Ce mercredi 20 octobre, à l’initiative de Cap digital – une association regroupant les principaux acteurs des services numériques – se tenait à Paris le 3è groupe de réflexion sur la publicité interactive.
Ces travaux autour de la question « quelle gestion des données personnelles ? » étaient l’occasion de faire le point sur cette nouvelle forme de communication plutôt particulière et qui ouvre aux annonceurs des perspectives tout à fait intéressantes. Mais ils conduisent également à revenir sur le cadre juridique de la publicité en ligne, laquelle ne manque pas, petit à petit, de devenir une cible privilégiée des annonceurs. Enfin, il est important de souligner la récente adoption d’une charte de bonne conduite visant à encadrer la publicité ciblée, celle-ci pouvant interpeller car enfreignant – à n‘en pas douter – le droit au respect de la vie privée de chaque internaute.
Tout d’abord, il s’agit de cerner la notion de publicité interactive tant celle-ci demeure plutôt flou dans l’esprit du grand public. Littéralement, on comprend qu’il s’agit de messages commerciaux dans lesquels le particulier intervient directement, possède un rôle actif et non plus passif comme cela était traditionnellement le cas. Plus largement encore, on peut évoquer la publicité interactive dès lors que ce n’est plus seulement cette dernière qui vient au consommateur, mais que c’est aussi le consommateur qui va à cette dernière.
Aujourd’hui, il n’est plus possible de la cantonner maladroitement au seul champ de l’Internet. Ainsi, depuis mai 2010, la TV d’Orange diffuse de tels « communiqués » incitant le téléspectateur à interagir au moyen de sa télécommande avec la publicité qu’il regarde. Quant à la téléphonie mobile, elle use depuis longtemps de cette forme de démarchage à distance.
Mais indéniablement, le média porteur par excellence pour ces annonceurs est Internet et, selon François-Xavier Hucher – directeur des activités Internet et nouveaux médias de Médiamétrie – « l’espace de contact que représente Internet pour les annonceurs ne cesse d’augmenter [et celui-ci] s’impose comme un média incontournable du paysage publicitaire français ». En 2009, à l’inverse de la télévision, de la presse, de la radio ou encore de l’affichage, qui tous ont vu leurs recettes publicitaires diminuer sensiblement sous l‘effet de la crise économique, celles perçues sur le web ont crû de 6 % selon l’étude de Capgemini Consulting publiée mercredi 13 janvier 2010. Cette hausse intervient après une progression très significative en 2008 : près de 25 %.
Il ne fait aucun doute que si nombre de sites proposent leurs services en apparence gratuitement, c’est avant tout parce que leurs web masters se rémunèrent grâce aux banderoles et autres encarts publicitaires qu’ils proposent à divers annonceurs. De la sorte, on imagine combien l’encadrement juridique de la publicité en ligne est susceptible d’impacter directement l’économie du secteur.
De prime abord, la publicité en ligne ne mène guère à de grandes problématiques. Son régime juridique se fond au sein du droit de la publicité général et ainsi s’appliquent les règles classiques relatives à la publicité trompeuse ou à la publicité comparative notamment. Et si la loi sur la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 dispose que toute publicité sur Internet doit pouvoir être clairement identifiée comme telle et rendre déterminable la personne pour le compte de laquelle elle est réalisée, ce n’est qu’une plate transposition non innovante de la règle déjà applicable aux chaînes de télévision et à la presse écrite.
Néanmoins, certaines questions suscitent d’avantage le débat. On pense à la publicité pour les produits alcoolisés qui est autorisée sur Internet depuis la loi du 9 mars 2009, décision sans doute soutenue davantage par des motifs financiers et des pressions économiques que par le réel sentiment que les adolescents ne surfent que sur des sites destinés à un public de leur âge et où ces publicités demeurent proscrites.
Surtout, les publicités sur le web – qu’elles soient interactives ou qu’elles ne le soient pas – se rejoignent autour de la problématique centrale du groupe de réflexion de Cap digital. En effet, comment concilier collecte de renseignements sur les acheteurs potentiels – matière première de ce type de publicité qui se nourrit de relations suivies et a priori « privilégiées » – et protection des consommateurs et de leurs droits ? Sans doute le dessein de l’association est-il de se concentrer sur les bénéfices commerciaux de ce mode de prospection et sur les moyens de les rendre plus efficaces encore. Cependant, il parait nécessaire de franchir la barrière économique et de rechercher leurs limites, notamment eu égard aux droits des internautes.
Au sens de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL), une adresse e-mail est en soi une donnée personnelle devant être protégée au même titre que toute autre. Dès lors, s’imposent les principes de déclaration préalable des fichiers constitués et de loyauté pour toute collecte de telles données ; lesquels principes s’avèrent plutôt contraignant.
