des puissances étrangères. De plus, la procédure de gel des avoirs financiers est étendue aux affaires d’ingérences étrangères. Ainsi, les personnes finançant ou incitant ces actes verront leurs fonds et ressources gelés en France. Enfin, la loi alourdit également les sanctions pénales dans le code pénal et notamment en cas d’atteinte aux biens ou aux personnes pour le compte d’une puissance ou d’une entité étrangère ou sous contrôle étranger.
Même si cette loi marque une avancée notable dans la lutte contre les tentatives d’ingérences extérieures, notamment en renforçant le dispositif de contrôle face aux actions de déstabilisation menées par d’autres puissances telles que la Russie, sera-t-elle suffisamment efficace face à la réalité contemporaine ?
Le difficile encadrement des ingérences étrangères liées à la manipulation de l’information
Malgré cela, Russia Today continue de diffuser sa propagande en France. Il suffit de quelques petits clics sur internet pour écouter le média russe répandre sa propagande, et cela malgré l’interdiction d’émettre en France deux ans auparavant. Quelques jours après le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Union européenne avait interdit la diffusion de cette chaîne financée par Moscou partout en Europe dans une décision du 1er mars 2022. Pourtant, au mois de septembre 2024, il était encore possible d’y accéder gratuitement en France et sans l’usage d’un VPN.
La France se trouve dans une position vulnérable face aux ingérences étrangères, principalement provenant de la Russie, de la Chine, de la Turquie et de l’Iran. Ces ingérences liées à la désinformation persistent malgré un cadre juridique relativement solide. En dépit de nombreux outils législatifs pour prévenir et encadrer ces intrusions, leurs apparitions dans la sphère médiatique témoigne d’une certaine insuffisance ou inadaptation dans l’application de ces lois. Les avancées technologiques ont permis à la désinformation d’évoluer et de s’exprimer par des moyens bien plus subtils. Le droit peine à s’adapter de manière rapide à ces nouvelles formes d’ingérences.