L’utilisation de mots-clés par un tiers de la marque d’un concurrent, dans le but de faire apparaître des liens commerciaux en promotion de son propre site, constitue-t-elle un acte de contrefaçon ou un acte de concurrence déloyale ? Et quels sont les acteurs qui peuvent voir engager leur responsabilité ?
La jurisprudence est abondante sur la question. Cependant, en date du 25 septembre 2012, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que l’achat d’un mot-clé qui constitue la marque d’un tiers n’est pas un acte de contrefaçon.
Dans les faits, la société Auto lES exerce une activité d’achat et de vente de véhicules automobiles sur internet. Elle est titulaire de deux marques françaises lES et AutoIES, toutes deux déposées. La société a fait constater que la saisie des deux marques sur Google entrainait l’affichage de liens commerciaux de sociétés tierces. La société Auto lES a alors assigné ces sociétés tierces en contrefaçon de marques, usurpation de nom commercial et de dénomination sociale mais a aussi tenté d’engager la responsabilité civile de la société Google France.
Précisons que, Google Adwords est un programme de publicité en ligne qui permet d’afficher des liens commerciaux en haut de la liste de résultat sur le moteur de recherche ou sur la partie droite de la page internet consultée, par l’achat de mots-clés.
La Cour de cassation dans la lignée de la CJUE
Auparavant, Google avait sollicité l’intervention de la CJUE sur la question des prestataires de référencement payant. Par une décision du 23 mars 2010, la CJUE a déterminé que les prestataires de référencement payant sont a priori irresponsables et que Google Adwords qui « stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe » et ne peut être considéré comme un contrefacteur. Grâce à cette décision, Google a depuis libéralisé son service Adwords. Or, si le prestataire n’est pas responsable en principe, l’acheteur de mots-clés doit-il alors se voir endosser toute responsabilité ? Récemment, la Cour de Cassation a jugé que l’acheteur de mots-clés n’est pas, a priori, responsable.
L’arrêt « Auto IES / Google et autres » de la Cour de cassation du 25 septembre 2012
La Cour de cassation a tranché en l’espèce que l’achat de mots-clés auprès de Google Adwords, constituant la marque d’un tiers, ne porte pas atteinte à la fonction d’identité d’origine de la marque et ne constitue pas une contrefaçon au sens de l’article L. 713-2 du CPI. Cependant, afin de ne pas constituer un acte de contrefaçon de marque, il est nécessaire que l’annonce soit suffisamment précise et qu’elle ne créé pas de confusion, pour permettre à un internaute moyen de déterminer que les produits ou les services visés par ces annonces proviennent d’un tiers, et non du titulaire des marques. En l’espèce, notons bien que les annonces ne comportaient aucune référence aux marques ou à leur titulaire. De plus, sur la question de l’éventuelle responsabilité de Google, la Cour de cassation a confirmé la position de la cour d’appel qui précise qu’ « en offrant un service permettant, à partir de ces mots-clés, l’affichage de liens commerciaux renvoyant aux sites internet de sociétés concurrentes, les sociétés Google n’avaient commis aucun acte de démarchage ou de détournement de clientèle ».
La précédente décision « Eurochallenges / Lina H » du TGI de Nanterre du 06 septembre 2012 suivie par la Cour de cassation
La décision récente du TGI de Nanterre en date du 6 septembre 2012 ne diffère pas de l’arrêt de la Cour de cassation. Le TGI a également considéré que les modalités d’affichage des publicités sur Google ne portent pas atteinte à la marque et à sa fonction d’identification. Et, comme la Cour de cassation, le TGI établit ce constat en matière de contrefaçon en se fondant encore sur l’absence de confusion possible. Saisi sur la question du parasitisme, le TGI considère que l’annonceur « ne se place pas dans le sillage » de son concurrent et que la présentation de l’annonce au sein d’une colonne explicitement dénommée « annonces » n’engendrent aucune confusion.
On peut alors s’interroger sur le fait que Google pourrait être tenté de créer une certaine confusion et de rendre moins explicite la présence des liens commerciaux, étant rémunéré au nombre de clics. Cela donnerait lieu à un encadrement nécessaire par la jurisprudence sur la question.
Les litiges sur la question sont nombreux et anciens et les rebondissements en la matière semblent désormais inépuisables.
Sources :
– TGI Nanterre, 1ère Ch., 06 septembre 2012, Eurochallenges/Lina H.
– Cass.com., 25 septembre 2012, Auto IES/Google et autres.
– CJUE 23 mars 2010, Google France et Inc. c/ Louis Vuitton Malletier SA, Viaticum SA, Luteciel SARL, CNRRH.
– CHERON (A.), «Adwords : l’achat d’un mot-clé constituant la marque d’un tiers n’est pas un acte de contrefaçon », Blog Dalloz, mis en ligne le 11 octobre 2012, consulté le 15 octobre 2012, http://blog.dalloz.fr/2012/10/11/adwords-lachat-dun-mot-cle-constituant-la-marque-dun-tiers-nest-pas-un-acte-de-contrefacon/
– LE MORHEDEC (E.), « AdWords : pas de contrefaçon… ni de concurrence déloyale ? », Blog LM-a, mis en ligne le 18 octobre 2012, consulté le 20 octobre 2012, http://www.lm-a.fr/adwords-ni-contrefacon-ni-concurrence-deloyale
– http://www.legifrance.gouv.fr