Écouter un morceau en streaming gratuitement, de manière illimitée et surtout légalement sera sans doute de l’histoire ancienne d’ici l’année prochaine, en juge la tendance qui se profile auprès des majors et sites de téléchargement à vouloir passer du gratuit au payant. Et la querelle entre Universal, première major de musique au monde, et Deezer, numéro un du streaming en France, risque de précipiter les choses.
Le 10 juin dernier, Universal a déposé plainte en référé devant le Tribunal de grande instance de Paris, accusant Deezer de contrefaçon. En effet, depuis janvier, le contrat entre Deezer et Universal n’ayant pas été renouvelé, le géant du disque menace Deezer de lui fermer son catalogue, qui représente 30% de l’audience du site. A la source du problème : Universal souhaite mettre fin au plus vite au modèle « Freemium », jugé peu rentable, basé sur une écoute gratuite et une rémunération par la publicité. Selon Les Echos cette activité n’a généré que 9,8 millions d’euros de revenus pour les maisons de disques en 2010 contre 14,6 millions pour les abonnements payants et 47,4 millions pour le téléchargement. Deezer aurait réalisé un chiffre d’affaires de 7 millions d’euros l’an dernier et n’a reversé que 4 millions aux ayants droit (auteurs, producteurs, artistes…).
Deezer s’était pourtant déjà engagé dans la voie de la fin du « tout illimité » : le 6 juin la plateforme annonçait la limitation pour ses utilisateurs à 5 heures d’écoute par mois. Une mesure qui, si elle a provoqué les mécontentements d’internautes frustrés par ce passage brutal du « tout au presque rien », ne satisfait pas Universal. La major la trouve insuffisante, notamment en comparaison avec le régime adopté par le concurrent de Deezer, le suédois Spotify, numéro un européen. Ce dernier permet depuis avril d’accéder à dix heures de musique gratuite par mois mais limite l’écoute d’un même titre à cinq fois. Ce n’est donc pas un hasard si Universal vient de signer un accord avec le site suédois : l’entente est au beau fixe entre la maison de disques qui veut mettre fin à la gratuité et la plateforme musicale qui rêve de conquérir le marché américain (Universal représente 70% de la musique Outre-atlantique).
Mais selon Axel Dauchez, le PDG de Deezer, les méthodes de Spotify sont trop contraignantes et risquent d’aboutir à un effet pervers. Dans une interview de Libération, il soulève d’ailleurs le principal revers de telles mesures : « L’usage gratuit doit être limité, mais le choix de la musique doit rester libre. A trop vouloir restreindre le service, on risque de pousser une partie du public dans l’illégalité ». Et c’est le principal risque auquel les plateformes se heurtent dès lors que le streaming gratuit est restreint. Ainsi, d’après Les Inrocks, sur les 20 millions de personnes utilisant le site, seulement 5% payent un abonnement. Et seulement une minorité seraient susceptibles de passer à une formule payante : selon une étude de la Sacem, relayée par Les Inrocks, le taux de conversion en abonnés payants reste inférieur à 10% ! Et si Deezer se targue d’avoir 1,2 millions d’abonnés payants, en grande partie grâce au partenariat avec les forfaits d’Orange (partenariat qui serait d’ailleurs menacé si Universal décide de retirer son catalogue), selon Electronlibre seulement 1/3 d’entre-eux utiliseraient ce service, et le taux de réabonnement est encore incertain.
Quoiqu’il en soit le streaming gratuit illimité, s’il ne favorisait pas l’augmentation du nombre d’abonnés payants, était pour certain une vitrine permettant de découvrir de nouveaux artistes, et surtout un rempart contre le piratage. Et face à la frustration engendrée à la suite de la nouvelle orientation prise par les sites de streaming, il est probable que certains (re)tournent dans l’illégalité, comme le montre le titre très explicite d’un article du blog Mangedisk : « Deezer / Spotify : la musique en streaming est morte, vive le piratage ! ». Deezer atteindra-t-il son objectif fixé de recruter 100 000 nouveaux abonnés ? Rien n’est moins sûr. D’autant qu’en entrant sur le marché du payant, Deezer, maître du gratuit jusqu’alors, s’engage en terre inconnue, et surtout en terre occupée. Pour n’en citer qu’un : Qobuz (récemment labellisé Hadopi) qui propose des abonnements streaming et téléchargement illimités pour une qualité CD sans comparaison…quitte à mettre la main au porte-monnaie autant viser la qualité. Une formule qui a séduit la plupart des majors – dont Universal –, ce qui semble définitivement sceller le sort du streaming gratuit.
Sources
- http://www.lepost.fr/article/2011/06/20/2528683_fin-de-la-musique-gratuite-vers-l-augmentation– du-telechargement-illegal.html
- http://www.zdnet.fr/actualites/streaming-spotify-trouve-un-accord-avec-universal-deezer-s-explique-39761602.htm
- http://www.lesinrocks.com/medias/numerique-article/t/66482/date/2011-06-23/article/nuages-sur-le-streaming/
- http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/66172/date/2011-06-07/article/deezer-vers-la-fin-de-la-gratuite/
- http://electronlibre.info/Deezer-Universal-musique-la-menace,01268
- http://www.ecrans.fr/L-Adami-Les-majors-sont-en-train,12893.html
- http://www.liberation.fr/medias/01012341596-deezer-pourrait-compenser-l-erosion-du-marche-du-disque
- http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/06/24/qobuz-com-mise-sur-le-telechargement-de-musique-en-qualite-cd_1540520_651865.html