L’intention semble a priori louable, si bien qu’à son égard, on rechigne à se laisser aller à la critique. Pourtant, la « taxe Google » doit bel et bien la susciter, tant elle se révèle maladroite.
La grogne des annonceurs, sévère, ne désemplit pas. Le 23 novembre dernier, le Sénat a adopté un amendement à la loi de finances – déposé par le rapporteur général UMP de la Commission des finances, Philippe Marini – qui vise à instaurer, à compter du 1er janvier 2011, un prélèvement de 1 % « sur l’achat des services de publicité en ligne ». Cette mesure devra être définitivement entérinée en Commission mixte paritaire au cours du mois de décembre. Aussi les acteurs du secteur poussent-ils à l’unisson pour qu’elle ne le soit pas, tant elle s’avère, à leurs yeux, injuste et inefficace.
Cette innovation fiscale emporte une double analyse. D’une part, elle répond à une logique irréfragable. Mais, d’autre part, elle entraîne dans son sillage des réticences soutenues par des arguments non moins implacables.
Une taxe au principe plébiscité
Les principaux opérateurs de l’Internet que sont Google et autres Yahoo ou Amazon demeurent inaccessibles aux impôts français puisque installés sur le territoire d’États ultra-libéraux tels que l’Irlande ou le Luxembourg. Exploitant l’une des principales carences de l’Union Européenne – la non harmonisation des fiscalités nationales – ces sociétés échappent, entre autres, à la TVA et Google économiserait ainsi près de 1 milliard de dollars chaque année ; de quoi financer plus d’un « ch’tit » spot publicitaire en prime time et à 300 000 euros la minute.
Pour combattre l’impuissance due à ce déficit juridique, le nouveau prélèvement – qui fut préconisé au début de l’année 2010 par le rapport Zelnik – touche les investissements publicitaires directement à leur source ; tandis que, traditionnellement, ces taxes affectent les recettes publicitaires des médias.
La problématique s’avère éminemment économique et Philippe Marini développe : « il s’agit de rétablir la neutralité fiscale du marché publicitaire […]. Internet constitue le seul segment de marché à n’être pas taxé d’une façon ou d’une autre ». Selon lui, pour « faire prévaloir l’équité entre les différents supports de publicité », atteindre les annonceurs serait la « seule solution ».
En effet, on ne comprendrait pas que, selon les médias empruntés, les régimes fiscaux diffèrent. Dès lors que la publicité à la télévision ou dans les quotidiens est soumise à taxation – cela rapporte 100 millions d‘euros par an à l’État -, qu’elle ne le soit pas sur Internet relèverait de l‘incohérence. Au vu de la grave crise traversée par la presse papier, on imagine combien il s’agit d’un enjeu décisif et que cette distorsion de concurrence doit être combattue.
Néanmoins, les critiques émanant des opérateurs du secteur écrasent ces considérations.
Une taxe au contenu critiqué
Résumant à elle seule l’état d’esprit prévalant au sein des entreprises concernées, il y a cette phrase de Roland Tripard, président du directoire de Seloger.com : « au lieu d’aider le secteur à se développer, on l’assomme avec des taxes ».
Ainsi, d’aucuns estiment que cette mesure, si elle n’atteindra les géants de l’Internet qu’indirectement et surtout marginalement, en revanche elle risque de porter gravement et irrémédiablement préjudice à de petites sociétés nationales souvent faiblardes car aux ressources trop maigres.
L’une des nombreuses idées reçues se répandant au sujet de l’économie de l’immatériel est qu’elle serait constellée de start-ups dégageant des bénéfices rapides et faciles. Mais la réalité se révèle toute autre et la plupart d’entre elles peinent à muter le voyant économique du rouge au vert. Les combats font rage dans cet espace. Ils sont impitoyables. Et, parmi les centaines d’entrepreneurs qui se lancent sur ces marchés alléchants, seuls quelques uns triomphent et font fortune. Ce sont des dizaines de déconvenues pour un Rueducommerce.fr.
