Si ce n’est pas encore un consensus, on s’en rapproche pas à pas.
Les justices d’un nombre croissant de pays occidentaux semblent aujourd’hui sur la même longueur d’onde en matière de conciliation entre droits de propriété immatérielle et droits sur Internet et un cadre juridique plus stable parait émerger de plusieurs décisions récentes.
Or, il existe un fil d’Ariane réunissant les affaires en cause : Google. Impliqué dans nombre de procès à travers le monde, le moteur de recherche peut s’enorgueillir de truculentes victoires face aux titulaires de droits ; qu’il s’agisse de droits relatifs aux marques (voir l’article « annulation d’une condamnation de Google par la Cour de cassation, l’avenir de la protection des marques sur Internet en question ») ou de droits d’auteur comme l’illustre la récente décision d’un tribunal fédéral de Madrid, laquelle apporte un soutien notoire à la liberté, mais aussi à l’impunité des acteurs de l’Internet (voir la présentation complète de la problématique sur jurispedia).
La firme américaine est actuellement doublement mise en cause par l’homme d’affaires et Président du Conseil italien Silvio Berlusconi. Tout d’abord, une procédure suit son cours à Rome suite à la requête de Mediaset, groupe de médias contrôlé par l’homme politique. Puis, on trouve cette affaire espagnole à laquelle vient de répondre la justice et qui opposait Telecinco, autre possession de M. Berlusconi, à Youtube, le site de partage de vidéos appartenant à Google.
Concernant cette seconde, les juges de première instance ibériques avaient tout d’abord donné raison à la chaîne de télévision, en juillet 2008, estimant que certaines vidéos mises en ligne en contravention des droits de leurs auteurs et producteurs rendaient le site coupable de contrefaçon et requérant « la suspension de l’utilisation des émissions et enregistrements audiovisuels appartenant à Telecinco […] en l’absence d’une autorisation écrite explicite ».
En appel, c’est donc un verdict tout à fait contradictoire qui vient d’être rendu, le jeudi 23 septembre dernier. Érigeant en axiome du droit de l’Internet le statut d’hébergeur de contenus, les magistrats ibériques concluent qu‘il « est matériellement impossible de contrôler la totalité des vidéos qui sont mises à disposition des usagers, car il y en a actuellement plus de 500 millions », puis que « YouTube n’est pas un fournisseur de contenus et, donc, il n’a pas l’obligation de contrôler ex ante l’illégalité de ceux qu’il héberge sur son site web ». La filiale de Google serait un simple hébergeur de contenus et en aucun cas un éditeur ; ainsi, « son unique obligation est de collaborer avec les détenteurs de droits pour, une fois l’infraction identifiée, procéder au retrait immédiat des contenus ».
Or, sur ce dernier point, le site a de longue date mis en place un outil gratuit – contentID – permettant aux titulaires de droits de supprimer eux-mêmes les vidéos délictueuses. Aussi Google rapporte-t-il qu’il « est de la responsabilité de l’ayant-droit […] d’identifier et de signaler à YouTube quand un contenu illicite est disponible sur son site ». Puis la société de Larry Page explique – là aussi non sans un certain bon sens – que « les ayants droit sont les mieux placés pour savoir si une œuvre est autorisée ou non à être sur une plate-forme d’hébergement en ligne ».
Les sites n’entreraient donc en jeu et ne verraient leur responsabilité engageable qu’une fois avertis par les propriétaires de la présence de contenus irréguliers. L’existence de cet instrument et le fait que plus d’un millier de groupes de médias l’utilisent à travers le monde sont sans doute la preuve d’une réelle bonne foi de la part de Youtube.
Après que le Tribunal de New York – dans une précédente affaire qui l’opposait au géant américain Viacom – ait abouti au même dénouement, Google espère que cette distinction hébergeur / éditeur ferra jurisprudence et lui permettra de « faire le break » face à l’omnipotent président italien ou encore, en France, à TF1 qui attend que les jugent donnent suite à sa demande de dommages et intérêts dans des circonstances similaires.
Sans doute accompagnée d’une certaine malice, la firme de Mountain View se déclare confiante et tend à internationaliser la portée de cette décision en évoquant par l’intermédiaire de son porte-parole Bill Echikson « le jugement le plus important en Europe sur cette question des droits d’auteur », « la sagesse des lois européennes » et « une grande victoire pour l’Internet » ; optimisme relayé par l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) selon laquelle il s’agit d’une « jurisprudence européenne » permettant de « stimuler l’essor du web communautaire en Europe ».
Néanmoins, il y a fort à parier que ces certitudes ne sont en réalité que de pâles façades tant ces questions touchent du doigt des joutes immatérielles qui font d’Internet le calvaire des droits d’auteur, qui font d’HADOPI une institution archaïque et dépassée avant même d’exister et qui mènent le Parlement Européen à adopter un rapport consacré à la lutte contre le piratage des œuvres et des services sur Internet alors même que la jurisprudence en la matière semble globalement se libéraliser. Partant, l’impression de consensus qui se dégage à propos de la qualification d’hébergeur fait figure d’exception qui ne durera qu’un temps car ne pouvant résister aux futures évolutions technologiques.
Gageons qu’il faudra encore de multiples conflits – donc de multiples procès et interventions législatives – pour que le droit parvienne à se fixer, à s’adapter et à suivre la révolution de la communication au public en ligne.
Pour l’heure, part belle reste faite au règne de l’insécurité juridique.
Sources :
http://www.generation-nt.com/youtube-telecinco-hebergeur-asic-actualite-1089481.html
http://www.france24.com/fr/20100923-youtube-proces-telecinco-google-espagne-droit-auteur-video-piratage
http://www.generation-nt.com/youtube-telecinco-google-ayant-droit-actualite-1089311.html
http://www.theinternets.fr/2010/09/23/express-telecinco-vs-youtube-cette-decision-est-une-victoire-pour-internet/
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2010/09/23/espagne-youtube-gagne-contre-telecinco-sur-les-droits-d-auteur_1415004_651865.html
http://fr.jurispedia.org/index.php/Statut_juridique_des_sites_de_vid%C3%A9o_en_ligne_%28fr%29