LES AGENCES DE PRESSE SONT TENUES À UNE OBLIGATION DE GARDE DES CLICHÉS DE LEURS PHOTOGRAPHES

Le Tribunal de grande instance de Paris vient à nouveau d’accorder d’importants dommages et intérêts, d’un montant de 1,2 million euros, au photographe Gérard Gastaud pour non restitution des clichés déposés auprès de son ancien employeur Sipa presse.
Cette décision intervient quelques mois après une condamnation de l’agence Gamma, devenue Eyedea presse, au versement de près de 1,4 millions d’euros concernant la perte des clichés de la photographe aujourd’hui décédée Catherine Leroy représentée par sa mère, Denise Leroy.
À l’origine des litiges ces deux professionnels de la photographie avaient demandé à leurs ex-employeurs la restitution de l’ensemble de leurs clichés. Le photographe Gérard Gastaud explique qu’«à l’époque, l’agence travaillait en sous-effectifs et faisait face à une charge de travail qu’elle ne pouvait pas réaliser. Au lieu de dupliquer les négatifs, ce qui nécessite 4 à 5 heures de travail, elle envoyait directement les originaux aux journaux. C’était un gain de temps… Et puis, toujours pour les mêmes raisons, elle ne récupérait pas ces supports qui se sont entassés dans les armoires des clients. C’est ainsi que beaucoup ont été perdus… Je parle de faits qui se sont déroulés sur 20 ans. ». Ainsi, ni Gamma ni Sipa n’avaient pensé à archiver ces oeuvres. Elles auraient sans doute dû car les agences ne disposent que d’un droit de première utilisation sur le travail de leurs salariés et sont donc tenues à une obligation de garde, prévue par le Code civil. Chaque remise de support est alors constitutive, selon les juges, d’un contrat de dépôt qui met à la charge de l’agence une obligation de restitution. Les photographes restent donc détenteurs de tous leurs droits sur leurs clichés. En ne parvenant pas à retrouver la totalité des clichés réalisés par ces professionnels au cours de leur carrière, les entreprises ont failli à leur obligation de garde, c’est cette négligence qui a été dénoncée dans ces deux affaires.
Afin de déterminer le montant des dommages à intérêts à allouer, les juges ont alors pris en considération la preuve d’un dépôt de plusieurs milliers de clichés, leur forte médiatisation, leur possible exploitation commerciale ainsi que, la notoriété de leur auteur. C’est ce raisonnement qui les a amené à estimer la valeur des clichés, celle-ci pouvant aller jusqu’à 150 euros chacun. On comprend alors lorsqu’il s’agit de plus de 40000 œuvres que le montant des dommages et intérêts de plus d’un million d’euros.
Le Tribunal de grande instance de Paris n’a cependant pas donné suite aux accusations de contrefaçon des droits d’auteurs et d’exploitation de Gérard Gastaud pour utilisation de ses œuvres sans autorisation, ni contrepartie financière. L’agence de presse Sipa opposait, quant à elle, l’absence d’originalité des œuvres, entendu par l’absence de signature. L’auteur, lui, arguait de la marque de sa personnalité dont sont empreintes les photographies les rendant parfaitement identifiables comme le fruit de sa création. Le Tribunal de grande Instance ne s’étant pas prononcé sur la question, l’accusation n’exclut toutefois pas de faire appel de cette décision.
Ces jugements ont ouvert des perspectives à nombre d’autres professionnels. C’est ainsi que l’un des photographes du magazine Lui, Francis Giacobetti, réclame aujourd’hui à Hachette Filipacchi la restitution d’environ 1,5 million de clichés, estimés à 100 euros la photographie. Ce spécialiste des photos de charme et de people réputé avait travaillé vingt ans pour ce journal. Son avocat, Francis Pudlowski de chez Wan, s’apprête à lancer une procédure contre Hachette Filipacchi. L’importance des sommes en cause s’explique par une évolution de la jurisprudence, «une directive européenne transposée en France impose désormais d’évaluer plus sérieusement, c’est-à-dire à leur juste prix, les conséquences économiques de la contrefaçon et, par voie de conséquence, les droits qui restent attachés aux créations de l’esprit. Les juges en ont pris pleinement conscience, depuis déjà deux ou trois ans.»

Laeticia MIOT

Sources :
lefigaro.fr
photographie.com.