« À 17 heures, le vendredi 22 Octobre 2010, Wikileaks a publié la plus grosse fuite de documents militaires secrets de l’Histoire ».
Tel est le message que l’on peut voir affiché depuis quelques semaines sur la page d’accueil de Wikileaks, site spécialisé dans les fuites de documents confidentiels.
Créé en 2006 à l’initiative de l’Australien Julian Assange, ce site de partage a, en effet, récemment créé le « buzz » en publiant près de 400 000 documents compromettants sur la guerre en Irak (« Irak War Logs »), deux mois seulement après la publication de quelques 90 000 « fuites » sur la guerre en Afghanistan.
Wikileaks reprend le concept participatif des sites « wiki », dans la mesure où n’importe quel internaute peut enrichir le contenu du site. Mais les données diffusées ne sont pas de simples articles. Ici, des whistleblowers – en français « lanceurs d’alertes » – décident de dévoiler des données confidentielles ou institutionnelles et les publient en ligne. Et leur démarche reste totalement sécurisée et anonyme.
Bien-sûr l’opération est encadrée : éditeurs, relecteurs et correcteurs de Wikileaks examinent chaque information avant de les mettre en libre-accès sur le site.
Jusqu’ici rien de vraiment innovant : le site IraqBodyCount avait déjà révélé le nombre de morts en Irak à l’heure où le Pentagone s’efforçait de les dissimuler. Mais là où Wikileaks innove c’est dans sa capacité à médiatiser l’affaire. Ainsi ce sont des géants de la presse mondiale triés sur le volet tels que The New-York Times, Der Spiegel, The Guardian ou plus récemment Le Monde qui ont relayé les informations sensibles du site de Julian Assange. Wikileaks fut alors propulsé sur le devant de la scène. Il a acquis une visibilité inattendue là où d’autres concurrents ont échoué. Un crédit face à l’opinion publique.
Face à cette publication imminente discréditant les dires de l’administration Bush, les Etats-Unis décident dès le 20 octobre d’anticiper la frappe en invitant les médias à ne pas faciliter la fuite. En effet, une telle annonce pourrait, selon Dave Lapan du ministère américain de la défense, « menacer les troupes ou les Irakiens qui coopèrent avec les Américains ». Une part de la liberté d’expression et d’exigence de vérité sacrifiée au nom de la sécurité d’Etat ? Il n’en fut rien.
La presse s’empare du sujet et diffuse le 23 octobre la « vérité » sur les victimes de la guerre en Irak. Les informations diffusées font l’effet d’une bombe. Les institutions internationales se mobilisent. L’ONU demande des comptes à Washington et ouvre une enquête sur les cas de torture. Wikileaks, « l’organe de renseignement du peuple » selon son créateur, remplit son rôle, celui de trublion, d’apôtre de la transparence et de la vérité.
Car c’est là le véritable intérêt du site : sa capacité à s’imposer comme un véritable contre-pouvoir démocratique. Une alternative crédible aux médias traditionnels.
C’est une révolution dans la sphère journalistique. En effet, jamais des informations issues du web 2.0 n’avaient obtenu une telle tribune et une telle valeur.
Même si le concept demeure encore perfectible et inappliqué, le « journalisme scientifique » de Julian Assange pourrait constituer un bouleversement de l’organisation des agences des presses.
En effet, il opère une nouvelle répartition des rôles dans les médias, une partie de l’activité éditoriale étant désormais allouée à des non-professionnels. Ainsi allégé, le rôle du journaliste se réduirait à son activité principale : la vérification, le recoupement, la contextualisation des informations.
Selon Benoit Raphaël, ancien rédacteur en chef du site Le Post, cette coopération inter-médias aurait pour résultat de « réduire les coûts de production en partageant l’activité avec la communauté, pour produire une information à plus grande valeur ajoutée ». Une bonne nouvelle en somme à l’heure où le journalisme est coincé entre la rentabilité et le politiquement correct.
Une nouvelle forme de journalisme indépendant est-elle en train de naître? C’est l’espoir qu’entretient Wikileaks.
Sources :
- http://wikileaks.org/
- http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/10/22/wikileaks-promet-une-annonce-importante-samedi_1430044_651865.html
- http://www.marianne2.fr/WikiLeaks-quand-le-scoop-devient-un-pirate_a198983.html
- http://www.rue89.com/securi-terre/2010/10/27/wikileaks-la-pire-agence-de-renseignement-du-peuple-173415
- http://www.numerama.com/magazine/17178-wikileaks-la-mediatisation-avant-l-information.html
- http://benoitraphael.com/2010/07/28/wikileaks-un-modele-pour-les-medias/