DOCUMENTAIRE : LA CONSECRATION D'UN GENRE EN FRANCE COMME A L'ETRANGER

« En réponse à la crise des valeurs humanistes et la fin des utopies dont il a fallu faire le deuil, le documentaire est désormais le lieu de nouvelles interrogations de l’homme par l’homme. Pas pour asseoir des certitudes mais pour reformuler à l’échelle de microcosmes humains les questions essentielles de la vie. » Thierry Garrel, Juste une Image, Jeu de Paume, Paris, 2000 Le succès de certains films documentaires tant au cinéma qu’à la télévision ainsi que la multiplication de manifestations culturelles liées au genre, témoignent de la vitalité de ce cinéma. C’est Microcosmos : le peuple de l’herbe de Claude Nuridsany et Marie Pérennou qui va marquer le regain de vitalité du film documentaire éveillant l’intérêt des producteurs et des diffuseurs au cinéma et à la télévision. Avec ses 3 520 375 spectateurs il affirme au cinéma une identité nouvelle qui peut prétendre au même succès que n’importe quelle fiction. Seront vendus dans les années suivantes 600 000 DVD et cassettes de ce film. Suivront, les Glaneurs et la glaneuse d’Agnès Varda en 2000, le Cauchemar de Darwin d’Hubert Sauper en 2004, ou encore la Marche de l’empereur de Luc Jacquet en 2005. Au-delà de ses 1 950 000 entrées en France ce film peut se vanter de ses 25 millions de spectateurs aux Etats-Unis où il est le documentaire le plus vu en salles derrière Fahrenheit 9/11 de Michael Moore ; il y reçoit en outre l’Oscar du meilleur film documentaire. En France, les festivals dédiés à ce genre cinématographique sont de plus en plus nombreux. Ainsi, le Festival de Biarritz vient de se clore alors que s’ouvre bientôt le Festival Cinéma du réel ou encore le Festival international Jean Rouch. Différentes hypothèses peuvent expliquer ce succès. Le développement d’outils numériques qui a banalisé l’accès à la fabrication d’images et à leur montage permettant en même temps de réduire considérablement les coûts de fabrication d’un film. Lors des rencontres européennes du cinéma documentaire organisées à paris en décembre 2007, par plusieurs associations de réalisateurs dont Addoc (France) les cinéastes ont souligné l’expansion du marché des DVD, ajouté à internet et plus modestement la video à la demande (VoD) qui semblerait favoriser l’essor de nouveaux réseaux de distribution. Ailleurs, les copies illégales assurent une diffusion inédite. De l’Allemagne, où des fonds publics soutiennent la création à la chine où les réalisateurs font circuler leurs films en catimini ou à l’Amérique latine, qui voit naître de nouveau festivals, les situations varient. Le rôle des télévisions reste primordial ; elles demeurent le premier vecteur de diffusion du genre. Aux Pays Bas où le cinéma documentaire est riche d’une longue histoire avec des auteurs comme Joris Ivens et Johan van der Keuken la télévision publique propose quelque 300 films par an. En Allemagne sur 170 films nationaux projetés en salle en 2006, 60 étaient des documentaires pour la plupart coproduits par la télévision. En Grande Bretagne, la place de ces films sur les chaines hertziennes décline. Mais, selon Kerry McLeod, du Documentary Filmmakers Group, « la scène indépendante est en pleine croissance ». Aux Etats-Unis, le documentaire politique a le plus de succès. Succès remporté de façon phénoménal par Michael Moore en 2004 avec la sortie de Fahrenheit 9/11. Ses recettes se sont élevées à plus de 120 millions de dollars aux Etats-Unis et à 200 millions de dollars dans le monde. Si le succès de Roger et moi en 1989 et de Bowling for Columbine en 2002 du même réalisateur ont préparé le terrain, il faut souligner que, toujours aux Etats-Unis, un certain nombre d’autres documentaires, comme the Fog of War d’Errol Morris en 2003, The Coporation de Mark Achbar et Jennifer Abbott en 2003, Control Room de Jehane Noujaim en 2004, Super Size me de Morgan Spurlock, en 2004 et Une vérité qui dérange de Davis Guggenheim en 2006 ont été eux aussi bien accueillis. Leur performance est mesurée à l’aune du box office. Super Size me dans lequel Spurlock s’en prend à la restauration rapide, en est un bon exemple : ses recettes ont atteint 11,5 millions de dollars aux Etats-Unis alors qu’il n’a couté que 65 000 dollars. La réussite financière ne fait cependant pas tout puisque l’on peut assister à l’émergence dans ce pays d’une série de producteur et de réalisateur engagé dans des combats politiques dont les films sont acclamés par la critique alors qu’ils sont très peu distribués en salles. A la tête de ce mouvement, le réalisateur et militant Robert Greenwald – Iraq for Sale : The War Profiteers en 2006, The Big Buy : Tom Delay’s Stolen Congress en 2006, Wal-Mart : The Hign Cost of Low Price en 2005. Au Moyen-Orient, le succès d’Al-Jazira et de dizaines autres chaînes satellitaires ont un impact limité – du fait de l’absence de libertés – mais réel. En Syrie de grands réalisateurs comme Omar Amiralay, qui a créé une école de documentaire à Amman en Jordanie, forment de nouvelles générations qui travaillent grâce au financement d’Al-Jazira. La première édition d’un festival spécialisé est prévue en février à Damas avec des cinéastes internationaux de qualité, tel Nicolas Philibert-réalisateur d’Etre et avoir. Dans les pays émergents la création est en plein essor. Les circuits de diffusion sont fragiles et les problèmes de censure demeurent mais dans les grands festivals internationaux, le regard des cinéastes sur leur contexte politique et social est désormais présent. Le festival international de Pusan en Corée du Sud, grand rendez vous du cinéma asiatique, compte une large section documentaire. Celui de Morelia au Mexique offre une fenêtre sur la création la
tino américaine. Mais les organisations professionnelles restent vigilantes, inquiètes devant la dérive commerciale de nombreuses télévisions.
Florence Bonnardel

Sources :
Le Monde
Le Monde Diplomatique