Ce début d’année commence de façon chaotique pour les défenseurs de l’internet libre. Après les projets de lois PIPA/SOPA et la mise à mort du géant Megaupload, on pouvait légitimement s’attendre à une accalmie provisoire des tensions entre Majors et hébergeurs de données. L’actualité vient pourtant nous dire le contraire. Un véritable ouragan traverse en ce moment même le paysage de l’internet et emporte tout sur son passage. L’origine de ce vent de panique : le traité ACTA (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). En effet, jeudi 27 janvier, 22 états européens ainsi que des représentants du Conseil de l’Europe ont ratifié cet accord, ce qui n’a pas manqué de provoquer de vives réactions de la part d’un nombre croissant d’internautes. Une nouvelle ère semble s’ouvrir, marquée de façon très nette par l’omniprésence du filtrage. Filtrage justifié selon les partisans du traité par la nécessité de lutter contre la contrefaçon sous ses formes multiples et variées. La liberté sur internet survivra t-elle aux assauts virulents qui lui sont actuellement assénés ? Les dès sont jetés !
L’ACTA : qu’est-ce donc ?
L’ACTA est un traité anti-contrefaçon qui prévoit de nombreuses mesures très controversées. L’objectif principal, est comme son nom l’indique, de lutter contre la contrefaçon. Lutte qui passe par la coopération entre les états. Naturellement, le droit d’auteur est tout particulièrement visé. Le traité s’applique indistinctement aux atteintes portées à une œuvre via internet et à celles réalisées sur support physique. Le téléchargement illégal n’est pas envisagé de manière exclusive puisque les médicaments et les produits de luxe sont également pris en considération. Les négociations ont débuté en 2007 et concernent 39 pays. La ratification a quant à elle commencé au début du moins d’octobre. Huit pays, dont les Etats-Unis et le Canada, ont déjà signé le traité. Bien qu’au sein de l’Union européenne, 22 pays aient préalablement donné leur feu vert, il reste une étape fondamentale pour que le texte entre en vigueur: l’approbation du parlement européen.
Si l’ACTA est autant décrié, c’est en raison des relations qu’il instaure entre les fournisseurs d’accès et les ayants droit. En effet, l’accord prévoit une coopération accrue entre ces différents acteurs. Il autorise la délivrance aux ayants droits, d’informations concernant les clients des fournisseurs d’accès, et ce, sans décision juridictionnelle préalable. Les fournisseurs d’accès se voient forcés de divulguer un certain nombre de données, nonobstant le droit de chaque personne à un procès équitable et au respect de la vie privée. De surcroit, le texte impose aux opérateurs une surveillance de leurs réseaux. Cette disposition à pour effet de faire peser de lourdes obligations avant qu’une infraction ait été commise par un internaute, ce qui est contraire à l’esprit de la loi pour la confiance dans l’économie numérique. Ajoutons également que le texte a été négocié de façon secrète, sans que les élus du parlement européen n’en soient informés. Certains eurodéputés ont d’ailleurs exprimé leur réticence à la ratification du traité, en raison de l’opacité de ses conditions de négociation.
De vives protestations naissent de toutes parts
L’ACTA ne provoque pas de virulentes critiques exclusivement chez les internautes. Le texte, qui aborde la contrefaçon dans tous ses aspects, a été discrédité par l’ONG Oxfam France. Celle-ci met en évidence le danger potentiel pour les pays en voie de développement. Selon l’ONG, l’ACTA « donne le pouvoir abusif aux douanes européennes de saisir, détruire ou renvoyer aux expéditeurs à leurs frais des médicaments génériques importés en Europe ou en transit sur un simple soupçon “d’utilisation d’une marque confusément similaire” invoquée par un laboratoire ». Il y a donc un risque que les pays les plus démunis n’aient plus accès aux médicaments génériques, qui sont par définition moins onéreux que les autres. Indéniablement, l’écart d’accès à la santé entre pays du nord et pays du sud ne ferait que s’accroître.
Des critiques voient également le jour au sein même des institutions. A ce titre, le rapporteur au parlement européen et député, Kader Arif, s’est opposé très fermement au traité ACTA. Il a d’ailleurs décidé, en guise de protestation, de démissionner de son poste. Le député dénonce une « mascarade » et déplore « le manque de transparence depuis le début des négociations » ainsi que les « manœuvres inédites de la droite de ce Parlement pour imposer un calendrier accéléré visant à faire passer l’accord au plus vite ». Ses paroles sont fermes et sans équivoque. De plus, il semble regretter assez profondément que le Parlement européen ait été muselé tout au long des négociations : « tout est fait pour que le Parlement européen n’ait pas voix au chapitre ». Les conditions de négociation de l’ACTA demeurent assez obscures. Pour cette raison, l’eurodéputé désire vouloir « envoyer un signal fort et alerter l’opinion publique sur cette situation inacceptable ». La note est ainsi donnée, et fait office de réelle dissonance dans le paysage politique international.