De plus, le système dit de « l’opt-in » ne permet de prospecter par courrier électronique qu’après que l’internaute ait donné explicitement son accord, dans les faits en cochant une case spécifique. L’article R10-1 du Code des postes et des communications électroniques sanctionne de 750 euros d’amende tout message envoyé en contravention de cette règle. L’addition peut donc vite devenir salée pour les contrevenants : un million d’euros pour 1 300 messages envoyés. Cette mesure semble d’ailleurs porter ses fruits puisque chaque usager peut constater une quasi-disparition des courriers non désirés.
Par ailleurs, il est important de souligner que la publicité ciblée – laquelle consiste à proposer des offres « sur mesures » en fonction des goûts et centres d’intérêt de l’internaute grâce à des données récoltées par le biais de cookies, de formulaires ou encore de l’adresse IP – vient de faire l’objet d’une charte de déontologie signée le 30 septembre dernier par les professionnels du secteur, sous l’égide de l’ancienne secrétaire d’État à la prospective et au développement de l’économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet.
Cette charte intitulée « Publicité ciblée et protection des internautes » consacre le droit à l’oubli numérique, c‘est-à-dire la possibilité d‘effacer les données transmises sur la toile ; car il ne faut pas oublier que, plus qu‘un média de flux, Internet est un média de stock. Les informations que l’on y divulgue y demeureront ad vitam aeternam. Comme le décrit Gildas Ngare sur le site rue89.com, c’est « un défi pour les libertés publiques », défi qu’illustre parfaitement la publicité ciblée.
La principale ambition de cette charte est de permettre aux internautes d’accepter ou refuser la diffusion de contenus publicitaires adaptés à leur comportement de navigation, soit de transposer le principe de « l‘opt-in ». Mais il s’agit également d’encadrer plus étroitement le rapprochement entre données comportementales et personnelles ou encore de promouvoir l’usage et le développement de techniques nouvelles de protection de la vie privée.
Ce dernier point se révèle primordial – même si une transparence accrue est sans conteste nécessaire – car la publicité ciblée interpelle en premier lieu par cet aspect là : sa seule et unique ressource est la vie privée ; or celle-ci est protégée tant par le Code civil (article 9) que par la Convention Européenne des Droits de l’Homme (article 8). Cet aphorisme apparaît : protéger la vie privée implique l’interdiction de la publicité ciblée. Imaginer un territoire sur lequel toutes deux puissent cohabiter semble scabreux puisque cette forme de démarchage se nourrit exclusivement d’intrusions dans les choix et les goûts qui constituent des éléments à part entière de l‘intimité de chacun.
En conséquence, sans pouvoir coercitif ou de sanction puisque ce ne sont en réalité que de simples recommandations, on aboutit à l’âpre constat que cette charte ne pourra guère dépasser le pâle degré du symbolique. La question de son efficacité doit être soulevée, d’autant plus que, selon la nouvelle Ministre de l‘écologie, l’enjeu est en premier lieu de « ne pas étouffer le secteur de la publicité, carburant de l’économie numérique ». Quant à Marc Lolivier, délégué général de l’Union française du marketing direct (UFMD), s’il avance que « l’idée est de travailler sur la régulation de la publicité ciblée », on peut craindre que les 10 organismes signataires – annonceurs, régies publicitaires, moteurs de recherche ou boutiques en ligne – n’oublient trop rapidemment leurs louables résolutions et cette pourtant belle et noble intention qu’est l’autorégulation.
Pourtant, alors que l’on se demande si Internet n’est pas l’ennemi de la vie privée, il faut reconnaître qu’il est père de paradoxes. Car n’est-ce pas sur la toile que chacun est le plus libre de s‘exprimer, sans crainte d’être reconnu, derrière un pseudonyme alambiqué synonyme d’anonymat ?
Dans peu de temps, par le biais de la géolocalisation, l’on recevra en temps réel des informations – disons plutôt des publicités – décrivant les magasins se situant dans le quartier fréquenté.
On n’arrête pas le progrès. Mais quel est le prix à payer ?
Sources :
http://www.cnil.fr/dossiers/conso-pub-spam/
http://www.arpp-pub.org/20-10-2010-Cap-Digital-vous-invite.html
http://www.iabfrance.com/?go=edito&eid=13
http://www.01net.com/editorial/521597/une-charte-pour-encadrer-la-publicite-ciblee-en-ligne/
http://www.rue89.com/explicateur/2009/11/11/le-droit-a-loubli-numerique-un-casse-tete-jurididique