« Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! »
Le 13 janvier 1898, la plume d’Émile Zola va donner des ailes à un procès médiatique qui avait alors fait couler beaucoup d’encre, sans qu’aucune procédure judiciaire n’ait encore jamais été lancée. Sans qu’aucun magistrat ne se soit jamais penché sur le dossier. Pour autant, la presse française va s’en donner à cœur joie, et l’opinion public va devancer – voir venir peser sur – le déroulé de ce procès historique.
Politiciens, comédiens, sportifs, réalisateurs… Nombreux sont les justiciables ayant fait les frais dudit phénomène. Cette note juridique n’a nullement pour visée de minimiser la douleur des potentielles victimes, ou la gravité des actes qui leur sont reprochés, mais de rappeler la nécessité du respect du principe même de la présomption d’innocence. Son mépris assumé reviendrait à fragiliser l’ensemble de notre système judiciaire, et serait alors une menace pour tout un chacun.
Ainsi, l’objet de cette note juridique sera d’étudier – très succinctement – la relation ambivalente et délicate entre les médias et la justice, l’un comme bouclier de notre liberté d’expression, l’autre comme garante du procès équitable. Il se trouve que les médias, notamment les réseaux sociaux, vont souvent se hâter de juger tout un chacun, futurs potentiels innocents comme futurs potentiels coupables, et ce au mépris de la présomption d’innocence. L’Affaire Dreyfus n’est qu’un malheureux ancien exemple de ce phénomène extrêmement dangereux, qui consisterait à laisser l’opinion public juger les Hommes à la place de la justice.
Qu’est-ce que le procès médiatique ?
Le procès médiatique pourrait être entendu communément comme la couverture médiatique intense d’une affaire judiciaire, et ce parfois avant même que celle-ci n’ait véritablement eu lieu. Dans ce cas, elle reposera uniquement sur des accusations et des présupposés.
Ce phénomène va entraîner de lourds risques, comme les atteintes causées au respect du droit à la présomption d’innocence des accusés ou l’altération de l’impartialité des juges. Il va également abîmer la confiance que le public va placer dans l’administration de la justice et poser des dangers vis-à-vis du respect du droit à la défense.
I/ L’impact du procès médiatique sur la présomption d’innocence
« Accusé médiatique, levez-vous ! »
Cette formule – employée dans un article du Conseil de déontologie journaliste et de médiation (CDJM) en date du 17 mars 2021 – marque parfaitement la dangerosité que présente le procès médiatique vis-à-vis de la présomption d’innocence. La présomption d’innocence est l’un des principes les plus sacrés du droit pénal français.
Suivant les dispositions de l’article 9-1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». En exposant un individu à une couverture médiatique souvent sensationnaliste, le procès médiatique va miner le respect du droit dudit individu avant même qu’une décision de justice soit rendue. Parfois, les médias vont tendre à des commentaires précipités, à des observations qui vont avoir pour but de faire grimper leur taux d’audience, et de créer du sensationnel. Ces informations vont être partielles, erronées, et vont porter atteinte à l’équité du procès. Le public sera dès lors influencé et se forgera un avis sur l’innocence ou la culpabilité des accusés, avant même que le jury ou les juges n’aient pu réellement se prononcer. Le tribunal médiatique sera dès lors, par le biais de l’opinion public, parvenu à rendre un jugement.
II/ L’altération de l’indépendance du pouvoir judiciaire
Selon l’essayiste et magistrat français Denis Salas, les médias sont dans « une ambivalence permanente ». Dans son ouvrage Le courage de juger, traitant de son parcours de magistrat, il explicite le revers de la médaille des médias avec une clarté remarquable. Il expose que les médias peuvent d’un côté jouer « le rôle de chiens de garde de la démocratie, pour reprendre l’expression fréquemment employée par la Cour européenne des droits de l’homme, puisque par nature, ils protègent l’espace d’expression des opinions, et donc le pluralisme ».
Cela dit, Denis Salas affirme que ces mêmes médias peuvent, par différentes stratégies « mettre en cause les personnes, violer la vie privée, porter atteinte à la présomption d’innocence, au nom du devoir d’informer ». Le procès médiatique va potentiellement menacer un autre principe fondamental : l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il se trouve que la couverture médiatique intense sur une affaire va avoir tendance à faire porter sur les épaules des magistrats une lourde pression, qui pourra être de nature à altérer leurs opinions, voir – cas plus extrêmes mais envisageables – le contenu de leurs décisions. Pour eux, la difficulté sera de concilier la nécessité du respect de leur devoir de neutralité, avec celle de tenir compte des attentes populaires.
Bien que cela soit attendu clairement, il est parfois compliqué pour le magistrat de garder « la tête froide » et de rendre une décision reposant uniquement sur des éléments de droit et de preuves présentées devant la cour, en ignorant les informations médiatiques.
Sous la robe demeure l’Homme, ses émotions, ses préjugés, ses espérances et son libre arbitre. L’indépendance de la justice peut donc être mise à mal par le phénomène du procès médiatique, ce qui va abîmer la confiance que le public place dans le système judiciaire.
III/ Les dangers pour les droits de la défense
En plus de constituer une menace pour la présomption d’innocence et l’indépendance judiciaire, le procès médiatique va également fragiliser les droits de la défense. L’accusé qui sera accablé par les médias va se retrouver dans une posture extrêmement difficile à endosser. Le paria de la presse et du peuple pourra se retrouver isoler socialement et professionnellement, ou avoir du mal à trouver des moyens afin de se défendre sereinement.
Même lorsque l’accusé a trouvé « chaussure à son pied », ou plutôt « avocat à son bras » pour l’épauler, la couverture médiatique excessive d’une affaire va fragiliser la bonne préparation de la défense dudit avocat. En effet, l’avocat défendant les intérêts de l’accusé va établir une stratégie de défense qui lui sera propre, et cette élaboration peut être lourdement perturbée par la révélation d’informations sensibles – erronées ou non – dans la presse. Les affaires sont innombrables, notamment l’Affaire dite Gregory de 1984, ou encore l’exemple des attentats du Bataclan en 2015.
In fine, pour reprendre les mots de Montaigne, les journalistes se doivent de suivre l’injonction de « penser contre eux-mêmes » et de prendre soin de délivrer des informations dont la véracité sera attestée. Ils devront rester au service de l’intérêt public, en conservant leur intégrité et leur impartialité. L’importance des médias est indéniable. Il conviendra cependant de ne jamais oublier que ceux-ci seront dangereux lorsqu’ils dépossèderont les institutions, et vertueux lorsqu’ils bousculeront les rigidités, les erreurs et les mentalités.
SOURCES :
D. Salas, Le courage de juger, Paris, Bayard, 2014
F. Romerio, Le métier de magistrat, Paris, Fenix Réédition numérique, 1976
O. Dufour, Justice et médias, La tentation du populisme, Forum, 2019
H. Arnaud, « Accusé tribunal médiatique, levez-vous », CDJM, 17 mars 2021
J. Sapori, « Affaire Abbé Pierre : Contrairement aux réseaux sociaux, la justice ne juge pas les morts », Actu-juridique.fr, 10 septembre 2024
J. Mattiussi, « L’affaire Abbé Pierre : Que peut faire la justice ? », Le club des juristes, 16 octobre 2024
K. Dedry, « La relation entre les médias et la justice au regard du droit régional des droits de l’Homme », Actu-juridique.fr, 26 octobre 2020
Lou DAGNAC
Faculté de droit – Master 2 Droit des industries culturelles et créatives
AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ – LID2MS-IREDIC 2025