Les commentateurs l’avaient prédit. Après le vote de la loi Hadopi II, on pouvait déjà entendre les railleries de bon nombre d’internautes. Considérée comme étant obsolète avant même sa publication, cette loi n’envisage pas les nouveaux modes de téléchargements comme le direct download (téléchargement direct) ou encore le streaming.
Paradoxalement, à l’heure actuelle, c’est la loi pour la confiance dans l’économie numérique (loi LCEN) du 21 juin 2004 qui a vocation à s’appliquer aux nouvelles plateformes illégales de téléchargement. Cette dernière prévoit un régime très favorable pour les hébergeurs de contenus, qui ne peuvent voir leur responsabilité engagée: « à raison des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces informations ou en rendre l’accès impossible ». Comble de l’ironie, la jurisprudence est venue entre temps consacrer le statut d’hébergeur à un acteur majeur du streaming : Dailymotion, qui a connu quelques démêlées avec la justice pour hébergement de fichiers illicites.
Le point de départ : un discours du Président de la république
Jusqu’ici, la jurisprudence réprimait seulement la personne qui mettait en ligne l’œuvre, en se fondant sur l’article L335-3 du code de la propriété intellectuelle. Cet article interdit la représentation, la reproduction ou la diffusion d’une œuvre sans l’accord de l’auteur. Le 18 novembre 2011, le Président Nicolas Sarkozy fait connaître son intention de lutter contre le streaming lors d’un discours tenu au forum d’Avignon.
Vantant les prétendus effets curatifs de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, Nicolas Sarkozy mentionne fièrement que le piratage par peer to peer a reculé de 35% : « il y a 35% de piratage en moins, c’est donc que la bataille n’était pas perdue ». Trait d’humour ou affirmation sérieuse ? Le téléchargement par le biais des logiciels de peer to peer n’a pu que décroître car les utilisateurs se tournent désormais vers le téléchargement direct, qui est indéniablement plus discret, plus rapide et moins risqué. Il rajoutait que « sur les sites de streaming, c’est l’idéologie de l’argent. Je vole d’un côté et je vends de l’autre ». On pouvait alors légitimement penser qu’un projet de loi était en préparation.
Une confirmation de ces propos par le premier ministre et l’Hadopi
Le 25 novembre, c’est au tour de Frédéric Mitterand de surenchérir. Invité par Canal +, le ministre de la culture a clairement approuvé le discours tenu par Nicolas Sarkozy. Il évoque toutefois qu’il attend l’expertise de l’Hadopi pour agir, et qu’il est prêt à aller plus loin pour contrer le streaming illégal : « On va demander à Hadopi d’étudier la manière de traquer le streaming illégal(…).Tout ce qui est illégal appelle des mesures assez urgentes. D’ici trois mois je sortirai un arsenal, plutôt une panoplie de mesures qui seront nécessaires ».
Le ministre n’a pas écarté la possibilité pour les fournisseurs d’accès à internet de bloquer les sites de streaming litigieux. Le même jour, l’Hadopi confirme dans un communiqué de presse que la lutte contre le streaming illicite relève de ses attributions en vertu de l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle. Le 12 décembre, lors de la conférence organisée par la coalition française pour la diversité culturelle, le ministre de la culture déclare tout comme le Président de la république que « sur certains sites de streaming l’idéologie du partage c’est l’idéologie de l’argent ». Il précise que les ayants droits peuvent sur le fondement de l’article L336-2, solliciter le juge afin qu’il ordonne toute mesure susceptible de mettre fin à la violation des droits d’auteurs ».
Estimant que la mission de l’Hadopi ne se limite pas au peer to peer, il affirme par conséquent que les différents intermédiaires financiers et publicitaires sont susceptibles de se voir imposer dans un futur très proche de lourdes obligations : « La Hadopi m’a indiqué qu’elle organisait dans les prochaines semaines une table ronde réunissant ces acteurs. L’objectif est que chacun soit mis publiquement en face de ses responsabilités ». Le ministre de la culture est donc désireux de modifier le droit applicable et de remettre en cause les régimes de responsabilité prévus par la loi LCEN. En outre, il espère pouvoir accroître la responsabilité de certains acteurs : « il reviendra également à mon sens aux moteurs de recherches, aux distributeurs de service, d’assumer leur part de responsabilité dans l’accès aux contenus ». Néanmoins, il est adéquat de tempérer ces propos tenus en les mettant en relation avec la jurisprudence récente de la Cour de justice de l’union européenne qui limite les moyens de lutte contre les contenus illicite.
