Être ou ne pas être hébergeur, telle est la question.
La loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 arbore quelque chose de très shakespearien. Ainsi – semblables à Roméo devant choisir entre Montaigu et Capulet – les juges rencontrent un dilemme homérique : qui des qualifications d’éditeur et d’hébergeur doit l’emporter pour désigner les sites communautaires de l’Internet ? Et quels régimes de responsabilité doivent s’y rattacher ?
En France, de nombreuses décisions traitent de cette problématique nouvelle et que la loi peine à circonscrire (voir pour une présentation complète l’article « le statut juridique des sites de vidéos en ligne » sur le site jurispedia). Or du fait de ce flou législatif et de la prohibition des dénis de justice, les tribunaux – le TGI de Paris en particulier – sont contraints de préciser les règles régissant le domaine de la communication au public en ligne dont la question du statut juridique applicable aux différents sites collaboratifs constitue en quelque sorte la clé de voûte.
L’ordonnance prise en référé par le président du TGI parisien le 20 octobre dernier est la dernière pierre apportée à cet édifice prétorien. Elle revêt un intérêt patent en raison du fait qu’il ne s’agit pas pour le juge, comme à l’accoutumée, de traiter de la conciliation entre droits de propriété intellectuelle et responsabilité des acteurs de l’Internet, mais d’aborder la question des atteintes à la réputation commises en ligne.
En l’espèce, Alexandre B. avait été mis en examen dans le cadre d’une information judiciaire ouverte du chef d’escroquerie contre les dirigeants de la société pour laquelle il travaillait, laquelle proposait à des artistes d‘exposer leurs œuvres dans des endroits supposés prestigieux. S’en suivit la mise en ligne sur un site de la société JFG Networks – par un internaute dénommé Yvan S. étant également l’un des peintres plaignants – d’un article relatant : « Alexandre B. a été mis en examen par la police judiciaire de Versailles pour escroquerie. A l’issue de la garde à vue Alexandre B. a été mis en liberté surveillée. Un juge d’instruction a été nommé. Une commission rogatoire va poursuivre l’instruction et préparer le procès à venir ».
En conséquent, le mis en cause demandait au juge de l’urgence qu’il ordonne à l’hébergeur la suppression immédiate du texte incriminé ainsi que le paiement de dommages et intérêts en compensation du préjudice moral subi. Ce dernier quant à lui se défendait en avançant que le caractère « manifestement illégal » du blog en question – qui lui avait été dénoncé par lettre recommandée avec avis de réception – n’était pas certain. Partant, il n’y avait selon lui aucune raison légale de le retirer.
Est tout d’abord remarquable le fait que le requérant n’ait pas cherché à faire jouer à l’encontre la société défenderesse le régime de responsabilité de droit commun applicable aux éditeurs de contenus. En se plaçant sur le terrain spécifique de l’article 6 de la loi LCEN érigeant un système de responsabilité limitée pour les hébergeurs, les chances d’obtenir gain de cause de la part du juge s’avéraient inexorablement amoindries. Sans doute les nombreuses décisions ayant, depuis 2007, rejeté l’applicabilité du statut d’éditeur et retenu, par défaut, celui d’hébergeur ont-elles milité en faveur d’une attitude pragmatique consistant à se concentrer sur ce second. Cela peut en effet paraître plus judicieux que de l’invoquer subsidiairement et donc de façon peu pertinente. Cet élément témoigne de la primeur actuelle du statut d’hébergeur. À l’instar de Roméo, les juges auraient choisi quel parti suivre (opere citato ; voir l‘article « La qualification d’hébergeur attribuée à Youtube par la justice espagnole »).
L’ordonnance ici en cause revêt un double apport : le premier porte sur les conditions permettant d’engager la responsabilité d’un hébergeur de contenus pour atteinte à la réputation ; le second s’intéresse à la notion d’atteinte à la présomption d’innocence et donc de diffamation.
Tout d’abord, Alexandre B. est débouté de sa demande car le magistrat retient que la société « s’est comportée en l’espèce comme un professionnel averti et exigeant, soucieux de la liberté d’expression et s’étant conformé aux prescriptions du conseil constitutionnel » ; étant rappelé que « l’hébergeur n’est astreint, en cette qualité, à aucune obligation de surveillance et de contrôle […] et ne peut voir sa responsabilité engagée qu’après que le contenu illicite d’une publication lui a été notifié dans les formes prévues par la loi et si, l’information dénoncée présentant un caractère manifestement illicite, il n’a pas agi promptement pour la retirer ».
Surtout, l’impression d’immunité des fournisseurs d’hébergement se voit confortée par l’ajout d’une nouvelle condition à la possibilité que des obligations leur incombent. Il s’agit du besoin d’entreprendre une quelconque action « telle que la saisine du juge des requêtes, aux fins de disposer des éléments d’identification du responsable de ce blog ». Il faut ici préciser que les nom et prénom de ce dernier figuraient en annexe du site litigieux, ce qui le rendait aisément identifiable. Ainsi, agir en premier lieu à son encontre n’était pas impossible.
En outre, Ivan S. était intervenu volontairement à l’audience, assumant pleinement la paternité des propos en cause. Dès lors, il s’agissait également de répondre à la demande additionnelle de condamnation in solidum des deux acteurs de la publication.
Ainsi, le juge aborde sur le fond la requête à lui soumise et répond que « le seul fait imputé par ce texte d’avoir été mis en examen est un fait exact qui ne saurait, dès lors, caractériser le délit de diffamation ». Il ajoute : « la seule référence à une mise en examen n’est pas, en tant que telle, contraire à la présomption d’innocence, laquelle n’interdit nullement d’évoquer des affaires judiciaires en cours mais a pour seul objet de prévenir toute conclusion définitive manifestant un préjugé tenant pour acquis la culpabilité de qui n’est pas encore jugé ».
Enfin, il termine : « le caractère diffamatoire d’un propos n’est pas toujours de nature à convaincre de son caractère illicite – et moins encore manifestement illicite – ce dernier pouvant être exclusif de toute faute lorsqu’il est prouvé ou se trouve justifié par la bonne foi ». Cette dernière phrase constitue sans doute l’apport principal de ce jugement de référé puisqu’elle semble élever encore un peu plus le mur défendant les hébergeurs en excluant toute sanction du fait de ne pas avoir retiré un contenu diffamatoire, même après notification en bonne et due forme.
Si cette jurisprudence était confirmée, le régime applicable aux blogs, forums et autres réseaux sociaux risquerait fort de consister en un régime d’impunité.
Le droit de la réputation sur Internet se dessine, mais les ratures à l’égard des victimes sont nombreuses.
Sources :
http://www.legalis.net/spip.php?article3007
http://fr.jurispedia.org/index.php/Statut_juridique_des_sites_de_vid%C3%A9o_en_ligne_%28fr%29