LES RENDEZ-VOUS DU CINEMA FRANCAIS A NEW YORK

Il y a une phrase que tous les acteurs ou actrices américaines ont prononcé un jour : « J’adore le cinéma français. J’ai vu tous les Truffaut ». Dans le pire des cas, elle sera utilisée pour complimenter notre culture cinématographique. Au mieux, elle sera dite par un cinéaste ayant des connaissances dans la matière. Pour nous, français, elle nous désespère car elle sous entend que près de cinquante ans après la Nouvelle vague, il n’y a plus de films intéressant le public américain.
Quelques jours après la cérémonie des Oscars, où La marche de l’empereur de Luc Jacquet a remporté le prestigieux trophée, commençait la onzième édition du Rendez vous with french cinema à New York. Cet évènement est organisé par Unifrance, organisme chargé de la promotion du cinéma français à l’étranger, avec la Film Society du Lincoln Center et l’IFC Center. La manifestation permet aux habitants de New York de voir quinze productions françaises et nous donne l’occasion d’élaborer une enquête sur le futur commercial et culturel du cinéma français aux Etats-Unis.
Si on se fie aux chiffres, notre industrie cinématographique ne s’est jamais aussi bien portée. En effet, en 2005, onze films français ont réussit à atteindre la barre du million de dollars de recette. Notre marché a même doublé avec 150 millions de dollars amassés. « C’est un vrai mensonge officiel » déclare Cédric Klapisch, qui rappelle que le premier film de ce classement, La marche de l’empereur (avec 78 millions de dollars), est « en quelque sorte un remake ». Ainsi, les spectateurs américains l’ont découvert avec des commentaires différents, en anglais, et avec une autre musique. On pourrait parler d’une américanisation du documentaire oscarisé. « Il ne faut pas se raconter d’histoire, ajoute Véronique Bouffard, déléguée générale d’Unifrance. Ces chiffres doivent beaucoup à La marche de l’empereur, mais aussi aux productions de Luc Besson ». En cela, les fameuses productions Besson Le Transporteur 2 (43 millions de dollars) et Danny the dog (24,5 dollars) de Louis Leterrier occupent les deuxième et troisième place de ce classement. Le quatrième rang revient au film de Jean-François Richet, Assaut sur le central Treize (20 millions de dollars). En fait, des films qui n’ont de français que leur réalisateur et leur financement. En effet, le premier film en français de cette liste est Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet, est cinquième avec « seulement » 6,2 millions de recette.
Ce qui pose problème pour les américain est la barrière de la langue et du sous titrage qui laisse peu de chance à notre cinéma de s’épanouir. Il reste l’intervention d’Unifrance, longtemps dirigé par Daniel Toscan du Plantier et instituer en 1949. Depuis le décès de ce dernier, la direction est revenue à la productrice Margaret Meneegoz. Grâce à Unifrance, le cinéma français pourrait trouver son public à l’étranger. Ainsi, lors des Rendez vous with french cinema, pour la première fois, un de nos film était projeté à la fois au Walter Reade theater, une salle prestigieuse, Lincoln Center et à l’IFC theater (multiplexe d’art et d’essai).
« Montrer nos film au centre ville, dans une salle commerciale, est une expérience formidable, explique John Kochman, le patron du bureau de New York d’Unifrance. Mais, il est important pour nous de conserver le Walter Reade Theater pour le Rendez vous. C’est là que vient le public de base de ce festival, ceux qui vont voir des films français ».
Cette année, la manifestation a divisé les journalistes américains. L’un des journalistes les plus conciliant, Stephen Holden (du New York Time) a subordonné à tous les films de la sélection à Vers le sud de Laurent Cantet. Time out, le plus virulent, a donné pour titre Rendez vous avec les succès du cinéma français (et ses ratés). De plus, Village voice a descendu en flamme le Palais royal de Valérie Lemercier. Cette dernière, face à la critique new-yorkaise, a répondu : « J’ai lu ce très mauvais papier avant d’arriver, et c’était mieux ainsi, parce que, du coup, je ne m’attendais pas à être si bien accueillie ». Et malgré la mauvaise presse, la réalisatrice, qui a fait l’ouverture du festival, est sortie sous les acclamations des spectateurs. Valérie Lemercier ajoute « Je n’avais pas l’intention d’assister à la projection, mais finalement, je suis restée. Les gens riaient au bon moment, comprenaient tout bien. Même si le film n’est pas très compliqué, c’est toujours agréable d’être comprise. J’avais peur que ça ne passe pas, et j’ai été surprise qu’ils s’amusent ». Cela prouve ainsi que le public américain peut apprécier les comédies françaises (et pas la presse).