Une limitation considérable des mesures envisageables
Dans une affaire opposant la Sebam (équivalent de la Sacem en Belgique) et un fournisseur d’accès à internet (Scarlet), un juge belge avait contraint ce dernier à surveiller les fichiers illégaux échangés par l’intermédiaire de son réseau, et cela à ses propres frais. Le fournisseur d’accès interjette appel, alléguant que la décision du juge est contraire au droit européen. La Cour d’appel de Bruxelles renvoie l’affaire à la Cour de justice de l’union européenne qui s’est prononcée dans un arrêt en date du 24 novembre 2011.
Dans un communiqué de presse relatif à cet arrêt, la Cour précise que si les ayants droit ont la possibilité de faire prononcer par le juge des mesures de nature à mettre un terme à la violation du droit d’auteur. Toutefois, celles-ci « doivent respecter les limitations découlant du droit de l’Union ». Il est fait mention de la nécessité de ne pas violer la directive sur le commerce électronique qui interdit formellement aux états d’adopter « des mesures qui obligeraient un fournisseur d’accès à Internet à procéder à une surveillance générale des informations qu’il transmet sur son réseau ». En outre, la mise en place d’un mécanisme de filtrage risque d’entrainer le blocage de contenus illicites et licites, ce qui porterait atteinte à la « liberté d’information ». Enfin, la Cour affirme que le blocage ne peut être réalisé aux seuls frais du fournisseur d’accès, en raison de son coût considérable : « une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise de Scarlet puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais. ».
Par conséquent, il est indispensable que le gouvernement prenne acte de cette jurisprudence. Autrement dit, ne doivent pas êtres établies, des dispositions disproportionnées et contraires au droit européen. Un hypothétique filtrage généralisé doit donc être écarté, ce qui réduit de façon substantielle les moyens de lutte contre le téléchargement direct et le streaming. Même si de nouvelles lois sont édictées, il semblerait que tout cela soit vain, car les technologies évoluent avec une vélocité bien plus importante que le droit. Les contrefacteurs trouveront toujours de nouveaux moyens techniques pour mettre à mal la législation.
Olivier ALIDAL
Sources :
LEMONDE.FR, « La Hadopi bientôt chargée d’étudier la lutte contre le streaming », Le Monde, article du 25 novembre 2011 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/11/25/la-hadopi-bientot-chargee-d-etudier-la-lutte-contre-le-streaming_1609428_651865.html
LEMONDE.FR, « L’Europe confirme l’illégalité du filtrage des réseaux P2P », Le Monde, article du 24 novembre 2011 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/11/24/l-europe-confirme-l-illegalite-du-filtrage-des-reseaux-p2p_1608915_651865.html
CHEMINAT.J, « Hadopi va s’attaquer au téléchargement direct et au streaming », Le Monde Informatique, article du 29 novembre 2011 : http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-hadopi-3-va-s-attaquer-au-telechargement-direct-et-au-streaming-46805.html
CHEMINAT.J, « La justice européenne condamne le filtrage généralisé des internautes », Le Monde Informatique, article du 24 novembre 2011 : http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-la-justice-europeenne-condamne-le-filtrage-generalise-des-internautes-46769.html
REES.M, « Fréderic Mitterand charge l’Hadopi de responsabiliser les intermédiaires », Pc Impact, article du 13 décembre 2011 : http://www.pcinpact.com/news/67614-hadopi-frederif-mitterrand-sopa-pipa.htm
CHAMPEAU.G, « Sarkozy prêt à une loi Hadopi 3 contre le streaming », Numerama, article du 18 novembre 2011 : http://www.numerama.com/magazine/20631-sarkozy-pret-a-une-loi-hadopi-3-contre-le-streaming.html
ROBILLART.O, « Hadopi : Frédéric Mitterand promet un arsenal anti-streaming dans 3 mois », Clubic, article du 25 novembre 2011 : http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/hadopi/actualite-460938-hadopi-frederic-mitterrand-promet-mesures-streaming.html
CHAMPEAU.G, « Mitterand veut traquer le streaming illégal d’ici 3 mois », Numerama, article du 25 novembre 2011 : http://www.numerama.com/magazine/20720-mitterrand-veut-traquer-le-streaming-illegal-d-ici-3-mois.html
LEMONDE.FR, « Nicolas Sarkozy veut étendre les lois contre le piratage au streaming », Le Monde, article du 11 novembre 2011 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/11/18/nicolas-sarkozy-veut-etendre-les-lois-anti-piratage-au-streaming_1606123_651865.html
CJUE, Communiqué de presse 126/11 : http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2011-11/cp110126fr.pdf