Le 13 janvier 2018, les fans de la saga Harry Potter ont pu découvrir sur Youtube, le moyen métrage « The origins of the Heir ». Ce film, réalisé par un amateur de l’univers d’Harry Potter, vient prolonger la saga en racontant la vie et l’histoire de Voldemort, personnage emblématique des fictions de J.K Rowling. Cette réalisation s’inscrit dans le phénomène des fanfictions, qui avec le développement d’internet sont de plus en plus populaires. Mais ces films prolongeant ou transformant les oeuvres originales sont ils légaux ?
Les règles applicables en matière de fanfiction
A l’origine, les fanfictions sont apparues dans les années 80 en format papier. Puis avec le développement d’internet, le phénomène des fanfictions s’est considérablement développé.
La fanfiction peut se définir comme la réalisation d’un court, moyen ou long métrage par un fan d’une série télévisée, d’un livre, d’un jeu vidéo ou encore d’un film, qu’il imagine à partir de l’univers de l’oeuvre originale. Cette réalisation vient alors transformer, compléter, prolonger, voir améliorer l’oeuvre originale.
Au niveau des oeuvres cinématographiques, le long métrage « Twilight » est une source d’inspiration majeure pour les fans. Au niveau littéraire, c’est « Harry Potter » et « Le Seigneur des anneaux » qui emportent le plus de succès. Les mangas tels que « Naruto », ou encore les séries comme « Glee » ont également servi de support pour la création de fanfictions.
Désormais, les fanfictions sont reconnues comme faisant partie du domaine culturel, c’est ainsi que Géraldine Brooks, une amatrice ayant réalisé une fanfiction sur le personnage du Docteur March, a pu être récompensée par le prix Pulitzer en 2006. De plus, les fanfictions peuvent devenir des oeuvres originales, comme en témoigne le long-métrage « 50 nuances de Grey » qui à l’origine était une fanfiction réalisée à partir du film Twilight.
Pour qu’une oeuvre puisse être diffusée sur une plateforme de fanfiction ou encore sur Youtube, le réalisateur doit respecter un certain nombre de règles de fond et de forme. Il doit donc éviter les fautes d’orthographe, respecter la syntaxe, la grammaire, la ponctuation. En bref, l’oeuvre doit être agréable à regarder pour les téléspectateurs.
De plus, lorsqu’un réalisateur accepte que des fanfictions soient réalisées à partir de son oeuvre, il peut ajouter des règles particulières. Par exemple, le 3 janvier 2017, la Cour Fédérale de Californie a rendu une décision où elle estimait qu’une fanfiction présentait une similitude fondamentale avec la franchise Star Trek. En effet, le fanfilm se déroulait sur les mêmes lieux fictifs, les personnages étaient similaires, et l’un des acteurs de l’oeuvre originale avait même décidé de tourner dans le fanfilm. Finalement les parties ont décidé de conclure un accord, les détenteurs des droits ont accepté que cette fanfiction soit réalisée mais sous plusieurs conditions : elle ne devait pas avoir une durée supérieure à quinze minutes, il ne devait pas y avoir plus de deux épisodes et enfin les acteurs ne devaient pas être rémunérés.
Il existe également d’autres règles, propres à l’univers des fanfictions. Ainsi l’auteur de la fanfiction doit « disclaimer », c’est à dire qu’il doit renoncer à s’approprier l’univers ou les personnes qu’il met en scène dans sa réalisation. Il découle de cette condition que la fanfiction doit être réalisée dans un but non lucratif. La plupart du temps, comme le réalisateur n’est pas rémunéré, il passe par le financement participatif pour financer la réalisation de son oeuvre. C’est notamment la méthode qui a été utilisé pour « The Origins of the Heir ».
Les réalisateurs de fanfictions doivent également faire apparaitre des « rating » sur les sites de fanfiction, à savoir, ils doivent classifier leurs histoires grâce à une lettre pour indiquer à quel public la fanfiction est destiné : (M) pour mature ou (K) pour un public enfantin.
