Le 28 juin 2011, les Pays-Bas ont réalisé une première législative en Europe. Ils sont ainsi devenu le premier État européen, et le deuxième au monde après le Chili (en août 2010), à garantir par une loi le principe fondateur du réseau internet, à savoir le principe de « neutralité du net ».
Cette loi a pour objectif principal d’empêcher les fournisseurs d’accès à internet (FAI) de faire payer ou de bloquer l’utilisation de certains services de communications par internet, comme par exemple le service VoIP proposé par Skype.
Malmené depuis plusieurs mois par les opérateurs télécoms, ce principe de neutralité veut qu’aucune discrimination ne soit faite sur l’information qui circule sur ce réseau. Ainsi, chaque information circulant dans ledit réseau est traitée de la même manière, peu importe sa source, sa destination ou sa nature.
Sans ce principe, la grande aventure internet telle que nous la connaissons n’aurait probablement jamais pu s’écrire. C’est grâce à lui que l’innovation a été constante. La neutralité du réseau défend avant tout la liberté d’utilisation du net, son caractère ouvert et permet de garantir également l’unicité et l’universalité de l’internet.
Mais les techniques actuelles ont progressé, et désormais les opérateurs télécoms ont un vaste champs de possibilités pour contrôler le trafic des données. Ce contrôle peut permettre ainsi une discrimination sur les récepteurs (accès prioritaires, internet à plusieurs vitesses selon le tarif de l’abonnement), sur les émetteurs (favoriser la rapidité du flux d’un site plutôt qu’un autre, ou carrément interdire l’accès à un site) ou encore sur les contenus eux-mêmes (limiter ou interdire les contenus qui utilisent trop de bande passante). Les opérateurs avancent deux arguments principaux pour justifier la mise à l’écart du principe de neutralité : l’augmentation des flux d’informations fait encourir un risque de saturation de la bande passante, et la mise en place de nouveaux réseaux à très haut débit pour solutionner ces difficultés a un coût qui doit être supporté, non par les seuls opérateurs télécoms, mais par l’ensemble des acteurs d’internet (hébergeurs, éditeurs et internautes).
Tout d’abord, la bande passante ne permettrait plus d’assurer un flux continu sur certains sites à certaines heures de fort trafic. Le succès croissant de la VOD ou de la catch-up TV, ainsi que la démocratisation des vidéos au format HD, et bientôt 3D, accentuent la possibilité de saturation du réseau. De véritables « bouchons » peuvent se créer, et il devient nécessaire de gérer le flux d’informations des internautes, et ce afin d’éviter que le réseau ne devienne tout simplement inutilisable. Cette intervention ne serait pas attentatoire au principe de neutralité du net selon les opérateurs, puisqu’elle permet justement la continuité a minima du service afin que chacun puisse tout de même se connecter.
Le problème est qu’il y a plusieurs possibilités, plus ou moins extrêmes, pour parvenir à réguler les flux d’informations. Ce peut-être d’abord une limitation ou une interdiction au niveau de la source. Par exemple, le site qui ne paiera pas le supplément proposé par le FAI verra sa connexion limitée voire coupée. Il peut s’agir aussi de limiter les destinataires, les internautes, qui devront payer pour obtenir une vitesse de navigation supérieure ou pour une quantité donnée.
A l’image des forfaits internet proposés dans les années 90, avec des facturations basées sur la durée de connexion, on pourrait donc voir apparaître des forfaits gradués suivants la vitesse de connexion ou la quantité de données utilisées. L’internet illimité est peut être entrain de vivre ses dernières heures. Cette tendance se ressent notamment depuis quelques mois sur les forfaits internet mobile, où l’internet illimité, qui était la règle pour une accroche commerciale efficace, devient peu à peu une option.
Le nerf de la guerre se trouve donc dans l’investissement de nouveaux réseaux (fibre optique, 4G, …). Ce qui amène une situation paradoxale : une grande majorité souhaite préserver le principe de neutralité, mais personne ne souhaite payer le coût des infrastructures qui permettraient, à terme, de le conserver…
Ainsi, même si le choix des députés néerlandais est important, la portée de la loi en question reste volontairement limitée. N’est ici prohibé que la pratique de paiement ou de blocage de services ou de contenus en ligne, mais reste autorisé la facturation en fonction de la rapidité de la connexion ou encore de la quantité de données transférées.
La protection légale du principe de neutralité du net reste donc incomplète. Elle offre un compromis en sauvegardant l’essentiel, à savoir le libre accès aux services et contenus, mais pas la manière dont on y accède.
Toutefois, on pourrait penser que ce premier pas des Pays-Bas préfigure peut être un élan généralisé des législateurs européens sur la question. C’est ce qu’espère en tout cas le député néerlandais Kees Verhoeven, à l’origine de l’amendement sur la neutralité de l’internet, qui déclare : « Nous espérons que d’autres pays en Europe vont suivre les Pays-Bas ».
La France est bien évidemment concernée par ce débat, l’ARCEP ayant débuté les réflexions sur la neutralité du net dès 2009. D’ailleurs, il est à noter qu’une proposition de loi à l’initiative du PS, concernant la neutralité du net, a été rejetée le 1er mars 2011, par l’Assemblée Nationale.
Sur ce sujet, la Commission Européenne avait pour l’instant donné une position d’attente, en exigeant l’obligation pour les opérateurs télécoms d’informer leurs clients par contrat de l’existence possible de restrictions d’accès. Mais le 26 juin 2011, elle a donné une tendance contraire à l’initiative néerlandaise intervenue deux jours plus tard.
La Commission, dans sa réponse à une député européenne, ne rejette pas fermement les pratiques proposées par les FAI et balaye le débat par une approche strictement économique résumée en cette phrase : « Les opérateurs réseaux et les fournisseurs de contenus et de services devraient pouvoir explorer des modèles économiques innovants, qui conduisent à une utilisation des réseaux plus efficace et à la création de nouvelles opportunités commerciales à différents niveaux de la chaîne de valeur d’Internet ».
Si on ne peut qu’affirmer qu’internet est devenu un modèle économique crucial, il est bon de rappeler que c’est aussi parce qu’il est devenu avant tout l’instrument principal de communication et d’expression de près de 2 milliards d’individus.
C’est d’ailleurs sous cet angle que le Conseil Constitutionnel français avait relevé en juin 2009, que l’accès à internet relevait du droit fondamental de la liberté de communication et d’expression, invoquant notamment « qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services ».
Il s’agira donc de définir plus précisément le cadre de cette liberté d’accès, pour savoir si les futures mesures des opérateurs télécoms portent atteinte à un principe ou à une liberté.
Sources :
http://www.nytimes.com/2011/06/23/technology/23neutral.html?_r=2
http://www.rue89.com/explicateur/2010/04/14/quappelle-t-on-la-neutralite-du-net-147303
http://www.numerama.com/magazine/19229-la-commission-europeenne-enterre-la-neutralite-du-net.html