CRISE A LA BBC A L’ANNONCE DU DEPART DU PRESIDENT DE LA CHAINE

Stupeur dans le paysage audiovisuel britannique : le président de la chaîne mythique du secteur public Michael Grade vient de céder aux sirènes du groupe privé ITV. En effet ce dernier, qui avait rejoint « tante beeb » (comme l’appelle affectueusement les Anglais) en 1984 et en avait pris les reines en 2004, a décidé d’accepter l’offre de son concurrent de toujours, la chaîne privée ITV : « C’était une opportunité : je n’ai pas pu résister », déclarait-il quelques instants après sa décision.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette nouvelle donne, prenant leurs racines dans les difficultés communes que traversent les deux grands groupes de la télévision britannique.

En effet, la chaîne ITV (filiale de BSkyB, contrôlée par le magnat Rupert Murdoch) traverse actuellement une crise à la fois de son audimat et, par voie de conséquence, de ses revenus publicitaires. En outre, elle a subit de nombreux revers en ce qui concerne la nomination d’un nouveau président, avant que Michael Grade ne décide de reprendre le flambeau. Cette situation illustre bien le « déficit de l’image » de la chaîne.

Pour sa part, la BBC n’est pas au mieux. Outre la perte de son président, elle connaît une véritable fuite des cerveaux. Dernier exemple majeur en date : le départ du chef de l’information, Nigel Parsons, il y a un an, pour rejoindre Al Jazeera International. D’autre part, toute l’Angleterre reste encore très marquée par l’épisode tragique de 2003 qui avait conduit David Kelly (alors employé au ministère de la défense) au suicide suite aux révélations de la chaîne concernant le rapport officiel sur les armes de destruction massive en Irak. Les conclusions de ce rapport avaient été largement rapportées par la chaîne, qui n’a pas hésité à en gonfler l’importance.

L’affaire Kelly a largement conduit à décrédibiliser la BBC en tant que chaîne nationale d’information. La confiance que le public a pu accorder à son équipe éditoriale est actuellement au plus bas, dans un contexte où ce même public s’apprête à prendre connaissance du résultat des négociations relatives à la redevance audiovisuelle, entamées avec le gouvernement britannique ces derniers jours. Dans un tel contexte, il est à parier que les téléspectateurs ne mettront pas si facilement la main à la poche pour débourser les quelques 180 € qui, soit dit en passant, font de la redevance britannique la plus élevée des redevances européennes en la matière. Où comment de la crise de crédibilité, l’on passe à la crise de financement et donc, d’une certaine manière, à la crise générale.

Dans ces conditions, de nombreux observateurs s’interrogent sur l’avenir et les potentialités d’évolution du secteur public de la télévision britannique. La BBC, certes trois lettres résonnant pour l’éternité mais, dans une logique de financement public en contexte économique libéral, force est de constater que d’autres chaînes sont en mesure de produire des contenus informatifs de qualité. D’autre part, l’information, par la mondialisation, est devenue un bien public universel de moins en moins soumis au principe de rareté. L’acceptation d’une logique concurrentielle fera certainement partie de la réflexion globale que devra mener la BBC.

L’immersion dans un milieu concurrentiel n’est pas sans soulever des interrogations fondamentales relatives à la capacité même du secteur public de l’audiovisuel à assurer les missions de service public pour lesquelles il fut institué et est aujourd’hui maintenu. La véritable question, celle, d’ailleurs, qui interroge également d’autres démocraties, porte sur « l’obligatoire particularité » de ces chaînes à produire des contenus de service public : au fur et à mesure que ce dernier est redéfini dans ses modes d’exécution, notamment par la voie contractuelle, ne peut-on pas imaginer que le service public de l’audiovisuel, soit pris en charge par une entité privée sous contrat ?

Puissent les défenseurs du pluralisme politique et culturel ne jamais connaître telle évolution. Car la dualité d’un secteur public / privé de la télévision est un des moteurs, un des garants du respect du pluralisme des courants d’expression culturels. Si pour les chaînes privées, non assujetties à des dispositions réglementaires prisent pour le service public, le « monisme » culturel est un outil potentiellement lucratif (réduction des cultures : réduction des coûts d’adaptation d’une production aux « cultures-cibles »), pour les chaînes publiques, ces mêmes dispositions sont à la fois la manière et la raison d’être. La manière, car au sein des règles régissant le service public de l’audiovisuel sont inscrites des dispositions relatives à son fonctionnement. La raison, car ces dispositions prévoient bel et bien la défense d’un service public prônant le multiculturalisme c’est à dire, en Grande Bretagne, la défense d’une certaine définition de la Nation.

Voilà pourquoi le maintien d’un service public de l’audiovisuel britannique demeure essentiel, en dépit de ces errements en termes de direction ou de financement. D’une certaine manière, la crise qui aujourd’hui l’attaque ne porte pas sur son intérêt, mais sur les modes de production et de diffusion des programmes de service public. Peut-être assiste-t-on de manière plus générale au passage de la notion de « service public de l’audiovisuel », à celle de « programme audiovisuel de service public » ?

Sources :

http://www.rfi.fr
http://www.euroinvestor.fr
Benjamin REIX