Gérard Noël, vice-président délégué général de l’Union des annonceurs (UDA), peste contre « cette mesure contre-productive [qui] freine le développement de l’économie numérique en France, un levier de croissance de premier plan ». Puis il ajoute : « ce sont d’abord les PME hexagonales qui en souffriront, toutes ces entreprises qui n’ont pas accès aux grands médias traditionnels et qui misent beaucoup sur une présence publicitaire dans les annuaires ou par le biais de liens sponsorisés ».
Quant à Guillaume Buffet – co-président de l’association Renaissance Numérique qui réunit des chefs d’entreprises du secteur du high-tech – il explique : « on pourrait croire que 1%, ce n’est pas grave, mais ça l’est sur un métier qui génère des marges extrêmement faibles ». Puis, il ne manque pas de stigmatiser les politiques et leur « méconnaissance totale du secteur et de l’importance qu’il occupe dans le futur développement de la France ».
Les moyens doivent répondre aux fins. Or, si mettre à contribution le surpuissant et omniprésent moteur de recherche californien semble relever de la logique même, on peut néanmoins s’interroger quant à la pertinence de la mesure dès lors qu’elle oblige, en contrepartie, à porter indifféremment préjudice à tous les acteurs de la publicité en ligne. La disproportion paraît patente.
Comme souvent dans pareille situation – et a fortiori dans le secteur en cause du fait du caractère supranational des communications électroniques et de leur vitesse – la conséquence risque de résider en des délocalisations massives. Ainsi Jérôme de Labriffe, président de l’IAB France – pour Interactive Advertising Bureau, l’association représentant le secteur de la publicité en ligne et qui n’a paradoxalement pas été consultée -, craint-il que, « même avec un montant symbolique, un tel projet entraîne la délocalisation d’une partie des acteurs français de l’Internet, leur activité étant, par nature, très mobile ».
De plus Google ne sera pas imposé et sans doute ne diminuera-t-il pas ses tarifs. Peut-être simplement ses revenus se verront-ils mécaniquement impactés en raison de la disparition de certains des annonceurs qui recouraient à ses services, étouffés.
En résumé, cette nouvelle taxe s’avère légitime d’un point de vue macroéconomique, mais illégitime à l’aune de la microéconomie. Quant à la firme de Mountain View, elle ne saurait être touchée que très indirectement. Son absence de réactivité n’est donc guère surprenante. Parler de « taxe Google » est clairement inapproprié et révèle que le législateur se morfond dans une grise pensée utopique.
Comme à l’accoutumée, la solution ne saurait qu’être communautaire. Confirme cela Pierre Kosciusko-Morizet – PDG de Priceminister.com – lorsqu’il affirme que « l’Union européenne ne joue pas son rôle ». Ainsi, ildénonce « le fait que Google ne paie pas d’impôts en France [et fasse] de l’évasion fiscale à outrance », et conclut : « on crée plusieurs dizaines de millions d’euros d’évasion fiscale [et] au final, on perd de l’argent et on augmente le déficit ». Ce syllogisme conduit à penser que cette mesure risque d‘engendrer des conséquences opposées à celles escomptées.
Par ailleurs, afin de réduire le tollé suscité, M. Marini a retiré un second amendement qui portait sur une taxation du commerce électronique à hauteur de 0,5 %. Cette mesure aurait pu rapporter plusieurs centaines de millions d’euros annuels aux caisses de l’État, tout en se révélant quasi-indolore pour les particuliers. En revanche, la taxation des transactions B2B – business to business, soit entre entreprises – ne devrait rapporter que quelques 10 millions d’euros.
On voudrait combler le déséquilibre abyssal du budget et plaire aux agences de notation qu’on ne s’y prendrait pas autrement.
Certes, taxer les annonceurs est « la seule solution ». Mais cela ne signifie pas pour autant que ce soit une bonne solution.
http://www.lexpansion.com/high-tech/comment-la-taxe-google-va-contourner-sa-cible_242348.html