SUR SUITE 101, UN ARTICLE + DES CLICS = DU FRIC

Plus d’une douzaine d’années après sa création à Vancouver en Colombie britannique (Canada), le site “Suite101” a fait son apparition en France en septembre 2009. Se targuant de ses 2000 auteurs, de son catalogue de 200 000 articles regroupés en rubriques et de son audience ne comptant pas moins de 17 millions de visiteurs, le site propose un partage des revenus publicitaires avec les contributeurs. Chaque fois qu’un internaute clique sur une publicité associée à un article, l’auteur de cet article touche un pourcentage calculé par l’algorithme Google AdSense. Ceci étant, aucun montant n’est annoncé et tout dépend en réalité de l’annonceur et de la fréquentation de l’article.
Les responsables du site, pour motiver les troupes, affirment même que même dans l’hypothèse où un contributeur met un terme à sa collaboration avec Suite101, ce dernier continuera à percevoir une rémunération à vie sur ses articles. En pratique cependant, un article mis en ligne a une durée de vie plus que limitée car même s’il reste référencé par les moteurs de recherche, il ne générera que quelques dizaines de visites par mois et donc, quelques centimes d’euros. Néanmoins, “le modèle économique de ce site a su faire ses preuves au Canada” dixit Jérémy Reboul, directeur de la version francophone qui n’a pas omis de faire parvenir par mail à l’ensemble des contributeurs le nouveau record du meilleur revenu mensuel détenu par un américain : 5000 $ soit 3 500 €.
De plus, après lecture des conditions de participation au site, il apparaît que le premier article rédigé pour Suite101 ne soit pas comptabilisé dans le processus de rémunération, ce dernier étant considéré comme un article d’essai. Enfin, la rémunération ne commencerait à être versée au prestataire qu’après avoir atteint le montant de 10 euros.
Ce mode de rémunération en laisse plus d’un sceptique. Avec une obligation de publier au moins 10 article en 3 mois de temps et une rémunération bancale, pourquoi alors contribuer ?

A l’ouverture, le site français comptait 150 collaborateurs. Ils sont aujourd’hui 700 et 40 nouveaux nouvelles recrues par semaines selon les dires du directeur qui affirme ne retenir que 30 % des candidatures en fonction de “la maîtrise de la langue et de certains standards journalistiques”. Si la majeur partie des “journalistes” sont des amateurs, les professionnels officiant sur le site avouent rédiger des articles “pas pour le pognon, mais pour la liberté d’expression” et semblent s’amuser des bourdes commises par le logiciel Google AdSense : ainsi n’est-il pas rare de voir par exemple une publicité ventant les mérites du dernier 4 x 4 associé à un article sur l’écologie.
Avis donc aux apprentis journalistes désireux de se voir embaucher par les grands groupes de presse, une collaboration à Suite101 ne peut en aucun cas être considérée comme un démarrage à la pige. Pour beaucoup de professionnels donnant leur avis sur le sujet, brader le fruit de son travail dès le commencement de sa carrière est non seulement un très mauvais départ mais aussi un coup de plus porté à la profession.

Enseignant à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, Yannick Estienne souligne qu’aujourd’hui, “les journalistes professionnels ne sont plus les seuls à produire l’information” mais il demeure méfiant face à un projet qui ne serait qu’un nouveau moyen de générer de la publicité, conscient qu’il y a “une demande d’expression sur internet, donc de visibilité”. Adeline Wrona, maître de conférence à l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication, déconseille les étudiants diplômés de s’y investir même si selon elle, “il faut bien trouver un moyen de rendre rentable le journalisme” et qu’il n’y a “qu’une différence technique entre cette utilisation de la publicité et celle qu’en font les autres médias”.
Suite101 : école de journalisme version 2.0 ou nouvelle interprétation du “user generated content” (production de contenu par la communauté des lecteurs) ?

Sources :

http://www.liberation.fr/
http://www.clubic.com/
http://pisani.blog.lemonde.fr/
http://www.rue89.com/

Jean-Michel PERIL