Début janvier, le site ZATAZ.com révélait une série de piratages de plusieurs films composant le coffret des DVD des films « admis à concourir » pour les Césars de 2012, dont la célèbre cérémonie se déroulera le 24 février prochain.
Le phénomène de piratage d’œuvres cinématographiques n’est pas nouveau. La démocratisation d’internet, l’apparition du Peer to Peer, puis du streaming ne sont pas innocents à ce que certains appellent « la crise du cinéma ». Cependant, un paradoxe apparait lorsque la source de ces dits piratages semble être un membre du jury des César, organisé par l’Académie française des Arts et Techniques du Cinéma.
En effet, le 8 janvier dernier, consécutivement au piratage du film « Intouchables », dont la sortie en DVD n’est prévue que le 28 mars prochain, c’est le film « Polisse » qui a son tour devient la victime de ce phénomène. L’origine de la fuite n’est pas officiellement connue pour le moment. Les versions contrefaites accessibles en ligne sur de multiples sites de téléchargement illégaux ont été postées par des personnes apparaissant sous le pseudonyme « Anonym ». La société productrice du film « Intouchables », Gaumont, s’évertue depuis la fin de l’année 2011 à trouver l’origine de cette malheureuse fuite.
Le responsable du site ZATAZ.com, Damien BANCAL affirme que l’ « on ne peut pas être sûr que cette copie vienne d’un membre du jury ». Cependant, la copie du film « Intouchables » revêt un en-tête indiquant « DVD réservé aux membres de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma – interdit à la vente et à le location, reproduction interdite ». Il semblerait donc qu’il s’agisse d’une copie émanant du coffret des films admis à concourir pour les César 2012, réservé traditionnellement au jury, composé de 3 000 professionnels du cinéma (réalisateurs, techniciens, producteurs etc.).
Pourtant, l’Académie a mis en place plusieurs dispositifs de visionnage par le jury des films sélectionnés dits « admis à concourir ». L’Académie précise qu’il s’agit de dispositifs veillant « à respecter une équité totale entre les différents ayants-droit, tant en ce qui concerne les processus techniques, que les chartes graphiques et les envois aux membres ».
Pour se faire, concernant les longs métrages, trois dispositifs de visionnage sont proposés aux membres du jury : le premier consiste en l’envoi de places gratuites valables dans toutes les salles présentant le film si ce dernier est toujours en cours d’exploitation ; le deuxième correspond à l’envoi d’invitation à des projections privées ; enfin, le troisième est l’envoi de copies DVD des films, sachant que ces dernières sont alors présentées sous une charte graphique identique, protégées par le même dispositif anti-piratage, et regroupées dans un même coffret nommé « Coffret DVD César », livré au domicile de chacun des membres en mode sécurisé.
Ces dispositifs correspondent au premier tour de la phase de visionnage par les membres du jury des César. Et, il semblerait que les dits piratages soient intervenus durant cette période. Car, en effet, le second tour de visionnage se déroule pendant deux semaines durant lesquelles est organisée « l’Année des César », soit la projection de l’ensemble des œuvres cinématographiques bénéficiant d’au moins une nomination. Cette projection est ouverte au public et a lieu au Cinéma « Le Balzac » à Paris, sur les Champs Élysées.
En effet, l’article L 335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) dispose qu’ « est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur, tels qu’ils sont définis et réglementés par la loi ». Les DVD des films admis à concourir aux César 2012, qui ne sont autres que des reproductions des œuvres cinématographiques originales bénéficient des accords des auteurs afin que les membres du jury puissent les visionner et procéder au vote déterminant les œuvres nominées aux César 2012.
Par conséquent, c’est à ce moment qu’intervient l’article L 335-4 CPI disposant que « toute fixation, reproduction, communication ou mise à disposition du public, à titre onéreux ou gratuit, ou toute télédiffusion d’une prestation, d’un phonogramme, d’un vidéogramme ou d’un programme, réalisée sans l’autorisation, lorsqu’elle est exigée, de l’artiste-interprète, du producteur de phonogrammes ou de vidéogrammes ou de l’entreprise de communication audiovisuelle » est punie de trois d’emprisonnement et de 300 000 € d’amendes, soit tel un délit de contrefaçon. Car, comme le précise l’en-tête des copies en question ayant fait l’objet de piratage, elles étaient originellement réservées « aux membres de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma » et toute vente, location ou bien encore reproduction de ces copies est « interdite ».
Cet incident n’est pas sans précédent, puisqu’en 2008 déjà, le film de Jean-Jacques ANNAUD « Sa Majesté Minor » avait également fait l’objet d’un piratage, à la suite duquel, une copie de l’œuvre était disponible sur le net, toujours avec l’en-tête précisant que cette reproduction était réservée aux membres du jury des César. L’année suivante, plusieurs œuvres cinématographiques admises à concourir étaient accessibles depuis les sites de téléchargement illégaux. En effet, la loi HADOPI du 12 juin 2009 ne sanctionne véritablement que le procédé du Peer to Peer (soit les échanges de dossiers), et non le streaming. L’évolution de ces nouvelles technologies est tellement constante, qu’il est difficile d’instaurer une législation rapide et adaptée. De plus, les administrateurs de tels sites se tiennent au courant des nouvelles législations en la matière, et trouveront d’autres moyens afin de les contourner.
A noter que les victimes collatérales de cette fuite ne sont autres que TF1 Films Production ainsi que Arte France Cinéma qui sont respectivement les coproducteurs d’ « Intouchables » et de « Polisse ». TF1 ayant déboursé la modique somme d’1,9 millions d’euros afin d’acquérir les droits de diffusion de ce qui le 3ème meilleur succès du cinéma depuis 1945 en France.
Sources :
- BANCAL D., « Piratage des DVD des Césars, il y en aurait d’autres », Zataz, mis en ligne le 8 janvier 2012, consulté le lundi 9 janvier 2012, URL : http://www.zataz.com/news/21869/academie-cinema_-coffret-dvd-cesar_-film_-piratage.html
- Académie des arts et techniques du cinéma, « Les dispositifs de visionnage des films », consulté le 9 janvier 2012, URL : http://www.academie-cinema.org/vote/visionnage-films.html
- CARRASCO Ch., « Intouchables piraté : les César en cause », Europe 1, mis en ligne le 5 janvier 2012, consulté le 10 janvier 2012, URL : http://www.europe1.fr/Cinema/Intouchables-pirate-les-Cesar-en-cause-891865/
- MANENTI B., « Le film Intouchable piraté par les César ? », Le nouvel observateur, mis en ligne le 4 janvier 2012, consulté le 11 janvier 2012, URL : http://tempsreel.nouvelobs.com/high-tech/20120104.OBS8027/le-film-intouchables-pirate-par-les-cesar.html
- Académie des arts et des techniques du cinéma, « Présentation de l’Académie », consulté le 11 janvier 2012, URL : http://www.academie-cinema.org/academie/presentation.html
- POUSSIELGUE G., « L’année fabuleuse du cinéma en 2011 ternie par la faillite de Quinta Industries », Les Echos, mis en ligne le 30 décembre 2012, consulté le 14 janvier 2012, URL : http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201819052299-l-annee-fabuleuse-du-cinema-en-2011-ternie-par-la-faillite-de-quinta-industries-269479.php