Avec l’avènement du numérique, la propriété intellectuelle et les droits d’auteurs sont constamment remis en question. La multiplication des fanfictions amène à s’interroger sur leur cadre juridique et leur légalité vis à vis des droits d’auteur.
Fanfiction VS Droit d’auteur et copyrights
La convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques qui a été signée par près de 184 pays, dispose que les auteurs bénéficient d’une protection tout au long de leur vie, et jusqu’à 50 ans après la mort de l’auteur. Toutefois ce délai peut être aménagé selon les Etats. Ainsi dans l’Union Européenne et aux Etats-Unis , la protection est accordée jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur. Par contre, après ce délai, l’oeuvre tombe dans le domaine public, et est donc exploitable.
L’article 106 de la loi sur le copyright aux Etats Unis dispose que juridiquement, « le fait de copier, arranger, diffuser des arrangements d’une oeuvre protégée, même à titre gratuit, constitue une atteinte aux droits d’auteur ». Bien que les phrases ou encore les titres ne puissent pas être protégés, les personnages ou les lieux pourront être protégés dès lors qu’ils sont caractérisés.
En droit français, le Code de la propriété intellectuelle reconnait des droits moraux et patrimoniaux aux auteurs d’oeuvres. De plus, l’article L.335-3 du CPI vient incriminer la contrefaçon, délit constitué par le fait de représenter par tout moyen, une oeuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur.
Or la réalisation de fanfiction semble violer ce droit à la protection de l’oeuvre dont dispose les auteurs. En effet, la fanfiction est la réalisation d’un court, moyen ou long métrage par un fan d’une série télévisée, d’un livre, d’un jeu vidéo ou encore d’un film imaginé à partir de l’univers de l’oeuvre originale. Dans le moyen métrage « The origins of the Heir », l’amateur vient ainsi prolonger la fiction d’Harry Potter, en reprenant les personnages, leurs traits caractéristiques et l’univers de la saga, alors même que l’oeuvre originale est encore pleinement protégée par le copyright.
Il faut donc se tourner vers les exceptions prévues par le copyright ou le droit d’auteur pour tenter de comprendre.
En droit américain, le « fair use » que l’on peut traduire par « usage loyal » consacré au titre 17 du code des Etats-Unis constitue une importante limite aux droits exclusifs de l’auteur. Dans le cadre d’un usage loyal, la copie, l’enregistrement ou encore la reproduction peuvent être autorisés pour la critique, l’information, l’enseignement. Pour déterminer la loyauté de l’usage, il faut tenir compte de l’objectif et la nature de l’usage, de la nature de l’oeuvre protégée, de la qualité et de l’importance de l’oeuvre utilisée, des conséquences de cet usage sur le marché potentiel.
En France, le droit d’auteur est également assorti d’exceptions. L’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle autorise ainsi les oeuvres parodiques, les pastiches ou encore la caricature. L’arrangement, la diffusion d’une oeuvre protégée peut également se faire dans le cadre d’un cercle privé. De même il est prévu que l’oeuvre puisse être utilisée sans autorisation de l’auteur pour les analyses critiques, les revues de presse, à titre d’actualité, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur ainsi que la source.
Au regard de ces textes, certains considèrent que les auteurs de fanfiction violent la propriété intellectuelle, tandis que d’autres (comme le chercheur Henry Jenkins) considèrent que la fanfiction entre dans le cadre des exceptions prévues par le droit d’auteur et notamment dans la protection du « fair use ».
La position des auteurs sur les fanfictions
En pratique, la réalisation de fanfictions dépend de l’avis de l’auteur de l’oeuvre protégée, sur la question. Les sites proposant des fanfictions sont illégaux, mais la tolérance ou l’ignorance des auteurs vis à vis de ces sites, permet de faire vivre la fanfiction, et donc de laisser parler l’esprit créatif des amateurs.
Certains auteurs sont en faveur de la réalisation de fanfictions, mais posent des règles limitatives. Ainsi J.K Rowling se dit par exemple favorable au prolongement, réaménagement de sa saga, toutefois elle considère que les oeuvres réalisées doivent s’inscrire dans la continuité de la saga et s’adresser à un jeune public.
