par Chaïnace BACHIR, étudiante du Master 2 Droit des communications électroniques
À l’occasion de la sortie de la saison 5 de la série Emily in Paris sur Netflix le 18 décembre dernier, qui suit le parcours d’une jeune américaine travaillant dans une agence de communication à Paris, un constat s’impose : depuis la saison 2, chaque épisode se caractérise par la mise en avant identifiable d’une ou plusieurs marques. Loin d’un simple choix esthétique, la mode devient un élément structurant de la narration participant pleinement à l’identité des personnages et à l’univers de la série.

La place croissante accordée aux vêtements et aux marques dans les séries contemporaines mérite une attention particulière. Emily in Paris illustre de manière révélatrice la façon dont les tenues et accessoires dépassent leur fonction de costume pour devenir de véritables supports de visibilité publicitaire. Intégrées au cœur de la narration, les marques ne sont plus de simples références esthétiques, mais des éléments stratégiques participant à la construction de l’univers de la série et à la promotion des maisons de mode. Cette mise en scène assumée soulève des enjeux juridiques majeurs, invitant à qualifier ces créations comme des actifs protégés, à la croisée du droit d’auteur, des dessins et modèles et du droit des marques.
La protection des créations vestimentaires à l’écran par le droit d’auteur
L’omniprésence de la mode dans Emily in Paris conduit à s’interroger sur la protection juridique des vêtements et accessoires mis en scène. En droit français, par l’article L112-2 14° du CPI, le vêtement n’est pas exclu par principe de la protection par le droit d’auteur. Dès lors qu’il présente un caractère original, c’est-à-dire qu’il porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, il peut être qualifié d’œuvre de l’esprit, indépendamment de sa fonction utilitaire.
Dans la série, les tenues portées par les personnages, et en particulier celles d’Emily, ne se limitent pas à des vêtements usuels. Elles s’inscrivent dans une démarche créative identifiable reposant sur des choix esthétiques assumés, une cohérence stylistique et une mise en scène répétée à l’écran. Cette valorisation narrative contribue à renforcer l’originalité des créations, facilitant leur qualification juridique au titre du droit d’auteur.
La reconnaissance de cette protection emporte des conséquences importantes. Le titulaire des droits d’auteur dispose d’un droit exclusif d’exploitation lui permettant d’autoriser ou d’interdire la reproduction, la représentation et l’adaptation des créations vestimentaires. Dans le cadre d’une série télévisée, cette protection implique nécessairement la conclusion de contrats de cession ou de licence entre les créateurs, les maisons de couture et la production afin d’encadrer l’utilisation des vêtements à l’écran et leur éventuelle exploitation commerciale.
Ainsi, le succès de Emily in Paris illustre un mouvement plus large. Lorsque la mode devient centrale dans une œuvre audiovisuelle, le droit d’auteur cesse d’être une protection accessoire pour devenir un outil structurant de la stratégie créative et économique. Les vêtements, initialement conçus comme des costumes, acquièrent alors le statut d’actifs immatériels, protégés et valorisés par le droit.
Marques, licences et personnages fictifs : la sécurisation des actifs de la série
Si le droit d’auteur permet de protéger les créations vestimentaires originales, il ne suffit pas à lui seul à encadrer l’ensemble des enjeux juridiques liés à la mode à l’écran.
Emily in Paris illustre en effet le recours massif au droit des marques et aux contrats de licence pour sécuriser l’exploitation des signes distinctifs et des éléments fictionnels devenus économiquement valorisables.
La série repose sur une forte identité de marque, construite à travers des vêtements, des accessoires et des univers stylistiques immédiatement reconnaissables. Les marques de luxe visibles à l’écran, telles que Fendi, AMI Paris ou encore Baccarat, ne constituent pas de simples références descriptives. Leur présence s’inscrit dans une logique de placement de produits (« brand integration »), impliquant en pratique la conclusion d’accords contractuels destinés à encadrer leur utilisation, à préserver leur image et à organiser leur valorisation commerciale. Ces licences permettent de distinguer les produits authentiques des reproductions non autorisées tout en générant des revenus pour les titulaires de droits et la production.
La protection par le droit des marques s’étend également aux personnages fictifs lorsqu’ils acquièrent une autonomie économique. L’affaire relative au couturier fictif « Pierre Cadault » dans la série en constitue une illustration révélatrice. En 2023, un tiers a déposé ce nom en tant que marque de l’Union européenne pour des articles de cosmétiques. L’année suivante, ce dépôt a été annulé pour mauvaise foi, au sens de l’article L711-2 11° du CPI et de la jurisprudence constante de la CJUE. L’EUIPO a reconnu l’appropriation indue d’un élément issu de l’univers de la série. Cette décision met en évidence la valeur commerciale potentielle des personnages fictifs et l’intérêt, pour les producteurs, d’anticiper leur protection afin de préserver de futurs accords de licence et extensions de marque.
Ainsi, le droit des marques et les contrats de licence jouent un rôle central dans la stratégie juridique d’Emily in Paris. Ils permettent non seulement de protéger l’image et la réputation des signes distinctifs exploités à l’écran, mais aussi d’organiser leur exploitation économique dans un cadre sécurisé. La série démontre que, lorsque la mode devient un pilier de la narration, la protection des marques et des personnages fictifs s’impose comme un prolongement naturel de la création audiovisuelle.
La mode à l’écran comme élément narratif et publicitaire : quels enjeux juridiques ?
À mesure que les marques et les créations vestimentaires occupent une place centrale dans les séries, leur statut évolue : elles ne sont plus de simples éléments de décor, mais deviennent de véritables vecteurs de communication commerciale intégrés au récit.
Dans Emily in Paris, les tenues et les marques participent à la construction des personnages et orientent la perception du spectateur ce qui interroge la frontière entre création audiovisuelle et publicité.
D’un point de vue juridique, cette intégration soulève des questions spécifiques relatives à la qualification du placement de produits et au respect des exigences de loyauté envers le public. Lorsque la marque devient un élément structurant de la narration, le risque d’une confusion entre contenu éditorial et message publicitaire s’accentue appelant à un encadrement juridique renforcé. Le droit de la communication audiovisuelle vise précisément à garantir un équilibre entre liberté de création, intérêts économiques des marques et protection du spectateur.
En somme, Emily in Paris met en lumière une mutation profonde du paysage audiovisuel : lorsque la mode devient centrale dans la narration, elle se transforme en actif immatériel à forte valeur économique. Droit d’auteur, marques et licences ne se contentent plus de protéger la création. Ils structurent désormais son exploitation et conditionnent l’émergence de nouveaux modèles économiques à l’ère du streaming.
Sources :
https://www.village-justice.com/articles/marque-est-elle-dans-titre-protection-des-oeuvres-audiovisuelles-par-droit-des,35555.html
https://www.nomosparis.com/la-difficulte-a-proteger-un-personnage-dune-serie/
https://www.wipo.int/fr/web/wipo-magazine/articles/fashion-in-tv-shows-emily-in-paris-outfits-86171
https://justice.pappers.fr/decision/4a4208ab0e14a86496979db05115e76f65bac66e
https://www.doctrine.fr/d/INPI/2024/INPIWNL20230159
https://www.fidal.com/actualites/marques-et-noms-patronymiques-volet-3