Le 5 août 2010, trente trois mineurs chiliens se retrouvaient bloqués sous terre à sept cent mètres de profondeur dans la mine de « San José » à la suite d’un gigantesque éboulement. Des forages ont alors été entrepris pour tenter de les retrouver, et ce n’est que le 22 août que les premiers signes de vie ont été aperçu par le biais d’un message attaché à un tube de forage « Nous, les trente trois mineurs, allons bien ». A partir de cet instant il a été entrepris une très importante et délicate opération de sauvetage qui allait déboucher un peu plus de deux mois plus tard, le 13 octobre 2010 sur un sauvetage des plus médiatisé, de l’intégralité des mineurs.
Ceci est le court récit d’une histoire qui aurait pu n’être que sommairement racontée et commentée par les médias mondiaux, pourtant c’est une histoire qui entraîna une couverture médiatique tellement importante que l’on peut la comparer à celle d’un certain 11 septembre 2001.
L’engouement médiatique interne au Chili ne surprend pas car le secteur minier est important dans le pays et le cuivre y est la ressource principale du pays. Au Chili les mineurs sont des travailleurs populaires et respectés, on comprend donc facilement que leur sort touche les foules Chiliennes. Néanmoins le battage médiatique mondial peut paraître plus surprenant.
En effet le sauvetage des mineurs chiliens fut suivi par les médias du monde entier d’une manière quasiment sans précédent. Chaque jour de plus en plus de journalistes se sont massés aux abords de la mine au point que ceux-ci additionnés aux proches des mineurs enfouis ont formés un véritable camp qui n’a cessé de s’agrandir. Pas moins de 2000 journalistes ont fait le voyage jusque dans le désert d’Atacama (nord du Chili) pour couvrir le « happy end » de cette saga souterraine inédite. Pour exemple, la chaîne d’information continue i-TELE s’est offert sa plus longue couverture en direct d’un événement, les caméras de la chaîne sont restées braquées 31 heures sur la mine de « San José » durant le sauvetage. Les sites d’information sur Internet détaillaient l’évolution de la situation du 13 octobre en faisant une chronologie mise à jour quasiment tous les quarts d’heures. En définitive les médias du monde entier étaient présents et ont relayés l’information, et ce même en Chine pays ou les accidents du même genre (moins la fin heureuse) sont fréquents. Nombreuses sont les personnes à avoir vécu la sortie des mineurs un par un dans la nacelle en direct à la télévision ou sur Internet.
Face à cette affluence médiatique, la ville de Copiapo a, pour satisfaire les exigences des journalistes, installé un réseau Internet sans fil baptisé « Fuerza los mineros » (Courage les mineurs) et bâti une plateforme près du puits d’extraction pour leur permettre de prendre les premières images de sortie. Cela ne suffisait apparemment pas puisque les places proches du puits se disputaient férocement, la police a été contrainte de déployer des barrages de sécurité surveillés en permanence par des carabiniers postés en haut des collines.
Tous attendaient la sortie des mineurs avec impatience, avec la perspective d’images inédites et d’interviews exclusives. A tel point que des psychologues et des experts en communication se sont relayés pour préparer les mineurs à la pression médiatique qui les attendait. En effet on leur a appris à demander les règles de l’interview au préalable, à garder leur calme pendant une interview, à faire répéter les questions non comprises et même des techniques oratoires. Selon un des psychologues les mineurs étaient très enthousiastes de cette médiatisation et parlaient même de droit d’auteur.
Les « 33 » ont été propulsés très vite au rang de héros nationaux puis internationaux du fait de cet emballement médiatique. Ce fut une véritable saga, pleine de rebondissements, d’évolution, de bonnes nouvelles, de tensions et de suspense. Les médias avaient semble-t-il trouvé leur « série dramatique de télé réalité », un vrai filon. On peut même se demander si ce « happy end » était finalement la fin la plus intéressante pour les médias, on peut en douter même si cela semble exagéré.
Une foi sorti les « 33 » vont alors mesurer les conséquences de cette surexposition médiatique en l’espace de deux mois et demi. Ils vont être récupérés politiquement : Laurence Golborne, le ministre des Mines du Chili, peu connu il y a encore quelques mois, l’homme est devenu l’une des personnalités les plus appréciées des Chiliens, l’institut de sondage chilien estime sa cote de popularité à 87 %. Cela résulte d’une stratégie bien menée car les conditions de sécurité dans lesquels travaillent les mineurs au Chili sont précaires donc le Ministre aurait dû pâtir de cette catastrophe. Le Président Sebastian Piñera n’est pas en reste puisqu’il frôle les 80% d’opinion favorable après s’être démené aux abords du puits devant les caméras entre accolade et jolis discours de circonstance.
Les mineurs ont aussi été la cible de grandes entreprises les utilisant pour améliorer leur image ou se faire de la publicité : un chèque de 10.000 dollars chacun offert par un magnat minier du Chili, un iPod offert par le patron d’Apple Steve Jobs, des maillots de stars mondiales du football, ils ont été invités par Manchester-United à un match à Old-Trafford, par le Real Madrid à Santiago Bernabeu, pour leur rendre hommage. Le club chilien phare « Universidad de Chile » a offert un abonnement aux onze mineurs qui se sont déclarés supporters. Les autorités de Taiwan leur ont offert un voyage pour visiter l’île, une compagnie minière grecque les a invités pour une semaine dans les îles de leur choix. Edison Pena, fan d’Elvis Presley à été invité à Graceland, l’ancienne résidence du “King” transformée en musée à Memphis
A leur sortie, les interviews exclusives se sont vendues à prix d’or, et si ce n’est pas déjà fait, bientôt ils pourront vendre leur récit, et verrons des adaptations de leur séjour sous terre fleurir au cinéma ou en livre puis ainsi percevoir les fameux « droits d’auteur ». En effet coté production cinéma, les prétendants se pressent. Hollywood aurait courtisé les familles pour réaliser plusieurs documentaires sur la vie des « 33 », les chaînes américaines HBO et Discovery Channel, ainsi que la britannique Channel 4, seraient elles aussi intéressées.
Enthousiaste dans un premier temps sur leur notoriété nouvelle, aujourd’hui elle n’est plus tout à fait à leur goût. Certains commencent à se plaindre des médias, l’un d’eux, Omar Reygadas, regrettant même le fond de la mine « Parfois, je pense que j’étais bien mieux à l’intérieur de la mine, parce que toute cette situation me rend très nerveux et je ne peux pas dormir correctement », un autre, Mario Sepulveda, considéré comme l’animateur du groupe a déclaré que « Le harcèlement de la presse nationale et étrangère a été suffisant. Je ne suis qu’un mineur. Cette histoire de la célébrité n’est pas pour moi. S’il vous plaît, aidez-moi ». C’est comme si les médias dans ce contexte en rajoutaient dans le traumatisme vécu par ce groupe de mineurs incarcérés dans le ventre de la terre. Formidable paradoxe ou le retour à l’air libre de ces forçats de la mine les plonge dans un autre enfermement, médiatique cette foi, faisant d’eux des objets passifs.
Qu’ils ne s’inquiètent pas trop, la majorité d’entre eux seront dans peu de temps retombés dans un quasi anonymat quand les médias et la population se seront lassés de leur aventure, ce qui, à n’en pas douter, arrivera.
Sources :