D’autres auteurs, et c’est le cas de Stéphanie Meyer ou encore Marion Zimmer Bradley, encouragent la réalisation de fanfictions en assurant la publicité de ces films amateurs. Ces auteurs considèrent que l’écriture est une bonne chose, tant que ces textes ne sont pas commercialisés et donc tant que l’oeuvre n’a pas un but lucratif.
Enfin, certains auteurs s’opposent totalement à la fanfiction. On peut à cet égard citer Ann Rice ou encore Robin Hobb qui refusent le fait de se voir approprier leurs personnages, ou de les voir transformer par la fanfiction. Ces auteurs considèrent que la fanfiction constitue une atteinte à leurs droits d’auteur et que dès lors, les fanfictions pourront être réalisées, mais seulement lorsque l’oeuvre sera tombée dans le domaine public.
En réalité, la réalisation de fanfiction dépend du point de vue personnel de l’auteur sur la question. Si l’auteur est favorable à ce type de réalisation, il n’intentera pas d’action en justice contre la personne concernée et l’amateur sera donc libre de réaliser son fanfilm. Au contraire, si la personne s’oppose à ce que son oeuvre puisse être exploitée ou prolongée, il y aura plus de chances pour que l’amateur se voit interdire la diffusion de son oeuvre. Toutefois les fans doivent tout de même rester prudents et respecter l’oeuvre originale, puisque bien que certains auteurs acceptent voir encouragent la réalisation de fanfictions, en cas de dénaturation de leur oeuvre, ces derniers pourraient changer d’avis.
Bien que juridiquement la fanfiction ne soit pas forcément légale, en pratique la plupart des auteurs accepte que des fanfictions soient réalisées à partir de leurs oeuvres.
Depuis 2013, Amazon est venue en quelque sorte légaliser la fanfiction en créant le site « Kindle World ». Le concept est qu’Amazon détient un certains nombre de licences sur des films, séries tels que : « Gossip Girl, Pretty Little Liars, Warner Bross ». Les amateurs sont ensuite libres de publier leurs réalisations. Amazon vérifie et fait une relecture de ces fanfictions, si jamais cela lui convient, la réalisation est publiée sur le site, dans le cas contraire, elle n’y apparait pas. Ensuite, en fonction de l’audience et du succès engendré par la fanfiction, les réalisateurs pourront obtenir des royalties et Amazon reversera également des royalties à l’auteur de l’oeuvre protégée.
Ce mécanisme permet donc d’encourager la réalisation de fanfiction tout en respectant les droits d’auteur. C’est donc une sorte de compromis avec les droits d’auteur. De son coté, Amazon dispose d’un droit exclusif sur les oeuvres de fanfiction qu’il publie, ainsi les idées et les histoires cédées par les amateurs sont cédés à Amazon.
Mais cette pratique n’est pas totalement libre et les réalisateurs de fanfiction doivent respecter un certain nombre de règles : les fanfictions doivent être déposées dans un emplacement précis, chaque histoire doit respecter l’oeuvre qu’il reprend, et les histoires sont vérifiées par Amazon avant d’être postées.
SOURCES:
Bouchard (L.), Pourquoi les Fan Fictions sont- elles fâchées avec le droit d’auteur ?, publié en octobre 2017, consulté le 20 février 2018.
https://www.droit-creation.fr/fan-fictions-droit-dauteur/
Dupuy-Busson (S.),« La fanfiction: un plagiat toléré ? Une adaptation illicite ? Une création soulevant de multiples questionnements juridiques », publié le 4 février 2016, consulté le 20 février 2018.
https://www.juritravail.com/Actualite/liberte-expression/Id/234471
Tual (M.), « Un moyen métrage « Harry Potter » réalisé par des fans redéfinit les contours du fanfilm », le monde, publié le 15 janvier 2018, consulté le 20 février 2018.
Sébastien (F.), « Les fanfictions, nouveau lieu d’expression de soi pour la jeunesse ? », Agora débats/jeunesse, vol. 15, no 46, février 2008, p. 58-68