par Ellie SOKOLO-KACOU, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
En octobre dernier, une quarantaine d’États américains ont porté plainte contre les plateformes de Meta, notamment Facebook et Instagram, leur reprochant de nuire à la “santé mentale et physique de la jeunesse”, à cause des risques “d’addiction”, de cyberharcèlement ou de troubles de l’alimentation. Comme l’a affirmé Antigone Davis, vice-présidente du groupe californien chargée des enjeux de sûreté, auprès de l’AFP, c’est dans un souci de tranquillité d’esprit pour les parents qu’une mise à jour importante a été conçue sur Instagram ; celle de la création de « comptes ado ».
Déployés depuis le mardi 17 septembre 2024 dans plusieurs pays (les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, l’Australie) et d’ici à la fin de l’année en France et dans l’Union européenne, ces comptes, voulus plus protecteurs, seront imposés d’office à tous les mineurs utilisateurs de ce réseau social.
A cet effet, tous les utilisateurs âgés de 13 à 17 ans seront automatiquement soumis à certaines restrictions visant à les protéger. Ces « comptes ado » pourront par ailleurs être supervisés par les parents. Toutefois, sont-ils conformes à la législation applicable en France, et plus généralement en Union européenne ?
LES IMPLICATIONS DES « COMPTES ADO »
Un statut différent pour les 13-15 ans et les 16-17 ans
Rappelons qu’au terme de l’article 388 du code civil « Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis. ».
Instagram distingue à cet effet les 13-15 ans des 16-17 ans, ces derniers pouvant en effet si leurs parents acceptent, modifier eux-mêmes les paramètres de restrictions.
En pratique, les utilisateurs âgés de 13 à 15 ans auront désormais des comptes privés par défaut, avec des garde-fous sur les personnes qui peuvent les contacter et les contenus qu’ils peuvent voir. Autrement dit, leurs publications ne seront accessibles qu’aux « amis » et ils ne pourront communiquer avec un majeur que s’ils se suivent mutuellement. L’autorisation parentale sera à cet effet requise pour assouplir les paramètres associés.
Le contrôle parental
Les adultes pourront superviser les activités de leurs enfants sur le réseau social et agir en conséquence.
Pour superviser le compte de leurs enfants, les parents pourront notamment bloquer l’accès à Instagram sur une plage horaire spécifique et fixer une limite d’utilisation quotidienne, obtenir des informations sur les comptes avec lesquels les ados discutent, et même découvrir les sujets qu’ils consultent.
Les Contenus offensants filtrés / Restrictions sur le contenu sensible
Instagram prévoit également de filtrer les “contenus offensants”, afin que les mineurs ne voient plus apparaître les publications, les commentaires ou les messages privés contenant certains mots et émojis jugés “offensants” par la plateforme, à commencer par les insultes.
Ils disposeront du niveau maximum de protection face à certains contenus jugés, par Meta, “sensibles” mais pas interdits, (violence, promotion de la chirurgie esthétique, etc.)
LA CONFORMITE DE CETTE MISE A JOUR AVEC LES LÉGISLATIONS EN VIGUEUR
La loi sur majorité numérique
La loi du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne fixe désormais une majorité numérique à 15 ans. Avant cet âge, les réseaux sociaux doivent :
- Refuser l’inscription des mineurs, sauf si un parent a donné son accord.
- Informer les moins de 15 ans et leurs parents sur les risques liés aux usages numériques.
- Fournir des informations sur les moyens de prévention et l’utilisation de leurs données personnelles.
- Permettre aux parents de demander la suspension du compte de leur enfant de moins de 15 ans.
- Mettre en place, lors de l’inscription d’un mineur, un dispositif de contrôle du temps passé en ligne, avec des notifications régulières à ce sujet.
Dans un délai d’un an, sous la supervision de l’Arcom et de la CNIL, les réseaux sociaux devront également instaurer une solution technique pour vérifier l’âge de leurs utilisateurs et obtenir l’autorisation parentale, sous peine d’une amende pouvant atteindre 1 % de leur chiffre d’affaires mondial.
Au vu des récentes mise à jour, Instagram semble, en apparence, s’aligner sur les dispositions de la loi sur la majorité numérique.
La loi sur le renforcement du contrôle parental
Par ailleurs en ce qui concerne le contrôle parental La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique avait opéré un premier pas pour contraindre les fournisseurs d’accès à internet à offrir à leurs abonnés un outil de contrôle parental.
Par la suite, le président de la République a promulgué une loi visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet, la loi n° 2022-300 du 2 mars 2022. Conforme aux recommandations de la CNIL, le texte insère un article L. 34-9-3 dans le Code des postes et des communications électroniques afin que les produits destinés à l’utilisation de services de communication au public en ligne soient équipés d’un dispositif aisément accessible et compréhensible permettant de restreindre ou de contrôler l’accès des mineurs à des services et des contenus susceptibles de nuire à leur épanouissement physique, mental ou moral.
Nul doute que la protection de l’enfant implique, pour les parents, de le préserver tout particulièrement des contenus violents ou pornographiques sur internet afin d’assurer, « sa sécurité, sa santé et sa moralité » au sens de l’article 371-1 du Code civil.
Les obligations imposées par le Digital Services Act
Le Digital Services Act, DSA, n’est lui non plus par resté en marge de la protection des mineurs en ligne. Son article 28 dispose que les plateformes en ligne qui peuvent être utilisées par des mineurs doivent veiller à ce que leurs services assurent un niveau élevé de protection de la vie privée, de sûreté et de sécurité des jeunes utilisateurs.
C’est pourquoi les plateformes doivent ainsi mettre en place des mesures visant à atténuer ces risques, notamment : le contrôle parental, la vérification de l’âge et d’autres outils permettant d’aider aux jeunes de signaler les abus ou à obtenir un soutien.
DES MESURES IMPORTANTES MAIS théoriques EN PRATIQUE
Les ados peuvent mentir sur leur âge, « notamment pour essayer de contourner ces protections », comme l’a remarqué Antigone Davis.
En réalité, ces nouvelles mesures restent toutefois très théoriques : les adolescents pourront toujours créer un profil adulte en inscrivant une fausse date de naissance, Instagram n’ayant mis en place aucun outil pour vérifier l’âge par défaut.
Pour l’instant, Meta refuse de contrôler l’âge de tous ses utilisateurs, au nom du respect de la confidentialité. Selon la dirigeante, il serait plus simple et plus efficace que le contrôle de l’âge ait lieu au niveau du système d’exploitation mobile des smartphones, c’est-à-dire Android (Google) ou iOS (Apple). Car ces derniers « disposent d’informations significatives sur l’âge des utilisateurs“, et pourraient donc “les partager avec toutes les applications utilisées par les adolescents“.
Y aura-t-il prochainement une collaboration entre les systèmes d’exploitation mobile et les très grandes plateformes de partages de contenu en ligne comme Instagram ou Pornhub dans le contrôle de l’âge ? Cela règlerait probablement le problème de l’accès facile des mineurs aux contenus sensibles et à caractère pornographique.
Affaire à suivre…
SOURCES
Comptes Ado : des protections intégrées pour des parents apaisés (instagram.com)
Minorité – Parution de la loi sur la majorité numérique sur les réseaux sociaux – Veille – LexisNexis