Mais les associations ainsi que les institutions ne sont pas les seules indignées. De nombreuses initiatives populaires sont à mettre en évidence. Aux Etats-Unis, une pétition établie par des citoyens à l’attention du Président Obama le sollicite à retirer le pays du traité. Il en va de même en Europe où des requêtes similaires visent les députés européens.
Anonymous décide de prendre les choses en main
De nombreuses cyber-attaques ont été perpétrées par le groupe Anonymous à l’encontre du parlement européen. Véritable paradoxe selon Françoise Castex, députée européenne, qui considère que le parlement constitue le dernier rempart contre le traité ACTA. En outre, les Anonymous s’en sont pris à plusieurs sites institutionnels, comme le site de l’Hadopi ou de la Federal Trade Commission, par le mécanisme des attaques par déni de service. Le nombre de connexions aux sites internet étant trop important, ces derniers ne peuvent pas supporter toutes les requêtes : ils ne répondent plus. Parallèlement, les hackers du groupe prétendent avoir la mainmise sur un nombre conséquent de serveurs et menacent de divulguer des informations très sensibles (e-mails, comptes bancaires) si la situation n’évolue pas au plus vite. La menace n’est pas à prendre à la légère. Il y a quelques moins de cela, le Playstation store de Sony était effectivement sous le contrôle des Anonymous.
Il est également opportun de préciser que les protestations ne sont pas seulement virtuelles, mais aussi physiques. On note d’ailleurs qu’en Pologne, plus de 20000 personnes sont descendues dans la rue pour mettre en lumière le caractère arbitraire et liberticide de l’accord. Certains députés de ce même pays se sont mêmes présentés au parlement avec un masque de Guy Fawkes, symbole des Anonymous.
La commission européenne ne comprend pas les critiques
Pour la commission, le traité ACTA, est blâmé de façon absolument disproportionnée. Elle estime qu’il n’y a aucune contradiction entre l’accord et le droit européen actuellement applicable. Dans un entretien accordé à ZDNet, John Clancy, porte parole de la commission dément catégoriquement tout risque d’arbitraire inhérent au traité : « la liberté sur Internet qui existait avant, l’accès des personnes et la façon dont elles utilisent Internet, ne sera pas remise en cause par ACTA ».
Toujours est-il que l’on peut légitimement émettre de sérieuses réserves sur la portée de ces propos. Un traité qui offre la possibilité aux ayants droit d’obtenir directement des informations ayant trait à la vie privée des internautes, nie de façon absolue le droit à une procédure juridictionnelle équitable, pourtant garanti par la convention européenne des droits de l’homme…
Sources :
CHAMPEAU.G, « ACTA : le rapporteur au parlement européen démissionne ! », Numerama, article du 26 janvier 2012 : http://www.numerama.com/magazine/21417-acta-le-rapporteur-au-parlement-europeen-demissionne.html
AUFFRAY.Ch, « ACTA : le traité anti-contrefaçon ratifié par 22 Etats de l’UE, dont la France », ZDNet, article du 27 janvier 2012 : http://www.zdnet.fr/actualites/acta-le-traite-anti-contrefacon-ratifie-par-22-etats-de-l-ue-dont-la-france-39767933.htm
LEMONDE.FR, « Contrefaçon : l’Union européenne signe le traité ACTA », Le Monde, article du 26 janvier 2012 : http://www.lemonde.fr/technologies/article/2012/01/26/l-union-europeenne-signe-le-traite-acta_1635244_651865.html
LA QUADRATURE DU NET, « ACTA », La Quadrature du net, article du 1er février 2012 : http://www.laquadrature.net/fr/acta-mise-a-jour-de-lanalyse-de-la-version-finale
UNTERSINGER.M, « Sur le WEB, on se mobilise contre un poison nommé ACTA », Rue 89, article du 28 novembre 2012 : http://www.rue89.com/2012/01/28/internet-un-poison-nomme-acta-228792
LAURENT.A, « 22 pays, dont la France signent l’accord anti-contrefaçon ACTA », Clubic, article du 26 janvier 2012 : http://pro.clubic.com/legislation-loi-internet/propriete-intellectuelle/actualite-472852-22-pays-france-signent-accord-anti-contrefacon-acta.html
BELIER.S, « Et si l’on discutait ouvertement d’Acta ? », Slate, article du 19 octobre 2011 : http://www.slate.fr/tribune/45195/acta-ue-hadopi