Le film de Danielle Thompson, Fauteuil d’orchestre, a fait un tel carton que certains distributeurs américains ont envisagé de distribuer le film aux Etats-Unis après avoir, dans un premier temps, rejeté l’idée de l’acheter. Autres succès français, Les poupées russes de Cédric Klapisch (suite de l’auberge espagnole) et Je ne suis pas là pour être aimé de Stéphane Brizé. Ce dernier ayant déclaré : « C’est toujours émouvant de voir que, très loin de France, le film fonctionne. C’est une impression forte ».
Alors, la question est de savoir ce qu’il faut faire pour donner l’envi aux spectateurs américains de venir voir nos films ? La première réponse semble évidente : sortir nos production en salle. En effet, peu de réalisateur ont la chance, comme Christian Carion et son film Joyeux noël, de voir son film projeté dans des salles prestigieuses. Ce qui ne joue pas en notre faveur est que l’un des principaux distributeurs soutenant le cinéma français, a fermé ses portes il y a peu de temps. Cela a jeté une ombre sur le Rendez vous. De plus, d’autres films ne sortent aux Etats-Unis qu’en DVD. Nous citerons par exemple Douches froides d’Anthony Cordier ou 10ème chambre, instants d’audience de Raymond Depardon. Il est difficile pour les vendeurs français de ne pas céder à la tentation de brader certains films. « Quand 36, quai des Orfèvres a été présenté ici l’an dernier, raconte Dorothée Grosjean, exportatrice chez Gaumont, un distributeur m’a proposé d’acheter le film pour 50000 dollars. Nous avons décliné l’offre ; elle était trop loin de ce que nous espérions (entre temps, les droits de remake de ce film ont été vendu pour un montant élevé). Les américains, ne voyant pas les films sous-titrés, la sortie en salle entraîne souvent des coûts que l’exploitation ne peut couvrir, ajoute-t-elle. Du coup, il est plus facile pour eux d’acheter les droits de remake. Mais si des offres se présentent pour acheter ceux de Je vous trouve très beau, d’Isabelle Mergault, ça ne diminuera pas pour autant notre volonté de vendre le film dans sa version française ».
« Tout film sortant sous-titré aux Etats-Unis est immédiatement étiqueté « art et essai » pour attirer les intellectuels, explique Richard Lorber, président de Koch Lorber films, distributeur des Temps qui changent d’André Techiné. Ce public veut bien prendre du bon temps au cinéma, mais pas en perdre. Nous avons Hollywood pour ça ! ». Mais il est clair que le festival du film français à New York a ses favoris. Ainsi, certains de nos réalisateurs ont la côte outre atlantique : Claire Denis, Olivier Assayas, Benoît Jacquot ou Bruno Dumont. Malgré cela, la presse américaine est encore sous l’influence de Renoir et de la Nouvelle Vague.
Comme le dit Cédric Klapisch, « il y a un vrai travail à faire pour améliorer la communication sur les films français » et leurs auteurs. Pour cela, le réalisateur fait confiance à John Kochman qui reste à l’écoute des critiques et des propositions, qui ne manquent pas. Le metteur en scène de L’auberge espagnole regrette le manque de rencontres et de discussions avec les protagonistes de l’industrie cinématographique américain : les comédiens, les réalisateurs ou les producteurs. Klapisch prône le dialogue avec les futurs cinéphiles, c’est-à-dire les université : « Quand tu parles à 100 étudiants, ça a plus d’impact que lorsque tu t’adresses à 400 spectateurs de 60 ans ! Avant, il n’y avait pas de remplaçants aux auteurs de la Nouvelle Vague. Aujourd’hui, il y a Bacri-Jaoui, Jeunet, Audiard, dont la force d’écriture vaut celle de Rhomer ». Peut être, avec le temps, nous arriverons à entendre aux Etats-Unis des spectateurs dire qu’ils adorent les films de Truffaut, Klapisch, Jeunet, Audiard…


Source
: Patrick Fabre pour Studio Magazine numéro 223.

Audrey RAPUZZI